Africultures, une utopie sans cesse renouvelée

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« Alors il nous faudra avoir la patience de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ; la force d’inventer au lieu de suivre; la force « d’inventer » notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent ».
Aimé Césaire

Africultures nait en 1997. Son ambition : ouvrir un espace d’expression des pensées venues des Afriques et de leurs diasporas à travers le monde. Dans le prolongement du journal La lettre des musiques et des arts africains, un collectif d’universitaires, journalistes, auteurs et artistes en tous genres accouche donc d’une revue ambitieuse. Ses pages s’ouvrent à des analyses de fond et des créations portant sur les enjeux de la culture. La revue Africultures poursuit ainsi le rêve des divers projets multiculturels et panafricains au sens large, qui ont vu le jour durant un siècle.
Africultures est un lieu où se croisent les pensées, comme furent des carrefours et des espaces de dialogues La Revue du monde noir, le Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956 ou la Revue Noire. A ces projets qui s’expriment par le papier et de grands événements, Africultures raccorde celui de la promesse technologique qui pointe : internet et le libre accès au savoir pour tous. Dès 1998, le site Africultures.com propose en effet des articles en accès gratuit en ligne.
Les grandes questions culturelles de cette fin de 20e siècle sont abordées et expliquées par Africultures, à l’instar des toutes premières revues transdisciplinaires qui paraissent, mensuellement, à l’époque : « Produire en Afrique », « La critique en question », « Les Grands lacs et après ? », « L’esclavage aboli ? », « Africanité du Maghreb » ou encore « L’écrivain face à l’exil ».
Si le questionnement et la déconstruction des regards occidentaux sur les productions culturelles des Afriques est un moteur de l’initiative Africultures, l’est tout autant celui de documenter des dynamiques culturelles qui le sont peu à l’époque. Et ce, par une pluralité de voix. Souvenez-vous des interviews de Patrice Nganang avec Mongo Beti, des reportages dans le Kinshasa culturel signés Marie Louise Mumbu, de la littérature ougandaise documentée, des sorties disques chroniquées par Soeuf Elbadawi et Samuel Nja Kwa, des écritures théâtrales noires décryptées par Sylvie Chalaye, du précieux dossier consacré à « écrire le Rwanda » coordonné par Boniface Mongo-Mboussa, de la scène hip hop africaine racontée par Gérald Arnaud, des analyses de l’écrivain Boubacar Boris Diop, de l’accompagnement de Ayoko Mensah à l’écriture de l’histoire des danses contemporaines, des critiques hebdomadaires (encore aujourd’hui) de cinéma de Olivier Barlet et de tant d’autres documents précieux aujourd’hui. Des personnalités issues des immigrations post-coloniales prennent la plume pour exprimer de nouveaux regards. Souvenez-vous du débat qui avait animé Raharimanana, Alain Mabanckou, Sami Tchak ou Waberi, au cœur des années 2000 : l’écrivain africain est-il forcément un écrivain engagé ? Une question qui opère une « révolution littéraire » en déplaçant enfin le débat sur la poétique et non plus la politique des textes africains. Universitaires, artistes, journalistes, et tutti quanti se retrouvent à Africultures.
10 ans passent et la revue Africultures circule, en Europe, en Afrique, dans les universités américaines.
En France, les révoltes des quartiers populaires en 2005 permettent l’émergence de la question de la diversité dans l’espace politique et public. Elles ouvrent une seconde ère, car désormais la France et ses institutions commencent sérieusement à s’interroger et à remettre en question leurs représentations historiques, politiques, médiatiques et culturelles. Afriscope, le magazine gratuit d’Africultures apparaît alors en 2007. Distribué dans les théâtres, bibliothèques, salles de concerts, centres socio-culturels, le mag accompagne les nouvelles dynamiques citoyennes qui se développent, à l’instar du collectif de lutte contre le racisme par l’humour, Les indivisibles, du mouvement Stop le contrôle au faciès, jusqu’aux mobilisations contre les violences policières en 2017. Afriscope suit aussi de près les nouvelles voix artistiques qui racontent les histoires migratoires que l’Etat français et le récit national tendent encore à nier. Le slameur D’De Kabal, Mouss et Hakim et leur projet Origines Contrôlées, ou encore la créatrice Sakina M’Sa font la couverture du magazine à ses débuts. Africultures s’introduit ainsi dans les espaces périphériques, les quartiers populaires. De sa présence active dans les foyers de travailleurs migrants franciliens, naît le « Carnet en français facile », un outil d’apprentissage de la langue française à partir des contenus éditorialisés du magazine Afriscope.
Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une troisième ère, celle des interconnexions, des intersectionalités, des communautés d’intérêts. L’utopie d’un échange direct entre les différentes sphères culturelles des Afriques et de leurs diasporas ne l’est plus tant que ça. C’est désormais une réalité. Alors qu’il y a 30 ans, seules quelques minorités d’intellectuels, d’artistes et de militants pouvaient se rencontrer pour échanger et partager, il est heureux de constater que la démocratisation des moyens de communication a rompu les barrières et les frontières.
Le rôle d’Africultures aujourd’hui et dans les années à venir est de continuer à servir ces échanges en tant que carrefour des idées. Fort de sa base de données recensant plus de vingt ans de travaux, Africultures se doit de devenir l’encyclopédie dématérialisée des cultures passées, présentes et futures des Afriques et de leurs diasporas, tout autant qu’un rendez-vous des actualités culturelles.
C’est un projet auquel nous croyons, et ce, grâce à 20 ans d’activisme intellectuel et créatif sans relâche porté par une poignée de « rêveurs» qui se sont donnés les moyens de leurs idéaux, rejointe ponctuellement par des milliers d’autres « utopiques » sans qui cet espace ne peut exister. Un projet qui n’a pas pris une ride tant nous pouvons affirmer à nouveau les mots écrits dans le premier éditorial de 1997 : « l’engagement, la lisibilité, la compétence, l’ancrage dans l’actualité ». Tout autant que nous nous sentons animés par la même conviction, c’est-à-dire celle qu’ : « un [espace]sur les expressions culturelles africaines est viable et nécessaire, […]ne signifie pas recréer le ghetto mais être un lieu de pluralité, d’échange, de réflexion, d’un approfondissement sans hermétisme qui favorise les débats et donne au maximum la parole aux acteurs de ces cultures »
Héritiers et héritières de cette histoire, nous qui nous sommes construits avec les revues Africultures dans nos bibliothèques, qui y avons trouvé, à différents moments, un espace de réflexion, de débats, de créations, nous prolongeons le rêve,conscients aussi des chantiers à entreprendre.

Le rêve bien réel d’Africultures qui est le vôtre aussi.

Africultures

Tribune signée par la rédaction Africultures et publiée initialement dans la revue Something We Africans Got 

 

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3 commentaires

  1. Barnabas TCHINDA le

    J’ai bien reçu.cette information. Je vous en remercie. J’en profite pour souhaiter à toute l’équipe mes Vœux les Meilleurs pour cette nouvelle ANNEE 2019.
    Je m’inquiète sur le constat suivant:
    Quel est le bilan actu sur l’existence de ce Mouvement ?
    Qu’est ce que ce Mouvement a pu changer sur le Continent Africain ?
    Quels sont les facteurs de motivation qui nous attirent à vous rejoindre?

    Bien cordialement,
    Barnabas TCHINDA.
    Tel: 06.18.05.18.10.

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