à propos de Moi pas Tintin, toi pas Kongo

Entretien de Sylvie Chalaye avec Rassidi Zacharia, Didier Hude et Jean-Louis David

Avignon, Juillet 1999
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Qu’est-ce qui vous a amené à créer un spectacle avec les personnages d’Hergé ?
Rassidi Zacharia : Tintin au Congo est très connu en Afrique centrale. Mais, il n’y a pas grand chose de positif dans cette BD, elle est même plutôt réactionnaire. C’est pourquoi on a choisi d’utiliser simplement les personnages, devenus Tientien et Miloud.
D’une certaine manière la pièce rebondit même sur la dimension raciste de la BD.
Didier Hude : La BD était surtout un prétexte, mais on voulait en faire un détournement. Le regard porté sur l’Afrique par Hergé, il y a soixante ou soixante-dix ans, est très fantasmatique et en plein contexte colonial. Notre idée, c’était de montrer au contraire l’Afrique d’aujourd’hui et sans grande complaisance. On voulait aussi créer un spectacle surprenant, qui exploite le jeu masqué.
Les masques sont inspirés de la commedia dell’arte. Est-ce une démarche habituelle de votre théâtre ?
Rassidi Zacharia : C’est autour de ces masques très particuliers que nous avons rencontré Didier Hude, au Festival de Limoges, à l’occasion d’un stage. Et nous avons alors tous été intéressés par le jeu masqué, car après ce que nous avions vécu sous Bokassa, c’était aussi une façon de nous protéger à l’époque.
Jean-Louis David : On a beaucoup travaillé pour inventer des masques qui ne soient pas artificiels, mais qui reflètent les visages africains, qui soient la vraie émanation des personnages comme le sont les masques de commedia.
Il y a quelque chose de très ludique et de très ingénieux en même temps dans la conception des costumes. Comment avez-vous trouvé ces idées ?
Jean-Louis David : C’est un travail de longue haleine. On a travaillé avec des professionnels des costumes. On voulait un Tientien et un Miloud qui ressemblent aux personnages de la BD. Mais en même temps, Miloud a une allure humaine et on le voyait avec un mauvais caractère dans un petit costume étriqué.
Didier Hude : La costumière, qui n’était pas africaine et peu habituée à ce travail sur l’image que l’on souhaitait, a eu du mal avec notre univers, et au début on a dû lui faire refaire tous les costumes. Puis, à chaque fois qu’elle apportait des propositions nouvelles, elle sollicitait aussi les nôtres. C’est ainsi que les costumes se sont élaborés tout doucement à partir de l’univers créé par les masques. Les costumes se sont fabriqués dans le prolongement des masques et de l’atmosphère que l’on commençait à mettre en place derrière, avec les couleurs du décor. Les matériaux, les formes s’imposaient pour habiter l’à-plat de la bande dessinée présente dans le fond.
Il y a une vrai réussite, une vrai harmonie dans ce rapport des personnages au décor.
Didier Hude : C’est un travail d’équipe avec les régisseurs, les frères Pinault qui ont travaillé sur les lumières et la confection des couleurs. Le décor a été construit près de Nantes, c’est une structure en aluminium et en toile, des matériaux qu’on utilise dans les chantiers de constructions navales. Ce sont des matériaux plus coûteux au départ, mais qui ont le mérite d’être très légers. Ce qui coûte beaucoup moins cher pour les tournées.
Rassidi Zacharia : C’est un décor conçu pour jouer en plein air, sur les places publiques en Afrique. Il fait office de loges et de paravent.
Le spectacle propose une esthétique assez originale, mais s’en prend aussi à un certain folklore et à certains enjeux économiques qui asphyxient le théâtre africain.
Rassidi Zacharia. On s’est beaucoup amusé avec cet intermède. Pour certains en effet il n’y a pas de spectacle africain vivant sans danse africaine. On nous avait d’ailleurs conseillé d’en rajouter dans notre Ubu PéDéGé… !
Vous vous êtes amusés, mais c’est important de faire entendre cela au spectateur qui ne s’était peut-être jamais vraiment posé la question de ce qu’est le théâtre en Afrique, se laissant piéger par les clichés ambiants.
Didier Hude : Notre projet artistique est d’inventer un autre type de théâtre, un théâtre de confluences culturelles différentes. Mais ce qui nous importe aussi dans notre démarche professionnelle, c’est de créer une école de formation théâtrale à Bangui pour travailler sur de vraies exigences en matière de parti pris artistique, pour mener une réflexion sur le rapport du théâtre à la vie, pour contribuer aussi à la construction des réseaux économiques qui permettent au théâtre de vivre. En Afrique centrale, il y a eu des embryons qui n’ont pourtant pas survécu, tant ils sont fragiles, comme le Rocado Zulu autour de Sony. Mais la disparition de Sony et les troubles politiques en ont eu raison. Comment convaincre les autorités locales de la nécessité du théâtre ? On essaie de travailler pour sensibiliser les politiques de tout bord, afin qu’ils se rendent compte que l’art peut aussi participer à sa manière au développement économique. C’est un pari assez ambitieux qui ne consiste pas seulement à produire un spectacle, mais à réfléchir sur les conditions qui font que le spectacle peut vivre et à quel point le développement du théâtre est aussi symptomatique de la mise en place de la démocratie.

///Article N° : 963

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