Analyse : Séries TV en Afrique

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En Afrique, la télévision a depuis longtemps supplanté le cinéma. Clips musicaux, journaux d’infos et séries TV sont autant d’événements qui réunissent les familles autour du petit écran. Après avoir interrogé plusieurs journalistes ou critiques de cinéma du continent (Côte d’Ivoire, Angola, Maurice, Kenya, Afrique du Sud et Algérie), Africultures décrypte pour vous les tendances et influences qui se dégagent des écrans.

Depuis son arrivée dans les foyers dans les années 1970-1980, la télévision n’a jamais perdu son audimat en Afrique, supplantant, au contraire, sa grande concurrente qu’était la salle de cinéma. Si l’Afrique du Sud ou le Kenya possèdent des multiplexes, la sortie ciné demeure dans beaucoup de pays exceptionnelle alors qu’allumer la télévision est entré dans les mœurs de nombreuses familles – pour ne pas dire la plupart de celles qui ont accès à l’électricité.

Suite aux entretiens menés par Africultures auprès de six journalistes, de six pays différents (Côte d’Ivoire, Angola, Maurice, Kenya, Afrique du Sud et Algérie), voici plusieurs tendances se dégageant de la consommation de séries TV en Afrique.

Public plébiscité : les femmes

Longtemps source de réussite financière, le petit écran est progressivement devenu un objet lambda, utilisé différemment selon la classe sociale ou le genre de son public. Il y a dix ans, lors d’un colloque sur « Les enjeux de la télévision en Afrique » organisé par Canal France International, la Secrétaire générale du conseil supérieur de la communication du Burkina Faso Alina Kaola expliquait d’ailleurs que le public africain pouvait être divisé en trois catégories : « le public citadin, urbain, lettré et exigeant, le public jeune et la grande masse de la population rurale en majeure partie analphabète » (2). Et soulignait le fait que : « Tant que (les télévisions) ne (s’) adresseront pas aux populations rurales dans leur langue, la télévision restera élitiste et citadine et ne sera donc pas véritablement africaine« .

Concernant notre zoom sur les séries télévisées en Afrique, le public – quelle que soit sa catégorie sociale – semble avant tout féminin. Le rédacteur en chef ivoirien Yacouba Sangaré l’explique parce que les femmes adorent « rêver« , avant de préciser que « dans ces séries, chaque femme retrouve au moins une situation qu’elle a vécue« .
Même constat du côté du Kenya où les chaînes locales sont, d’après le journaliste kenyan Mwenda Micheni, « très friandes du public féminin » alors que, semble-t-il, « les hommes regardent davantage les journaux télévisés« .
La femme algérienne demeure également « la première cible des feuilletons » avec des diffusions prévues à des horaires stratégiques : « 13h pour les femmes au foyer et 19h pour les femmes actives et les étudiantes« , affirme le rédacteur en chef Salim Aggar.
Il serait donc intéressant, en mettant en perspective ce public féminin avec les recherches de l’universitaire français Jean-Pierre Esquenazi, de savoir «  comment les objets eux-mêmes (surtout les films) agissent sur les publics pour reconduire l’assujettissement des femmes par les hommes  » et si les sujets abordés par les séries ainsi que les horaires de diffusion choisis par les chaînes télévisées elles-mêmes, participent ou non à cet assujettissement (1).
Du côté de l’Angola, de l’Île Maurice et de l’Afrique du Sud, en revanche, les séries télévisées visent un public plus large. « C’est plutôt une forme de détente familiale« , avance ainsi la critique de cinéma Luisa Fresta au sujet de l’Angola. « Tout le monde suit au moins une série« , affirme le journaliste mauricien Jeannot Poisson. « L’Afrique du Sud possède un public varié très actif, quel que soit sa race« , analyse quant à lui le journaliste Sihle Mthembu.

Thématique préférée : l’amour

Mais pour expliquer pourquoi les spectateurs visés sont souvent des femmes, ou pourquoi les femmes regardent davantage les séries TV – c’est selon – il faut se tourner du côté des thématiques des séries TV, principalement axées autour de l’amour.
« Les émotions, en général, sont avidement consommées par les spectateurs » résume Luisa Fresta au sujet de la série à succès Windeck, qui cartonne depuis 2012 en Angola, où histoires d’amour et jalousies se cristallisent autour d’une famille bourgeoise propriétaire d’un magazine de mode.

Dans les années 1976, la série Comment ça va ? dénonçait, en Côte d’Ivoire, les tares de la société sur fond d’humour, mais aussi « les problèmes de couple, comme par exemple cette propension à avoir un  » second bureau « , entendez une relation extraconjugale« , explique Yacouba Sangaré.
Romance, intrigues et suspense étaient également au programme de la mythique Voisin, Voisine (1997), série TV mauricienne qui racontait, à travers un « feuilleton-fleuve« , une intrigue reposant « sur la relation entre deux individus que tout oppose : un Mauricien de foi hindou – et de classe moyenne – et une catholique issue d’une famille aisée« , rapporte Jeannot Poisson. Ou dans la série Vioja Mahakamni, diffusée depuis 50 ans au Kenya, et racontant avec humour les affres de différents personnages dans une Cour de Justice.
Deux pays se distinguent néanmoins de cette tendance : l’Afrique du Sud, qui, selon Sihle Mthembu, est plutôt intéressée par l’identité, le crime, la corruption et ses conséquences comme dans Generations, le plus grand succès télévisé sud-africain depuis 1994, qui se déroule dans l’industrie de la publicité.
Et l’Algérie, où, selon Salim Aggar, les spectateurs affectionnent particulièrement la lutte des classes comme dans la série El Harik, qui, dans les années 1970, abordait le sujet de la souffrance sociale du peuple face à la colonisation française.
L’impact de ces séries nationales ne doit pas être pris à la légère. Si les sociologues ayant étudié la réception « active » ou « passive » par les spectateurs de ce type de contenu, le sociologue franco-néo-zélandais David Buxton a lui souligné dans son ouvrage Les séries télévisées. Forme, idéologie et mode de production, que la série, entendue comme « forme marchande » est avant tout un produit culturel industriel véhiculant une idéologie sous-jacente (3). Ainsi le contenu et l’impact des séries télévisées sur le public ne doivent en aucun cas être dissociés.

Recettes à succès

Pour obtenir du succès, nos spécialistes ont joué le jeu de réfléchir aux ingrédients qui séduisent le public de leur pays.
Ainsi, pour Yacouba Sangaré (Côte d’Ivoire), ce serait « le vécu, le contexte et un bon casting« . Selon Luisa Fresta (Angola), « l’amour, la trahison et le glamour« . Pour Jeannot Poisson (Maurice), il faudrait plutôt partir du côté « du drame, du suspense et de l’intrigue« . Mwenda Micheni (Kenya), miserait davantage sur de « la comédie, de nouveaux acteurs et de l’innovation« . Sihle Mthembu (Afrique du Sud), conseille quant à lui de sélectionner « des acteurs connus« , de tourner « à Johannesbourg » mais surtout de ne pas être diffusé aux mêmes horaires que Generations, LA série à succès. Enfin, pour Salim Aggar (Algérie), « de l’action, des stars et de l’Histoire » semble être le meilleur gombo pour séduire le public.

Influences brésiliennes

Ces recettes ne sont pourtant pas une chasse gardée des réalisateurs africains. Ainsi, le Brésil arrive en tête des pays exportateurs de séries cités. Si la proximité linguistique avec l’Angola est justifiée (le portugais), sa diffusion à l’échelle continentale interroge.
C’est pourtant parce que le pays a, depuis les années 1960, « développé une puissante industrie autour des feuilletons télévisés » et régulièrement produit »des séries destinées à toutes sortes de publics et de qualité très variée » (dixit Luisa Fresta) que l’exportation de ses productions télévisées est possible. Et parce que ses scénarios accrochent le public, comme en atteste Jeannot Poisson : « les multiples intrigues familiales et rebondissements sentimentaux ont toujours attiré un grand public à Maurice« .
Dans son étude publiée sur le site Inaglobal, Erika Thomas précise d’ailleurs qu’en 2006/2007, le Brésil exportait ses séries dans une centaine de pays, dont 25 % sur le continent africain : « L’Afrique est une autre zone d’exportation importante avec notamment l’Angola et le Cap Vert, autres pays lusophones, mais également d’autres pays comme le Cameroun ou le Sénégal« .
Les autres pays d’Amérique Latine ne sont pas en reste : ainsi la série mexicaine Marimar est le plus grand succès étranger de Côte d’Ivoire et la série vénézuelo-américaine La Mujer de mi vida, tournée dans le milieu hispanique de Miami, celui du Kenya.

Si l’on note également une augmentation de séries indiennes, c’est davantage d’un point de vue de proximité géographique à Maurice (île située dans l’Océan Indien, N.D.L.R.) et tarifaire pour la Côte d’Ivoire puisque, selon Yacouba Sangaré, ce sont les sociétés de distribution Côte Ouest et Convergences, basées à Abidjan, qui « achètent ces séries et les revendent à la télévision ivoirienne« .
Néanmoins, les plus grands succès étrangers en Algérie, Maurice et l’Afrique du Sud semblent, selon les personnes interrogées, être américaines : Dallas, 24h Chrono et Days Of Our Lives. Un point intéressant lorsque l’on sait que, selon Salim Aggar, à travers Dallas « L’Algérie qui était un pays socialiste découvrit graduellement le capitalisme » et que, selon les chercheuses Elihu Katz et Tamar Liebes : « La façon dont les auditoires étrangers décodent la populaire série américaine « Dallas » montre que les téléspectateurs s’en servent comme d’un « forum » pour réfléchir sur leurs identités » (4).
L’influence, en Afrique du Nord, de la Turquie en matière de série télévisée est également à souligner. Doublées en arabe, l’exportation depuis 2005 de séries turques vise avec succès « les marchés qui lui sont proches historiquement et culturellement » (5). Appliquée à l’immense diaspora africaine vivant hors du continent, cette recette pourrait ainsi fonctionner, ces prochaines années, avec des séries télévisées africaines diffusées sur des chaînes prônant la « diversité » en Occident ou à l’inverse, des séries réalisées par la diaspora, programmées en Afrique.

Productions locales en développement

Si les productions locales semblent globalement en plein développement – sauf à Maurice et en Algérie, faute d’intérêt des chaînes locales de télévision – c’est du côté du Kenya qu’elles sont le plus implantées : « (le) contenu local rencontre un tel succès que les chaînes qui ne les programment pas semblent hors sujet et ont dû mal à être compétitives sur le marché« , témoigne Mwenda Micheni.
Une particularité mérite néanmoins d’être mentionnée. Du fait de la récente crise économique, de nombreux Portugais s’implantent en Angola et participent à la production de contenus audiovisuels élaborés. Luisa Fresta nous rapporte que c’est le cas de la série Windeck « produite par une société angolaise, Semba Comunicação, et écrite par la scénariste portugaise Joana Jorge. Windeck a été réalisée pour la chaîne publique nationale angolaise TPA et a bénéficié de la participation d’une équipe technique et artistique portugaise« . Signe que les collaborations Sud-Nord locales peuvent être un franc succès ?

De nouveaux contenus via le câble

Alors que 2015 marquera le passage de l’Afrique à la TNT, l’apport des chaînes satellites permet un complément de consommation télévisée.
Ainsi les Ivoiriens s’initient à Nollywood via la chaîne Nollywood TV, les Angolais et les Mauriciens regardent « davantage vers l’Occident que vers les autres pays d’Afrique« , les Kényans créent la compétition entre « expériences en ligne et chaînes payantes« , l’Algérie découvre les séries télévisées made in Turquie et les chaînes satellites sud-africaines comme DSTV et OpenView voient augmenter leur nombre de souscripteurs, prouvant ainsi que le public a « un appétit grandissant« .

Internet : à quand le haut débit ?

Hormis à Maurice où l’accès au haut débit a été possible « depuis une dizaine d’années« , permettant ainsi de télécharger et regarder en streaming du contenu, Internet n’est pas encore une source d’innovation dans les pays étudiés. Sauf en Afrique du Sud où « des innovations du style  » documentaire-variété «  » humoristiques ont été recensées par Sihle Mthembu (em>Hunting for Kicks, The Foblo Bulletin, CUSS TV), bien que les connexions soient, selon le journaliste, encore « trop lentes » et « parmi les plus chères au monde« .

Il en est de même en Algérie où Salim Aggar recense « seulement 3 millions de connectés » (sur plus de 37 millions d’habitants, N.D.L.R.). Du côté du Kenya, Mwenda Micheni évoque sans précisions « de nombreuses expérimentations en cours« . Tandis que du côté de la Côte d’Ivoire, plutôt que de proposer de nouveaux contenus 2.0, Yacouba Sangaré témoigne que le public a davantage « une propension à suivre sur Youtube, Dailymotion et toutes ces plateformes vidéo, les séries télévisées diffusées à la télé« .

Avis aux scénaristes, chaînes télévisées, fournisseurs d’accès Internet, acteurs et réalisateurs… Beaucoup de projets restent à inventer.

Claire Diao

(1) ESQUENAZI Jean-Pierre, Sociologie des publics, Paris, La Découverte, Coll. « Repères », 2003
(2) Lire le < a href ="http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=8&ved=0CEcQFjAH&url=http%3A%2F%2Fwww.cfi.fr%2Fcontent%2Fdownload%2F700%2F6829%2Fversion%2F1%2Ffile%2FColloque_Senat_CFI.pdf&ei=yOrZVIyoEYHAUpKxhLgE&usg=AFQjCNE_HSqypSi6M4QAR2KgqGcMjGkRZw&bvm=bv.85464276,d.d24">compte-rendu du colloque de Canal France International sur Les enjeux de la télévision en Afrique, Paris, 2005
(3) BUXTON David, Les séries télévisées. Forme, idéologie et mode de production, Paris, L’Harmattan, coll.  » Champs visuels « , 2011
(4) Lire à ce sujet, la très riche étude (en anglais) Interacting with  » Dallas « : Cross Cultural Readings of American TV d’Elihu Katz et Tamar Liebes de l’Hebrew University of Jerusalem et de l’Annenberg School of Communications de l’Université de Caroline du Sud (p.57)
(5) Lire l’article de Nicolas Vaquier, Bientôt la consécration pour les séries turques sur le site Inaglobal
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Les images de l'article
Succès en Angola : la série Windeck. © DR
Succès en Algérie : la série El Harik. © DR
Succès au Kenya : la série Vioja Mahakamni © DR
Succès en Afrique du Sud : la série Generations. © DR
Succès à Maurice : la série Voisin, Voisine. © DR





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