à propos de Tableau Ferraille

Entretien d'Olivier Barlet avec Moussa Sene Absa

Ouagadougou, Fespaco 97
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L’art aide à rendre les gens heureux en les aidant à digérer la vie : il permet d’avoir prise sur ce qui nous entoure… J’essaye de faire abstraction de tout ce que je connais. L’ennemi de l’art, c’est l’ennui. L’artiste doit rester inventif car c’est une façon de croire en Dieu. Nous sommes des cousins de blagues de Dieu. Sa création est parfaite et nous en faisons une parodie. Elle doit être sincère. Je suis dans mon travail en quête d’une beauté absolue.
L’art n’a pas de discours : ce qui est beau ne se définit pas, il est de l’ordre du divin. L’art n’est pas parcellaire, il réunit toutes les expressions. Il est la nourriture de l’âme : il ne peut être ordinaire. La chance c’est de faire chaque jour le tour de sa tombe sans jamais y tomber. Les images que j’ai dans un film ne sont pas naturelles : elles sortent de ma culture qui guide mes pas. L’essentiel est de l’écouter.
Je suis parti de mélodies qui me sont venues comme une urgence. L’art ne se maîtrise pas… Dans notre métier, on y est pas pour beaucoup si on est sincère.
La vie est plus forte que l’invention ou la parodie de la vie : je préfère donc les décors naturels. Les objets ont une âme. A Tableau Ferraille, le métal est travaillé par le soleil, la poussière, la pluie, la main de l’homme. L’art n’est pas prétentieux, comme dans les musées d’art moderne ! Dans le décor naturel, tu sens la vie des gens et l’aura des choses. Je ne construirai jamais un décor en Afrique.
Mohamed Ali dit :  » la vie est comme un combat de boxe : une fraction de seconde d’inattention et tu es KO « . Une vérité nous dépasse : la quête qui nous mène quelque part, on ne sait où. La vie est dérisoire. L’enjeu de la vie, c’est la foi. Quand Dam dort (ou est mort) devant le cimetière : ce qu’il a été est dérisoire, mais il a la conscience tranquille pour dormir en paix.
Dans ce film, je veux dire : Afrique réveille-toi. On te demande d’aller trop vite. Quand un train va partir, on court derrière le train ou on attend un autre train. L’Afrique s’est embarquée dans un train sans savoir où il mène. Je préférerais qu’on attende un autre train où l’on trouve notre place et sachant où le train va.
L’Afrique va trop vite. Elle devrait être le dernier rempart d’un monde en danger, la dernière zone de repli de l’humanité, où l’on peut retrouver les valeurs perdues avec la civilisation post-moderne. L’Afrique ne doit pas rentrer dans cette course. Si Dam a chuté, c’est qu’on lui a demandé d’être féroce et d’aller vite : il faut construire ce barrage, ce pont, il faut la passation de marché.
Et si on avait le temps de réfléchir, de laisser chaque peuple aller à son rythme : l’Afrique est en train de forcer son destin, c’est ce que dit mon film, alors qu’on a rien en commun avec les autres.
Bien sûr, dans Tableau Ferraille c’est au vitriol car c’est ma façon de le dire. L’Afrique peut inventer son système économique et politique. Tous les  » ismes  » n’ont fait que la tuer (multipartisme, économisme etc). L’Afrique doit trouver son propre système. Cela demande du courage.
La notion de sang est importante chez l’homme : chaque homme rêve d’avoir son ombre ! Dam veut un enfant. Je crois aux cycles naturels de la vie, irréversibles. L’homme n’y peut rien : c’est du domaine de la création, loin de toute rationalité.
Qu’a fait l’Afrique depuis les indépendances. L’Afrique a des problèmes car, comme on dit chez nous : si tu laisses ta calebasse et que tu t’assieds sur une autre, elle va se casser et quand tu retourneras à la tienne, quelqu’un d’autre s’y sera assis. On nous a baratiné : on vit le diktat de la Banque mondiale et du FMI, avec leur notion du développement. On peut être connecté au système international en gardant ses propres valeurs (cf les calebasses), en gardant les pieds sur terre, c’est-à-dire ses racines. Un arbre sans racines ne pousse pas. L’Afrique veut fleurir sans racines, c’est son drame, en prenant les autres qui sont sans racines.
Je n’ai jamais voté : le pouvoir s’hérite ! Le pouvoir est de nature divine : c’est Dieu qui donne le pouvoir. Tu ne peux pas corrompre le Moro Naba : il a une vision du monde héritée de ses parents et ancêtres.
Le système ne correspond pas au rêve de Dam : c’est le système qui le refuse.

///Article N° : 2498

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