Tourné en tamazight en 2013 et bien accueilli dans de nombreux festivals, Adios Carmen est sorti dans les salles belges mais pas encore en France. C’est dommage : ce film sensible nous en apprend beaucoup sur la société coloniale marocaine sous domination espagnole à l’heure où les tensions sont encore trop vives entre les deux peuples.
Dédié à sa grand-mère, sa mère et
à Carmen, Adios Carmen puise dans les souvenirs d’enfance de Mohamed Amin Benamraoui. Il adopte le point de vue du jeune Amar, 10 ans, trop jeune pour comprendre ce qui l’entoure mais déjà assez marqué pour trouver sa voie face à la violence à l’uvre, aussi bien dans la société coloniale que dans sa propre famille. De fait, le film décrit un milieu dur où chacun est un loup pour l’autre, mais où les enjeux restent les relations affectives. Car dans le contexte de l’annonce en 1974 par l’Espagne d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental, de la Marche verte du 6 novembre 1975 pour s’y opposer en prenant possession du territoire et de la mort de Franco le 20 novembre, ce petit monde de Nador tremble encore de l’ambigüité de son rapport d’amour-haine envers l’ancien colon (les provinces du nord étaient sous protectorat espagnol jusqu’en 1956). Belle et attirante étrangère, Carmen (incarnée en retenue par l’actrice chilienne Paulina Gálvez), réfugiée antifranquiste, attise les désirs et cristallise la relation à l’Europe. Les contingences sociales et politiques restreignent singulièrement les possibles, mais Amar sera son messager dans son amour impossible avec un jeune Marocain. Caissière au cinéma de la ville, elle laisse entrer Amar qui se passionne pour les films de Bollywood, y revivant les émotions de ses difficultés familiales, en attente de sa mère qui a dû partir se remarier en Europe et sous la coupe d’un oncle alcoolique et violent. Cet ogre désire Carmen, devenue par son amitié simple une figure maternelle de remplacement pour Amar.
C’est ainsi un conte que nous raconte Mohamed Amin Benamraoui, où dans la relation Maroc-Europe un messager d’innocence est nécessaire, celui qui ne s’embarrasse ni de haine ni de politique, et ne recherche dans cette histoire commune que l’amitié et l’émotion du cinéma partagé. Voici donc dans le regard d’Amar un cinéaste au message simple dans un film simplement touchant qui aligne sans tambours ni trompettes, dans un classicisme assumé mais avec une belle maîtrise, quelques originalités marquantes. Il est en effet rare que le cinéma marocain provienne du Rif et parle Rifain, rare que l’émigration soit traitée du point de vue de ceux qui restent et encore plus de l’oeil d’un enfant, rare encore que le point de vue nationaliste soit écorné au profit d’un appel à la relation humaine. Benjalil Amanallah a une vraie présence pour camper un Amar que l’adolescence n’a pas encore affiné, qui n’est donc pas le mignon de service pour émouvoir la galerie. Il incarne la difficile rencontre interculturelle dans un contexte de division. Film sincère et profond, Adios Carmen fait uvre de mémoire mais vibre dans le présent.
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