Certains pays d’Afrique justifient pleinement la réputation de « continent sans Bd » qui lui a été attribué à tort durant de nombreuses années. Les raisons en sont diverses, mais quelques pays peuvent effectivement être considérés comme Terra incognita en la matière, tant leur production est numériquement faible et peu connue.
La bande dessinée djiboutienne se limite à un seul nom : celui de Osman Houssein Barkadleh qui, en 1998 et 1999, a édité aux éditions Rift Valley deux albums en français : Arawelo, la reine diabolique et Les aventures d’Igal Chidad. Dans ce pays assez peu peuplé, les maisons d’édition sont rares : on ne peut y compter que Couleur locale SARL qui publie essentiellement des ouvrages touristiques et qui a participé à l’aventure de la collection Caméléon vert avec Edicef essentiellement consacrée à la littérature jeunesse. Aucune revue pour la jeunesse n’a été éditée à ce jour.
En décembre 2005, les 5e Jeux de la francophonie qui se déroulaient au Niger se sont caractérisés par une exposition de planches de bandes dessinées importées du Festival international d’Angoulême. Cet événement a été salué dans la presse car le Niger n’a pas une grande tradition nationale de bande dessinée. Auparavant, la seule manifestation de ce type concernant le 9ème art concernait la venue de Hector Sonon en 2004 en accompagnement de l’exposition A l’ombre du baobab présenté à l’occasion de Lire en fête.
Deux ans après, le seul numéro d’une publication pour la jeunesse, Nous jeunes (n°000, mai 2006), comptait les 5 premières planches d’une bande dessinée de Léo H. Mpessa : Raicha et les scorpions,mais l’arrêt apparent de cette revue ne permit pas à la série de continuer.,Une bande dessinée cartonnée sur le Sida fut publiée avec le soutien de l’Agence luxembourgeoise pour la coopération et le développement, Lux – development S.A, en partenariat avec le ministère de la santé mais celle-ci était l’uvre de deux artistes
. Congolais, Barly Baruti et Thembo Kash, avec la collaboration de l’Association nigérienne Crayons de sable (en particulier Boulama Adam Boundi, qui a participé aux manifestations des Jeux de la francophonie, et Djibo Sani).
Le bilan est donc maigre pour ce grand pays de la francophonie. Il est dû à l’absence d’école d’art sur le territoire et à la faiblesse de l’édition, en particulier dans le secteur de la jeunesse où les tentatives sont rares. Le pays compte une douzaine d’éditeurs : Ed. Nathan Adamou, Ed. Belle Afrique, Ed. Alpha, Ed. Daouda, Ed. Afrique lecture, Ed. Fleur du désert, Ed. du Ténéré (située en France), Gashingo (publie en langue nationale), IRSH (spécialisé en sciences humaines), INDRAP (spécialisé dans le développement), CELHTO (spécialisé en ethnologie). Toutes ces maisons ne publient que trois ou quatre titres par an, diffusés dans la dizaine de librairies du pays.
Quelques titres pour la jeunesse ont été publiés en langues locales (haoussa, zarma, tamachek, kanouri…) au début des années 2000 par les éditions Albasa, émanation de la GTZ, avec quelques illustrations en noir plutôt malhabiles et rarement identifiables. Une collection « Hirondelle » regroupe de petits albums bilingues illustrés en couleur par Boukari Mahamadou Bahari (de Zinder) et Djibril Abdoul-Wahid, avec le soutien du Ministère de l’éducation nationale. Mais c’est à peu près tout.
En matière de presse, outre le quotidien officiel et pro – gouvernemental, Le Sahel, de nombreux hebdomadaires (en moyenne une vingtaine) fleurissent régulièrement et disparaissent souvent après 3 ou 4 numéros. Très peu d’entre eux proposent des caricatures, à plus forte raison des BD. Toutefois, les dessins d’Aguelasse font régulièrement la une du Canard déchaîné, « hebdomadaire satirique nigérien » et de La Hache « nouvel hebdomadaire satirique nigérien ». Ce dernier a également publié en 2007 en avant dernière page une petite bd, « Ayouba, le tyran du foyer« , du même dessinateur, financée par Oxfam – Québec et réalisée avec l’ONG FEVVF « dans le cadre des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux enfants« .
La bande dessinée guinéenne se résume à un seul nom : Mory Diane, illustrateur pour la maison d’édition Ganndal, créée en 1992 par Aliou Sow, principal éditeur du pays avec Les classiques guinéens (qui publient en partenariat avec la maison Saint Paul) et la SAEC (Société Africaine d’Edition et de Communication), également créée en 1992, juste après la libéralisation du régime, par Djibril Tamsir Niane.
Ganndal a développé un secteur jeunesse et a co-édité plusieurs albums avec des partenaires français et canadiens. Son catalogue compte plusieurs collections pour la jeunesse : Nimba, La case à palabre et Je découvre – soit une vingtaine d’ouvrages pour les enfants. Une partie de cette production a bénéficié de trois formations d’illustrateurs avec l’association Illusafrica. Malheureusement, ils n’ont pas particulièrement investi le secteur de la bande dessinéeà l’exception de L’interlocuteur, bande dessinée de sensibilisation des jeunes sur les méthodes et techniques de contraception publiée en 1997. La SAEC en a publié deux : la première est Mariam et Hamidou : Un diamant extraordinaire, une bande dessinée d’appoint au manuel scolaire de CM1 et CM2, sortie en 1997 avec l’appui de l’ACCT (devenu Organisation Internationale de la Francophonie depuis) ; la seconde a été éditée en 2006, Le téléphone de Siré, qui raconte l’histoire de la perte d’un téléphone par une jeune fille. Cette dernière a été scénarisée par une lycéenne de 16 ans : Siré Komara.
Toutes ces uvres ont été dessinées (et scénarisées pour deux d’entre elles) par Mory Diane, qui a également illustré près d’une dizaine d’albums pour la jeunesse ainsi que des livres scolaires, dans le cadre de son travail à L’Institut National de Recherche Pédagogique (INRAP).
Mory Diane a également travaillé sur des projets d’aide au développement, pour lesquels il a pu exprimer son savoir faire : ce fut le cas en 1994 avec le projet Education en matière de population de l’Unesco qui a donné lieu à deux bandes dessinées : Le destin (sur le contrôle des naissances) et Tentation (sur le Sida). Mais en dehors de son cas, malheureusement, aucun autre nom n’apparaît, la faute sans doute à un manque de scénario viable (Mory Diane travaille sur ses propres scénarios) et à un certain désintérêt des maisons d’édition locales essentiellement tournées vers l’édition scolaire ou parascolaire, subventionnée par des partenaires étrangers. Pourtant, certaines personnes s’y essaient comme Ibrahima Sory Sylla (qui habite Siguiri) et André Camara (qui réside à Kissidougou).
Enfin, le milieu des caricaturistes n’est pas très fourni mis à part les deux caricaturistes du journal Le lynx, Youssouf Ben Barry (dit Oscar) et Momo Soumah (dit Charlie) ainsi que Fima Diomande de L’indépendant. Mais la vraie raison tiendrait surtout en l’absence d’école d’art performante. Celle qui existait à l’époque de Sékou Touré enseignait un « art national socialiste« , que l’on retrouve chez les graphistes et dans l’illustration jeunesse de l’époque et qui perdure encore par certains côtés. Il y a quatre ans, une école des arts (cinéma, théâtre, arts plastiques) a ouvert mais elle n’a guère de moyens, un mode de sélection défaillant et un encadrement pédagogique inexpérimenté en matière d’illustration ou de BD.
La bande dessinée mauritanienne souffre d’une incontestable discrétion. Seuls trois auteurs se sont fait connaître à l’occasion de la sortie de la Bd collective en 2006, Clin d’il des artistes, soutenu par le Centre Culturel Français Antoine de Saint Exupery. Deux d’entre eux ne sont pas des professionnels. Ousmane Sow, qui dessine Ngaari njawlé, est policier et ne dessine qu’à temps perdu. Il s’est fait remarquer en 2000 avec une brochure de prévention sur La dracunculose ou ver de Guinée publiée par l’Unicef et distribuée dans plusieurs pays. Cheikh Salek Ould Abdellahi, qui signe Cheikh Salek, est professeur d’anglais au lycée de Nouakchott. Avant l’histoire Sauve qui peut ! insérée dans Clin d’il, Cheikh Salek avait réalisé des séries de BD de sensibilisation pour le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP Mauritanie). Artiste plasticien par ailleurs, il a déjà exposé et a travaillé comme formateur en peinture et calligraphie arabe.
Abdul Ba (de son nom Ba Mamadou Adama) est le seul dessinateur comptant une véritable uvre derrière lui. Il est surtout connu comme caricaturiste pour la presse indépendante et ce, depuis 1983 (il est né en 1968), ses dessins ont paru dans plusieurs quotidiens et hebdomadaires qui ont fleuri depuis le début de la période de démocratisation du pays : Le calame, Mauritanie nouvelles, La tortue, l’éveil Hebdo, Al Ankbar, Echtary, Mauritanie demain, Ahbar al Ousboue, La tribune. Sa collaboration avec des ONG lui a permis de dessiner quelques bandes dessinées didactiques : Samba ou le moment de choisir (avec l’ONG World vision en 1998), Sur la route des moustiquaires imprégnées (OMS). Il est également l’auteur de plusieurs uvres qui restent les seules disponibles dans le pays : Le secret des vacances, Boy naar, Le voleur. L’affaire Dakhal Chi, son premier album,édité par le Centre culturel français de Nouakchott en 2000, est le seul à avoir fait l’objet d’une critique dans la presse étrangère, en l’occurrence le N°10 de Takam tikou, le bulletin de La joie par les livres. Abdul Ba est également le seul bédéiste de son pays à avoir participé à un festival international de bande dessinée, celui de Libreville en 1999 (1).
La parution de Clin d’il des artistes avait été suivie par une semaine de la bande dessinée du 16 au 20 mai à Nouakchott en présence du Burkinabé Joël Salo, du Sénégalais Oumar Diakhité et des Français Serge Letendre et Emmanuel Lepage.
Il est encore un peu tôt pour y voir le réel démarrage de la bande dessinée en Mauritanie, mais plutôt un signe d’espoir dans un pays partagé entre deux langues (l’arabe et le français) et qui ne compte que très peu d’éditeurs.
Le seul bédéiste burundais connu est Joseph Désiré Nduwimana, présent dans Matite africane, l’anthologie de la BD africaine de Africa é Méditerranée de 2002 avec un inédit, Sahabo. Nduwimana a également publié au Burundi en 2000, La paroisse Saint Michel en kirundi et Kagabo en français. En dehors de ces deux exemples, la seule bande dessinée récente a été éditée en 2003 par l’ONG Search for common grond au Burundi. Elle a publié en collaboration avec une association locale de jeunes, Jamaa, une bande dessinée sur les violences auxquelles le pays a été confronté, intitulée Le meilleur choix et récompensée en 2003 par un prix Unesco.
Cette situation n’est pas nouvelle puisque dans les années quatre-vingt, les seules BD publiées au Burundi étaient principalement l’uvre d’un artiste congolais, Albert Ilunga Kaye (2) : « G » et anti Gatarina (1983), Les aventures de Musa : la coupe (1989) et SIDA 6 Nta mpari yarashitse (1990).
Les raisons objectives à l’absence du 9ème art dans ces 5 pays existent : le tissu éditorial y est fragile et peu d’éditeurs veulent prendre le risque de publier de la bande dessinée pour une population au faible pouvoir d’achat, au fort taux d’analphabétisme et où le livre est très mal diffusé. La démocratisation récente de la presse, avec son corollaire habituel que sont le dessin de presse et la caricature, n’a pas encore permis de faire surgir un vivier de dessinateurs susceptibles de faire connaître leur univers graphique. Du côté des créateurs, enfin, l’absence d’école des beaux arts dans la plupart des cas est incontestablement un frein supplémentaire.
En outre, dans le cas de quatre de ces pays (à l’exception du Burundi), la présence largement majoritaire de l’islam entraîne une faible présence des éditeurs chrétiens, soutien traditionnel de la bande dessinée africaine (l’activisme de Saint Paul dans ce domaine est frappant).
Mais toutes ces raisons ne peuvent complètement expliquer l’absence totale de bande dessinée. Celle-ci existe de façon très vivante dans des pays qui, hormis l’aspect religieux, présente des similitudes : RDC, Madagascar, Congo, Rwanda, etc.
La différence ne tient peut-être à pas-grand-chose, à ces quelques passionnés qui entraînent tout un mouvement, à ces rencontres qui provoquent des déclics, à cette émulation qui se crée autour de manifestations, à ce petit grain de folie qui fait que certains mordus de la BD veulent en faire un métier envers et contre tout. Bref, comme dans les autres formes d’expression artistiques, la naissance d’un courant du 9ème art tient du mystère et d’un peu de magie ; ces cinq pays ont, sur ce plan-là, beaucoup de chance : l’avenir est devant eux
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1. Sa fiche de l’époque est d’ailleurs disponible sur http://www.f-i-a.org/jabd/ba.htm.
2. Qui, devenu depuis « pasteur », publie maintenant à Kinshasa des BD politiques sur la situation de la région dont une en particulier intitulée Burundi démocra – crash !Note de l’auteur : Je remercie Jean Charles, Marie Paule et Saliou pour leur collaboration active et efficace.///Article N° : 7034