» Moins un… « , » chiouaoua « , » DIS POUR TOI « , » Pas de Presser « , » yemalin Pauvre a tort « , » je ne sais à qui la confiance owo ni olobirin ma « , » si l’argent était au sommet de l’arbre, la femme se marierait au singe « , » le bruit de la mer n’empêche pas le poisson de dormir « , » Rien ne peut contre la volonté de Dieu « , » KENNEDY « , » Oui, j’espère « , » Tois-toi, jaloux « , » Le Retour « , » Le Vautour du Désert « , » Africain « , » Et toi ? « , » Le crayon de Dieu n’a pas de gomme « , » Ps 123 « , » Yelin a Après tout c’est la mort « … On est tout de suite frappé par l’abondance et la variété des objets-sentences, noms forts, locutions proverbiales, maximes, etc., qui ponctuent le discours et la vie quotidienne au Bénin. D’autant plus frappé que les Béninois sont un peuple lent, tellement lent que, pionnier africain dans divers domaines de la technologie et des arts importés, il se retrouve, presque toujours à la traîne. La théorie qui veut que la parémie, en tant que résumé et suggestion d’une pensée, soit le propre de gens et classes sociales affairés – » time is money » – se trouve démentie.
Aucun auteur ne s’est réellement intéressé au lien formel entre les symboles peints ou gravés et les paroles dites de la sagesse africaine. Gelba reprenant une planche de Meinhoh (1911) s’est contenté de certains signes mnémoniques utilisés pour fixer les proverbes chez les Ewe (Golfe du Bénin) et qui, d’après lui, ne sont pas pertinents. Pour Elsy Leuzinger, » le maître utilise également des peintures lors de l’initiation, comme matériel didactique visuel ; elles servent de symbole à la parole, intensifient la puissance vitale et constituent des objets de culte pour les familles, les sociétés secrètes et les clans « . Mais à la fin de son livre, il a préféré ignorer les genres picturaux qui prennent en compte la parole proférée, ou proposent une vision alternative du monde. En reprenant de manière un peu trop rapide à son compte le concept de » Double entendre » proposé par M. et F. Herskovits dans le domaine exclusif de la devinette pour n’y voir qu’une fonction didactique, Calame-Griaule pêche par le même type de simplification.
En réalité, les castes d’artisans graveurs, teinturiers ou peintres d’enseignes, formée depuis des siècles dans le royaume d’Abomey et les localités avoisinantes qui se retrouvent aujourd’hui dans l’aire culturelle kwa, au Golfe du Bénin, ont survécu aux tumultes des temps et poursuivent leurs activités à côté d’autres artisans et peintres autodidactes ou sortis des écoles étrangères de Beaux-Arts. L’Art kwa est davantage métissé et il n’est pas rare d’entendre des peintres parmi les plus célèbres contemporains se réclamer un maître à penser occidental. L’Art figuratif est encore très dominant, mais le choix des matériaux est souvent justifié par le besoin de symbolisme. Survivance de la tradition orale et de l’Art dit africain, le symbole apparaît comme une caractéristique fondamentale des oeuvres abouties ou non de la génération actuelle.
En effet, si le symbole est une entité représentant une autre entité » en vertu d’une analogie essentielle ou d’une convention arbitraire » (Benoist, 1977), on peut dire que toute la pensée kwa est symbolique. Les langues, et leurs variantes sont très concrètes, de même que la parole dite. Par exemple, chez les Fon, il y a trois mots de couleurs, abstraits : wewe (blanc), wiwi (noir) et vovo (rouge). Toutes les autres couleurs sont des mots composés à partir de noms d’objets concrets existants : amamu (vert, de amà, feuille, et mu, frais, non mûr) ; kokolojo (jaune, de kokolo, poulet, et jo, graisse), etc.
De même que pour la langue, les représentations diverses et les signes sont imbriqués dans un système de références à la flore et à la faune. En sorte qu’il n’y a en territoire kwa d’abstraction que de représentations symboliques. Les pratiques artistiques, dans la mesure où elles représentent, avant la science vodun, l’attitude abstraite par excellence, sont le lieu de convergence et d’expression de divers symbolismes. En l’occurrence, la gravure en soi, est un acte symbolique. Elle ne peut exister que dans la mesure où elle communique au public, une idée forte résumée par des groupes de signes forts. L’alphabet français était et demeure un de ces groupes de signes.
Par l’alphabet, les graveurs et autres peintres contemporains, reprennent le lo, le gbesa, le nuko ou nuyi des Fon, se donnant l’impression d’une perfection dans l’art, ou d’une distinction de classe.
Or, le lo traduit comme proverbe, mais qui fait intervenir dans sa structure le caractère supplémentaire et obligatoire de la » clé » répond aux critères de Brouzeng dans sa définition de la parémie. Les autres apportent à ces critères l’opérationalité de la parémie, car ils ont une fonction active sur le récepteur.
Le nuko que George Balandier appelle » nom fort » correspond, dans un sens large, à ce qui est désigné en Occident par le vocable de nom. Dans l’ère ewe, le baptême représente l’occasion d’une création de parémie où le voisinage de synecdoques, d’allégories et d’autres tropes aboutit au nom. Ce nom, condensé de l’énoncé parémique, rappelle les circonstances de l’incarnation de son porteur, l’ancêtre que ce dernier incarne et indique sa ligne de conduite ou son rôle dans la cité. Ce nom, dans la plupart des cas est un défi lancé au monde, une espèce de compensation de la faiblesse humaine ou un attribut du pouvoir. Dans un ouvrage didactique destiné à l’enseignement de l’histoire dans les CM2 au Bénin, Jean Pliya a essayé une traduction remarquable des » noms forts » des rois d’Abomey, qui définissent leurs orientations politiques diverses :
– huegbaja : condensé de : hue gb(àjà ma yi àjà : » le poisson qui a quitté la masse n’y retourne pas » ;
– àkaba : condensé de d(d(kaba àgàma no yi atinji : » lentement, patiemment, le caméléon arrive au sommet de l’arbre » ;
Le nuyi, quant à lui, est une parole ésotérique. Il vient de nu (chose) et de nyi (appellation). C’est, comme l’écrit Olympe Bhely Quenum dans son roman L’initié, le nom premier des gens et des choses. C’est le recours au mythe d’origine (cf. Mircea Eliade, 1963) par un initié pour influer sur un animal ou un être humain en psalmodiant un énoncé syntagmatique. Le nuyi se rapproche du gbesa.
Le gbesa a une vocation incantatoire. Il s’inscrit profondément dans l’univers symbolique local. C’est une incantation qui a une vocation offensive ou défensive du locuteur. Le gbesa est un proverbe doublé d’une volonté d’action (attaque ou remède). Il est détonateur d’action. Il a la même valeur qu’un médicament, une balle de fusil, un poison ou une drogue, dans l’imaginaire aja-fon :
– atoto no dado nu ado to no yi zo a : le pénis ne peut uriner loin ;
– e no mo awi ta do ajaka lo me a : on ne trouve pas la tête du chat dans la main de la souris ;
– gbo no du gi do ado jia : le mouton ne peut se servir de l’akassa dans une marmite au feu.
Le lo, le gbesa, le nuko ou même le nuyi sont partout présents dans la vie quotidienne actuelle dans le golfe du Bénin, même dans les zones urbaines moyennement occidentalisées. Les écrits en français y abondent de traductions, de paraphrases ou d’inventions. Les hommes politiques ont parfois gardé la tradition des noms forts et la représentation picturale d’un symbole traduisant, illustrant ou diffusant leur programme ou l’importance du pouvoir qu’ils ont ou pensent avoir. Ainsi le président béninois Kérékou avait comme emblème un caméléon vert sur une branche fragile et comme devise : » La branche ne se cassera pas dans les bras du caméléon « .
Pour en revenir aux objets-sentences, ils sont le fait d’artisans du Bénin ou du Nigeria qui traduisent par l’écriture et le dessin les parémies de cet univers, ou qui en inventent simplement de nouvelles à partir d’intentions ou d’inspirations religieuses, identitaires, snob voire politiques. Dans la mesure où il n’y a aucun recueil authentique des parémies locales, il est difficile de savoir si la parémie en français est une simple traduction de la littérature orale, une paraphrase d’une parémie française que l’artiste s’est approprié, qu’il s’est assimilé avant de la rendre dans sa langue, dans son français. De plus, la culture judéo-chrétienne a influencé le Golfe du Bénin qu’elle a fortement marquée. Enfin, l’artisan sait depuis longtemps déjà que l’exotisme rapporte, que le yovo et l’akowé ne demandent que de l’authentique et qu’on peut faire habiller la couleur authentique à n’importe quelle » bâtardise » sans qu’il s’en rende compte.
En définitive, les peintres, fabricants d’enseignes, calligraphes, sculpteurs sur bois, dessinateurs ou forgerons sont en situation de diglossie. Ils puisent leur inspiration de cette ambivalence. Les degrés que peut revêtir celle-ci sont fonction de l’histoire personnelle de chacun.
La parémie faisant partie intégrante de la vie culturelle et morale des peuples kwa, on ne peut l’aborder, même en français, sans clarifier au préalable la question de leur langue. Après quoi, on pourrait approfondir les objets-sentences qui sont les figures ou les compositions réalisées sur métal peint et munies d’une phrase à vocation parémique que nous remarquons chez la plupart des zemijan et dont nous avons donné quelques exemples au début. A deux appréhensions près : ou le dessin n’est que le support de la parémie, ou au contraire, la parémie est un prétexte au dessin qui devient ainsi la motivation principale de l’artisan.
L’analyse des supports, des techniques, des couleurs, des formes et proportions, des calligraphies du texte, des colorations et formes du texte à l’intérieur du dessin (proportions de couleur et de dimension), des écritures (style) et des langues, permet de dégager deux hypothèses qui ne s’excluent pas forcément. La première est de supposer que nos artisans sont propres inventeurs de leurs sentences qu’ils expriment difficilement du fait qu’ils sont au premier degré de la langue française. La seconde est qu’ils essaient de traduire en français et en images des pensées qui leur sont proches et qu’ils illustrent par des dessins, conscients de leur propre difficulté à communiquer.
Quant aux thèmes ou intentions, ils varient, comme le montre notre corpus, même si beaucoup de parémies sont didactiques. Même s’il est difficile d’inventer un sens à la plupart d’entre elles, comme cette dernière que seul le conducteur du zemijan qui la porte pouvait interpréter : 30 X 30 = 1, traduction selon lui du fon : » azan gban gban donu gban gbe dokpo je na kpe ! » dont nous serions heureux d’avoir une traduction française du lecteur.
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