600 euros, d’Adnane Tragha

Autopsie des déçus de la politique

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En sortie le 8 juin 2016 dans une quinzaine de salles en France, 600 euros tente une approche immersive pour mieux comprendre les mécanismes de la dépolitisation. Un résultat inégal.

Du cinéma guérilla : sans attendre les financements, Adnane Tragha fait l’homme orchestre avec la réalisation, l’image, le montage, etc. pour tourner son film avec des copains et des proches, dans l’urgence du moment. Le scénario avance au fur et à mesure du tournage. Ce sont les présidentielles de 2012 et la place de la Bastille sera le plateau des scènes finales, le soir du 6 mai où François Hollande est élu. L’engagement politique ou son refus font la trame d’un film choral qui met en scène une série de personnages en interaction, tous en galère, ballottés par la crise et le découragement. Il ne sort qu’aujourd’hui mais son actualité est décuplée par la menace du Front national et le mouvement Nuit Debout.
« La France est chaos, nous sommes les enfants du chaos » : le blues accompagnera le récit sur une musique de Ridan mais le film garde espoir. Tout tourne autour de Marco qui brûle sa carte d’électeur et de Leïla qu’il est contraint de prendre en colocation, une étudiante qui milite pour François Hollande. Marco se méfie et lui demande 600 euros d’avance sur les loyers, une somme difficile à rassembler et qui circulera durant le film. La quarantaine, musicien qui ne peut percer, il est acariâtre, irresponsable, hargneux… tout ce qu’il y a pour plaire ! Mais on sent que sa rage puise dans l’amertume de son échec de vie. La vingtaine, Leïla est attentive, enthousiaste, maternelle et cherche à lui redonner confiance, à lui et à Jacques, un voisin de Marco qui vient de perdre sa femme et avait coupé le contact avec ses enfants, à qui elle rend visite pour le détourner du FN…
Cette petite mosaïque des différentes attitudes face à la politique cherche à donner à comprendre les raisons des choix radicaux qui éloignent les jeunes du vote et de l’engagement ou bien les font tomber dans la marmite nationaliste. La faculté d’improvisation laissée aux comédiens leur permet de conserver leur spontanéité mais la portée de leur jeu est limitée car ils restent confinés dans des confrontations par trop manichéennes, alors même que les situations plus intimes leur donnent davantage de liberté. C’est là que le film intéresse mais frustre aussi, tant elles sont peu développées. Le film avance ainsi entre son intention réaliste et sa fragilité sans globalement convaincre, mais élabore un constat malheureusement bien actuel de la désillusion et de l’angoisse profonde des déçus de la politique.
Entre Marco le despote aux pieds d’argile et Leïla la sainte se joue une confrontation sentimentale qui aurait pu tourner au drame. Ils partagent le besoin d’espoir et les déconvenues, en écho avec Cynthia et Edy, les enfants de Jacques, ou avec Moussa, l’immigré passionné de politique mais qui n’a pas le droit de vote. Transmission parentale écornée, manque d’accomplissement personnel, relations amoureuses chaotiques, solitude dans la grande ville, lois restrictives, défiance généralisée… Si la politique avait porté l’espoir, ces jeunes auraient davantage trouvé l’énergie de se battre. Mais le film ne rend compte d’aucun combat, d’aucune alternative en marche en dehors de l’élection présidentielle, si bien que le lien entre intime et cité ne s’opère que sur un mode dépressif. La politique n’étant située que sur le mode électoral, les ouvertures finales restent réduites aux histoires singulières des personnages. L’espoir coûte que coûte, certes, mais dans quelle perspective collective ?

///Article N° : 13649

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Les images de l'article
Youssef Diawara © les films qui causent
Adlène Chennine © les films qui causent
© les films qui causent
Emilia Derou Bernal © les films qui causent
Adlène Chennine © les films qui causent
© les films qui causent





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