La professeure Lylian Kesteloot réagit, ici, à l’article de Abdoulaye Imourou, Vers une critique africaine globale , paru sur Africultures.com.
L’article du professeur Imorou, paru dans Africultures, je l’ai lu avec beaucoup d’attention et j’en ai apprécié la richesse d’informations autant que sa force synthétique.
J’ai, par contre, été attristée par la façon de rendre compte de ma thèse, et du curieux souci de l’opposer aux théories du professeur Mouralis.
Pour qui nous connaît, il sait que Mouralis et moi avons travaillé ensemble à l’université d’Abidjan, dans le même esprit de promotion « passionnée » n’empêchant pas l’investigation scientifique de cette littérature négro-africaine, dont j’avais tenté la première histoire globale en 1961.
Huit ans après, avec Mouralis, Kotchy, Zadi, Wondji, nos collègues, nous enseignions l’histoire (moi), la sociologie (Mouralis), la poésie (Zadi), et le roman (Kotchy) de cette « littérature négro-africaine, » nom dont ses auteurs s’étaient auto-baptisés, lors du Congrès de 1956. Nous en payâmes le prix car l’ambassadeur de France d’alors fit casser nos contrats de coopérants. (Mais il ne put casser l’amitié qui nous liait tous). Nos contrats furent cassés car on estimait qu’il ne put y avoir une littérature africaine « différente « de la littérature française.
Or, tout le mouvement de la Négritude se faisait contre l’asservissement au régime colonial, et revendiquait sa différence culturelle. Il prétendait à son Indépendance alors même que politiquement la colonisation battait son plein
Il suffit de relire Légitime défense (1932), et L’étudiant Noir (1935), Damas, 1937, Césaire (1939), et enfin Senghor et son Anthologie « nègre et malgache » (1937), et le premier numéro de Présence africaine en 1948. Chaque texte est un geste de refus et d’émancipation. Chaque texte proclame une autre identité, une autre origine, une autre histoire et une autre race ; et chaque teste les revalorisait dans la mesure même où elles furent bafouées, niées, « ravalées à la bête« , (Césaire). Cette exigence fut celle de tous les écrivains et intellectuels noirs jusqu’en 1960 et encore après, durant 30 ans !
Comment un critique « scientifique » peut-il faire abstraction de cette revendication ?
Et si vous me lisez bien, vous verrez que sont aussi signalés les dérives et les excès qui risquaient d’accompagner cette « récupération de l’identité et de la dignité ».
Ce qui fut accompli alors, ce n’est pas « l’exclusion de la littérature africaine hors de la littérature mondiale« , ce fut au contraire la révélation de l’existence d’une littérature étrangère enfouie, noyée, occultée par la littérature française. On reconnaissait l’identité des littératures belge, suisse, canadienne, bien que francophone. A fortiori fallait-il reconnaître la spécificité des uvres venant d’un autre continent !
C’est bien Alioune Diop qui écrit : « il faut affirmer notre personnalité propre ! »
Cette séparation ils l’ont voulue et elle était nécessaire. Pour être reconnue comme une littérature à part entière. Et non plus comme rameau secondaire, auteurs mineurs, périphériques et subalternes. Ce mot que reprennent les post-colonial studies, nombre de critiques le récusent, les écrivains de la négritude, africains d’Afrique ne l’acceptent pas davantage. Quelque soit le sens que lui donnent les Homi Bahba et E. Saïd.
Subalterne en bon français signifie inférieur, subordonné, mineur, accessoire, secondaire, marginal.
Ken Bugul, F. Diome, Glissant, Césaire, subalternes ?
C. Hamidou Kane, Boris Diop, E. Maunick, subalternes ?
Terme impropre. Impossible.
C’était vrai, certes, avant le mouvement de la Négritude. Depuis, tous ces écrivains ne peuvent plus, et ne veulent plus être considérés comme subalternes et n’ont pas à se plier au sens américains du terme.
On nous reproche donc de vouloir imposer des « limites » à cette littérature en la désignant par l’adjectif identitaire « africain ».
Mais encore de vouloir la « limiter » en excluant les écrivains caraïbes d’avant la Négritude, et les deux Africains Hazoumé et Quénum. C’est que les Antillais d’alors se considéraient eux-mêmes écrivains français, et en étaient très fiers.
De même, le Saint louisien Bakary Diallo Il n’avait publié que sa biographie, croyant lui aussi intégrer les lettres françaises, avec gratitude.
Quant aux Africains, c’étaient des chercheurs, des anthropologues savants qui ne prétendaient pas avoir fait uvre littéraire. Pas plus que Lévi-Strauss ne fut considéré comme écrivain.
S’il y a une critique à me faire, et Monsieur Imorou ne le fait pas, c’est plutôt d’avoir omis le récit de Lamine Senghor, La violation d’un pays, que je n’avais pas trouvé en 1961 et dont personne ne m’avait parlé (ni Senghor, ni Césaire, ni Damas, ni Rabé, ni Alioune Diop, ni aucun des écrivains du Congrès de 56).
Ce n’est que beaucoup plus tard, après d’autres recherches (1) que je rencontrai le nom de ce militant qui fonda la Ligue de Défense de la race nègre en 1926, et je l’ai mentionné dans l’édition complétée de ma thèse en 2001 chez Karthala.
J’ai signalé au début de cet article l’abondance de la bibliographie citée par M. Imorou. Vous ne savez sans doute pas qu’en 1958, 59, il n’y avait rien sur l’histoire de la littérature africaine. Rien. Seulement les actes du 1er Congrès de 1956, et les uvres des écrivains qui étaient présents étaient présentés ensemble, groupés comme un bouquet dont on ne distinguait ni l’origine, ni l’itinéraire de chacun !
Ils me fournirent les documents, (revues, manifestes, ouvrages épuisés) et les informations en une série d’entretiens, à Rome comme à Paris. Sans leur aide mon livre n’existerait pas.
C’est pourquoi je ne pense pas qu’elle fait partie de la « bibliothèque coloniale » !
Enfin, est-ce trop demander que les jeunes collègues qui se veulent scientifiques, acceptent de consulter, non seulement ma thèse de 1963, forcément lacunaire, mais aussi la mise à jour de 2001 sous le titre : Histoire de la littérature négro-africaine. (Kharthala 2003)
J’espère y avoir comblé maintes insuffisances, et aussi indiqué les mutations opérées par le Mouvement de la Négritude, et les tendances des nouvelles générations, y compris celle dite « de l » émigration » qui se veut seulement « écrivains tout court »
J’espère demeurer ainsi dans un rôle d’observateur plus que de critique, et rendre compte des divers chemins qu’empruntent les écrivains africains d’aujourd’hui, en fonction des déterminations de leurs lieux d’écriture : Afrique, Caraïbes, et sans tenir compte des modes et des médias.
(1)Et notamment celles de Philippe Dewitte, (l’Harmattan).///Article N° : 13689
Un commentaire
Définition différentes de la littérature negro africaine