ABC Africa

D'Abas Kiarostami

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Cela commence par un fax qui sort de l’appareil sous nos yeux. C’est le programme « Actions des femmes ougandaises pour sauver des orphelins ». Pas bête : un cinéaste mondialement célèbre pourrait efficacement y contribuer par un film. Et c’est réussi : il est présenté hors compétition à Cannes !
Il cite les chiffres car les chiffres sont éloquents : sur 22 millions d’Ougandais, 2 sont morts du sida, 2 sont séropositifs et 2 million d’enfants sont orphelins en 2002. Et d’entrée, la recherche de la bonne distance. Arrivée à l’aéroport, plan sur les valises, plan sur le chauffeur. Et une demande : mettre une cassette de musique ougandaise. Ce sera la clef du film : la musique, la danse offriront l’alternative au regard misérabiliste que le cinéaste veut éviter à tout prix. Car il ne connaît pas l’Afrique et ne peut qu’offrir un regard parfaitement extérieur. Le film n’hésitera malheureusement pas à nous infliger le regard découverte sur un marché, la caméra baladeuse en pêche d’anecdotes dans les échoppes, dans le creux des ruelles ou sur les visages rieurs des enfants. On joue ainsi avec les caméras vidéo : Kiarostami est filmé par son assistant Seifollah Samadian en situation et n’hésite pas à l’appeler à un moment où il sent « un sujet », en l’occurrence une maison presque en ruines où vivent des familles d’instituteurs. On se ballade ainsi d’un sujet à l’autre, la caméra zoome plus que de raison, cadre de façon un peu fantoche, improvise en somme et Kiarostami le revendique : « J’ai toujours cru que « l’esquisse » contenait quelque chose de plus que le produit final. »
Pas si mal, l’esquisse. Parce qu’elle nous montre que les femmes s’organisent en tontines et versent 3% à un fond d’urgence en cas de décès. Parce qu’elle nous montre une femme de 71 ans à qui le sida a pris ses onze enfants et qui en prend 35 chez elle pour les élever ! Parce qu’elle nous montre comment, sous la pression de l’église, les publicités pour les capotes « Life Guard » sont masquées de noir, la hiérarchie catholique ne supportant pas tout ce qui aurait une allure de planning familial et étant persuadée qu’il s’agit d’une incitation à la débauche.
Il y aura quand même les images des enfants malades à l’hôpital et puis il n’en peut plus et pour montrer les adultes, ce ne seront qu’arrêts sur image. L’anecdotique a l’allure de drame et il ne recule pas devant le difficile empaquetage dans un carton du corps d’un enfant mort, ramené sur le porte-bagages d’une bicyclette.
Lorsqu’une bonne centaine d’enfants aux t-shirts jaunes claquent des mains en chantant, Kiarostami au beau milieu les fait claquer des mains en l’air. Et eux de s’exécuter, bien sûr. Ce mélange de construction et de documentaire montre l’étoffe d’un cinéaste qui ne confond jamais regard cinéma et réalité, et n’hésite pas à organiser le sujet pour concourir à ce qu’il veut exprimer. Mais qui ne s’en cache pas !
Il osera ainsi ce qui est sans doute le plus long écran noir de l’histoire du cinéma : à minuit, même dans l’hôtel, l’électricité est coupée. Et voilà nos deux hommes à essayer de retrouver leur chambre dans le noir absolu. Le son remplace la lumière mais le message est clair : il y a ici une obscurité terrible qui demanderait davantage de clarté. A la recherche d’un abécédaire…

Iran, 2001, 1 h 24, prod. et distr. MK2, sortie France le 24 octobre.///Article N° : 34

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