À la Goutte d’Or : Saint-Bernard, l’église qui porte bien son nom

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Après le succès de la série d’Été d’Africultures.com sur  [le quartier de Belleville], partons ensemble à la découverte d’un espace qui vit des migrations historiques, qui bouillonne de créativité et de métissages. Plongée subjective et non-exhaustive à travers les regards d’habitants de la Goutte d’Or (Paris XVIIIe).

Ancrée dans l’histoire des luttes contre le racisme et pour les droits de l’homme depuis le coup d’éclat de 1996, l’Église Saint-Bernard reste, en 2012, un espace d’engagement important dans le quartier de la Goutte d’Or.
Bâtie en 1861, l’église Saint-Bernard est implantée au cœur du quartier de la Goutte d’Or depuis 150 ans. Malgré une forte immigration maghrébine dans les années soixante et une pratique croissante de l’islam, l’église reste un point central du quartier. Pas tant par le nombre de fidèles, qui ne dépasse pas les 250. Mais plutôt par l’engagement solidaire des paroissiens dans la vie quotidienne du quartier.
On se souvient évidemment des événements de 1996, lorsque des sans-papiers occupèrent la nef de l’Église pendant deux mois, réclamant leur régularisation.
Jacques et Éliane faisaient alors partie du conseil paroissial, et ils s’en souviennent comme si c’était hier : « Quand ils sont arrivés, le conseil pastoral s’est réuni et on a décidé de les accueillir. On les soutenait. Avant, ils étaient passés par Saint Ambroise et ils s’étaient fait virer. Ici, on était tous d’accord, car dans le quartier, il y a un vécu de l’engagement, de la solidarité ».
Simone et Micheline, paroissiennes et habitantes du quartier depuis 1969, hochent la tête. « La mobilisation de 1996 a eu un retentissement médiatique mondial, mais ça ne commence pas là. En 1971, on se souvient de l’assassinat de Djilali Ben Ali dans le quartier, un jeune algérien de 15 ans tué par un concierge. Quand c’est arrivé, cela a rappelé à tous les événements de la guerre d’Algérie. Les CRS étaient partout. À ce moment-là, le mouvement chrétien a appelé à la mobilisation pour lutter contre le racisme. Il y a eu une immense mobilisation, avec de grands intellectuels : Mauriac, Foucault, Jean-Paul Sartre sont venus ».
Un an plus tard, en 1972, le quartier sera marqué par la grève de la faim de Saïd Bouziri, militant et membre associatif actif du quartier, à la salle Saint-Bruno, pour obtenir des papiers français. Il donnera d’ailleurs son nom au square tout proche de l’Église. « C’était bien avant 1996, mais déjà, on essayait de comprendre. On se rendait bien compte que ce qui se passait avec les sans-papiers, c’était délirant. Que les lois étaient inhumaines », explique Éliane.
La foi comme engagement
En 1996, l’accueil des sans-papiers dans l’église n’a donc rien de surprenant. Éliane rappelle :
« J’étais étranger et vous m’avez accueilli. C’est le message même de l’Évangile. On n’a rien inventé. On n’a rien fait d’extraordinaire, on était juste avec eux, dans leur combat. Les comités de soutien travaillaient ; nous, on ne faisait que les héberger. J’étais là quand la police est arrivée pour casser les portes de l’église. Ce jour-là, on a vu de quel côté se situait la violence. Les sans-papiers avaient gagné leur combat ».
Pour Jacques, son mari, la foi est engagement : « On ne peut pas aller prier le dimanche à l’église et pendant la semaine, se foutre totalement des gens qui nous entourent. Avoir la foi, ce n’est pas attendre que Dieu fasse apparaître des papiers pour les sans-papiers. Ça ne marche pas comme ça. Avoir la foi, c’est croire et participer à la construction d’un monde meilleur. Et ça ne passe pas juste par la charité. Ça passe par l’action militante, politique, associative, par le biais de collectifs, par la volonté de changer les structures qui avilissent l’Homme ».
Aujourd’hui, la mobilisation continue. L’hiver dernier, huit Érythréens ont pu être hébergés au presbytère, pendant deux mois. En mars, c’est le centre Emmaüs de la rue des Écluses qui a pris le relais. Des petits-déjeuners sont aussi distribués par des paroissiens, tous les week-ends, aux réfugiés sous le pont de la Chapelle. Florent, arrivé en 2003 dans le quartier, est l’un de ces bénévoles : « On a décidé d’apporter des petits-déjeuners quand les collectifs comme France Terre d’Asile ne travaillent pas. Sous le pont de la Chapelle vivent 70 personnes, majoritairement des Érythréens. On leur sert des omelettes, on discute, on essaie aussi de les aider dans leurs démarches administratives. Aujourd’hui, presque tous ont obtenu le statut de réfugié politique ».
Dimanche matin, à la messe de 11 heures, les bancs de l’Église sont colorés. Simone et Micheline sont là, Jacques et Éliane aussi. Et à côté d’eux, les mamans en boubou sont bien présentes, elles aussi. Trônant sur l’un des piliers de la nef, une tenture rappelle le cri de l’Abbé Pierre, qui finalement se suffit à lui-même pour définir l’esprit de ce lieu : « Vers les autres ».

En savoir plus :
L’expulsion de l’église Saint-Bernard [image d’archives]
L’ouvrage d’Henri Coindé, Curé des sans-papiers, journal de Saint-Bernard, publié en 1997 aux [éditions du Cerf].

///Article N° : 11062

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Les images de l'article
L'église Saint-Bernard, dans le quartier de la Goutte d'Or, Paris 18e. © Noémie Coppin





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