33e Salon du livre de Paris : l’édition africaine du centre vers les « marges » (Première partie)

Émergences, affirmations, perspectives…

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L’an passé, nous constations que le Salon du livre de Paris ne constituait pas encore un réel « tremplin pour l’édition africaine » (1). Si des livres africains étaient présents sur les stands du Maghreb, de la Côte d’Ivoire, de l’Institut français et de l’association L’Oiseau Indigo, on relevait par ailleurs l’habituel mélange des genres : l’édition [française] de littératures africaines occultait encore largement les productions du continent. Une situation mettant en lumière le déséquilibre – flagrant – de la représentation des littératures éditées dans l’hexagone et des productions africaines (2). Dans un contexte de monopole littéraire, on pourrait en effet concevoir que les littératures africaines sont encore et toujours une « affaire du Nord ». Mais il ne serait toutefois pas juste de réduire la production littéraire africaine au seul espace français (où plus globalement à l’hémisphère Nord). La frustration que nous avions pu ressentir en 2012 imposait un nouveau tour d’horizon, un an plus tard. Par rapport à 2012, le bilan 2013 était-il réellement différent ? Premiers éléments de réponse.

« The international market place is only « marginally interested » in the publishing output of many countries, not only books originating from Africa » Hans Zell (3)

Dans un précédent article, nous avons souligné le fait que le principal problème de l’édition africaine réside dans une insuffisante diffusion (médiatique et professionnelle). L’édition 2012 du « SDL » aura ainsi été une affirmation supplémentaire de la réalité économique et médiatique des littératures africaines : d’un côté des catalogues français sous les feux des projecteurs (4), de l’autre, des éditeurs africains relégués dans les traverses de la « grande librairie parisienne ». Rien de bien neuf sous le [fragile]soleil parisien, pourrait-on dire !
La 33e édition du Salon du livre aurait ainsi pu n’être que la répétition d’un refrain désormais bien connu : « oui, le public français reconnaît aujourd’hui la qualité et la diversité littéraire africaines ; oui, les écrivains africains sont désormais reconnus comme des écrivains « tout court » ; oui, la littérature française n’est plus le cœur des lettres francophones, etc. » Mais toutes ces œuvres sont publiées en France. Mais toutes ces œuvres sont surtout vendues en France et au Nord. Rien de bien nouveau donc, sauf que le SDL a cette année été le théâtre d’une affirmation plus importante de la présence éditoriale africaine…
Durant les quatre journées du salon, les visiteurs du Parc des expositions de la Porte de Versailles ont pu découvrir des livres auxquels ils ne sont pas habitués et des productions littéraires méconnues en France. Une édition 2013 qui restera riche de promesses et – surtout – de perspectives éditoriales.

Du livre aux éditeurs africains

Le lundi 25 mars 2013, le 33e Salon du livre de Paris a fermé ses portes. Alors que l’édition 2012 enregistrait déjà des records de fréquentation, les chiffres de cette année auront été sensiblement les mêmes (5). Une continuité donc, ainsi que dans la formule des cinq axes déjà expérimentée l’an passé. Les « Lettres roumaines » étaient à l’honneur ; Barcelone ville invitée ; la cuisine bénéficiait d’une mise en valeur, avec un stand thématique de 600 m² ; le « art square » dédié au beau livre proposait différentes plateformes ; enfin, « la programmation éditoriale française » profitait d’un espace de débats et de réflexions autour des transformations actuellement en cours au sein de l’univers du livre (les questionnements numériques en tête). On le voit bien, le « SDL » se veut, année après année, un rendez-vous ouvert sur la diversité du monde du livre.
Mais il y a différentes manières de concevoir « le monde ». Force nous est de constater que l’organisation du Salon pense encore ses thématiques en fonction du Nord (6). On l’aura bien compris, l’édition et les littératures africaines sont encore loin de trouver grâce au sein de la programmation parisienne. Un « oubli » thématique qui n’a pourtant pas été synonyme d’absence littéraire ou éditoriale.
Comme nous avons pu l’évoquer, par rapport à 2012, l’édition 2013 a été le cadre d’évolutions significatives et d’une « montée en puissance » de la présence [éditoriale] africaine.
Progression d’une part, de même qu’émergence de nouveaux opérateurs et enfin affirmation de nouvelles problématiques. On pourra alors se demander si le « SDL » constitue un juste reflet des dynamiques contemporaines de l’édition africaine, ou bien s’il s’agit plutôt d’un épisode de plus sur le chemin d’un secteur économique encore trop irrégulièrement représenté au Nord (et ce depuis plusieurs décennies).

Une présence éditoriale africaine au pluriel dans la « grande librairie parisienne »

Pour peu qu’ils aient pris le temps de traverser le vaste Parc des expositions, les 195 000 visiteurs du salon auront pu noter la présence de différents pôles d’édition africaine : d’un côté (7), les éditeurs du Maghreb : Royaume du Maroc, Algérie, Tunisie (8) et les foires du livre du Monde Arabe (Sharjah, Téhéran) ; de l’autre, (9) les stands de l’Afrique subsaharienne : Livres et Auteurs du Bassin du Congo (République du Congo), Côte d’Ivoire (« Le livre et l’art nous réconcilient ») et Union du Fleuve Mano (qui réunissait la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone). Enfin, et alors que nous regrettons l’existence d’une édition africaine francophone dans l’ombre médiatique des catalogues français, nous ne saurions oublier, parmi ces différents stands, l’association L’Oiseau Indigo Diffusion (10) et la Mauritanie (11). Une bonne partie de ces opérateurs était d’ailleurs déjà présents lors des précédentes éditions du SDL, alors que des « nouveaux » (Union du Fleuve Mano, Mauritanie) faisaient cette année leur apparition.
Pendant les quatre journées, le public a d’autre part eu la possibilité d’aller à la rencontre des livres qui n’avaient pas été présents au Salon du livre depuis… 2002 ! À l’époque, l’association d’éditeurs africains francophones Afrilivres, fraîchement lancée, avait présenté un stand avec le soutien de l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants. Onze années se sont écoulées, au cours desquelles l’association Afrilivres est passée par des hauts et des bas, avant de repartir sur une dynamique prometteuse, à partir de 2010. Et si Afrilivres ne possédait pas d’espace propre cette année, on aura observé avec intérêt que ses éditeurs étaient exposés sur les stands des « Livres et auteurs du bassin du Congo » (avec près de la moitié des tables), de la Côte d’Ivoire (les Classiques Ivoiriens, Eburnie, Edilis et les éditions Vallesse) et de « L’Union du fleuve Mano » (Eburnie, Ganndal, Graines de Pensées).
Une implantation plurielle d’Afrilivres, qui suit une dynamique proche de celle de L’Oiseau Indigo Diffusion, association spécialisée depuis 2009 dans la diffusion des ouvrages d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de la Méditerranée. On aura ainsi remarqué que les éditeurs défendus par le collectif arlésien étaient présents sur l’ensemble des stands africains du salon.
Mais 2013 a également signifié la disparition de la « Librairie du Sud » organisée par l’Institut Français (IF) ; un espace traditionnellement ouvert aux éditeurs africains. Cet arrêt a été expliqué lors d’une rencontre par la réorientation des politiques de l’IF, qui ne favorise désormais plus autant « la promotion des contenus » et resserre son action « autour du réseau diplomatique à l’étranger » (12). Un retrait qui n’est toutefois pas synonyme d’arrêt pur et simple : on soulignera par exemple le fait que des politiques d’accompagnement de l’édition du Sud sont toujours prises en charge par l’IF (aide à la cession Nord-Sud, aide à la diffusion-distribution) (13).

Une édition africaine « en marge » et des perspectives globales

Aussi intéressant qu’il soit, le Salon du livre de Paris reste un événement parmi d’autres pour l’édition africaine : Genève, Bologne, Ouagadougou, Abidjan, Harare sont autant d’autres lieux de résonance de la diversité du livre du continent. Et puis, un événement n’est rien sans une réalité structurelle qu’il accompagne. Sans des dynamiques économiques extérieures, le SDL ne serait ainsi qu’un « musée de livres à vendre ». À notre sens, le Salon ne constitue pas un tremplin pour l’édition africaine. Ce n’est pas là son rôle. Il est par contre beaucoup plus intéressant de situer l’événement dans un contexte général : celui du développement et de l’affirmation d’une diffusion éditoriale africaine hors des frontières nationales.
En effet, et bien que l’événement ait eu lieu la veille et hors du Salon du livre, il est important de se souvenir de la tenue d’un atelier organisé par l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants (AEI). Avec pour thème « le don de livre, un système à repenser » (14), cette rencontre préparatoire des « Assises internationales de l’édition indépendante » (15) se voulait – précisément – en marge du SDL (16). Et si la rencontre se situait « à côté » du principal rendez-vous du livre, elle était bien loin de faire office de happening marginal.
« Dans un moment de transformations profondes, nous voulons nous réunir pour interroger nos pratiques, pour écouter d’autres agitateurs d’idées et intégrer de jeunes générations d’éditeurs partageant nos préoccupations. Considérant entre autres deux nouvelles donnes – l’émergence de nouveaux acteurs du numérique et la crise financière globale, nous souhaitons questionner notre rôle et réaffirmer les enjeux de la bibliodiversité » est-il écrit dans le préambule des Assises.
Rejoignant la réflexion de l’Alliance des Éditeurs Indépendants, ce n’est ni dans l’atelier consacré au don de livre, ni même dans le Salon du livre de Paris que nous situerons le cœur de notre propos, mais plutôt dans le contexte de ces dernières années. Nous l’avons dit, en 2010, Afrilivres a relancé ses activités, avec le soutien notable de l’Institut Français. En 2012, un partenariat technique avec Africultures a permis à l’association de relancer le site Web Afrilivres.net, qui prend désormais pour socle la base de données mutualisée internationale et multidisciplinaire Sudplanète. Alors que depuis 2009, L’Oiseau Indigo a ouvert une fenêtre pour l’édition africaine dans le monde du livre francophone, de 2012 à 2014, des professionnels du livre africain réfléchiront, échangeront, imagineront de meilleurs moyens de faire face à la montée d’une globalité et d’une numérisation du livre encore floues. Des évolutions qui inquiètent et justifient, plus que jamais, la défense de la bibliodiversité et d’une « autre édition ». Rappelons enfin qu’en 2014, une ville africaine (Port Harcourt, au Nigeria) sera « capitale mondiale du livre ».
Alors que l’Afrique représente encore moins de 1 % des importations totales du livre en France, alors que les éditeurs africains occupent encore moins de 1 % de la surface totale du Salon du livre de Paris, nul ne doute que des données sont en passe de changer. L’édition africaine propose aujourd’hui de nombreuses pistes – légitimes – pour l’avenir et la diversité du livre.

1. « L’édition africaine au 32e Salon du livre de Paris » (en ligne) : [//africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10666″]
2. Ce déséquilibre a notamment été qualifié de « néocolonialisme littéraire » par Vivan Steemers dans un récent ouvrage. Voir la critique de l’ouvrage publiée par Africultures (en ligne) : [//africultures.com/php/index.php?nav=article&no=11236″]
3. Hans Zell, « African Scholarly Publishing Essays », Review in The African Book Publishing Record, vol. 33, n° 2, 2007, p. 107.
4. Gallimard, Hatier, Le Seuil, Actes Sud, etc.
5. Autour de 195 000 visiteurs, 2 000 auteurs et 1 200 exposants répartis sur 55 000 m².
6. En atteste ce programme consacré à « l’édition française » en partenariat avec le Centre National du Livre et l’Institut Français.
7. Allées W et X.
8. Les éditeurs tunisiens étaient hébergés sur le stand des éditions Averroès, suite à différents problèmes de financement.
9. Allées C et H.
10. Stand Provence Alpes Côte d’Azur.
11. Allée Z, représentée par les éditions 15/21 et leur directeur, Ahmed Sellami Ould El Mekki.
12. Soit le réseau des Centres Culturels des Ambassades de France.
13. On évoquera le soutien de l’Institut Français à l’association Afrilivres, le partenariat engagé avec l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants, ou encore le renforcement des réflexions consacrées au livre numérique.
14. [http://www.alliance-editeurs.org/-le-don-de-livres-un-systeme-a-128-]
15. [http://www.alliance-editeurs.org/-assises-internationales-de-l,121-]
16. L’atelier prenait la forme d’un workshop réunissant une quinzaine de professionnels du livre, africains ou non, à la Bibliothèque des Langues et Civilisations.
///Article N° : 11479

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Les images de l'article
Le stand de l'Union du fleuve Mano © Raphaël Thierry
Le stand des Livres et auteurs du Bassin du Congo © Raphaël Thierry
La Tunisie hébergée sur le stand des éditions Averroes © Raphaël Thierry
Le stand de l'Algérie © Raphaël Thierry
l'édition africaine sur le stand des livres et auteurs du bassin du Congo © Raphaël Thierry
Le stand du Royaume du Maroc © Raphaël Thierry
inauguration du stand de la Côte d'ivoire © Raphaël Thierry





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