Arts visuels* en perspectives

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Deux rencontres notoires se sont tenus en France au mois de septembre. Elles ont rassemblé des acteurs de premier plan de l’art africain contemporain et de la diaspora, qu’ils soient francophones, anglophones ou lusophones. La conférence, L’état des arts visuels en Afrique et dans sa diaspora, a eu lieu du 14 au 17 aux Beaux-arts de Paris, à l’initiative de l’AFAA (Association Française d’Action Artistique). Puis, une rencontre pluridisciplinaire intitulée Territoires de la création, à Lille du 26 au 28, a été organisée par Culture et développement (association nationale non gouvernementale pour les relations franco-africaine) et l’AFAA, dont le programme L’Afrique en créations fête dix ans d’action dans ce domaine. Lille et sa région accueillent ainsi une grande saison artistique africaine durant tout ce dernier trimestre 2000. L’exposition L’Afrique à jour a présenté pour entrer en matière une rétrospective sur la biennale de Dakar.

La conférence parisienne s’est uniquement consacrée aux arts visuels, Lille a eu ses ateliers thématiques. Toutes deux rassemblent une grande diversité d’intervenants des pays non francophones. Ceux-ci viennent d’aires culturelles très variées, du Brésil ou d’Egypte, des Caraïbes ou des métropoles européennes, et bien sûr d’Afrique sub-saharienne. Conservateurs, directeurs de biennales, commissaires d’exposition, bailleurs de fonds, universitaires, critiques d’art, galeristes, éditeurs et plasticiens y font part de leurs activités et problématiques respectives. Certaines structures ont pu bénéficier d’un financement partiel, ponctuel ou répété d’un organisme comme l’AFAA. La rencontre se donne pour but de renforcer les liens entre ces différents socles de l’art (africain) contemporain afin de multiplier les perspectives de collaborations.
On relève les avancées à l’échelon des institutions. La florissante biennale de Sao Paulo privilégie désormais le travail d’une équipe de commissaires régionaux autour d’une thématique et délaisse le système des pavillons nationaux désarticulés. La représentation des artistes africains s’en est retrouvée accrue lors des dernières éditions, avec des commissaires tels qu’Okwui Enwezor, nigérian, directeur artistique de la Dokumenta 2002 de Kassel (Allemagne), et Jean-Hubert Martin, conservateur à Düsseldorf et ardent défenseur d’un art contemporain multiculturel. A Paris, le futur Musée des Civilisations et des Arts Premiers couvrira jusqu’à l’art contemporain du XXème siècle (ouverture en 2004). Des Etats-Unis, on découvre le fond du Musée et Centre national des artistes afro-américains de Boston, l’évolution d’une peinture souvent méconnue. D’autres initiatives portent des projets de Musée ou de Centre d’art contemporain africain : du coté hollandais avec la fondation Prince Claus, ou du côté de la Belgique, avec Fernando Alvim (artiste et entrepreneur culturel, Angola/Belgique) dans la sphère du privé.
Cependant, d’autres intervenants décrivent des situations où la question des moyens resurgit rapidement. La fragilité du contexte africain se manifeste avec acuité à l’évocation de la biennale de Johannesburg, amputée d’un mois lors de sa troisième et dernière édition, stoppée court suite au blocage du soutien de la ville. Rares sont les Etats africains qui, comme le Sénégal avec Dak’Art, assument une contribution effective à la création contemporaine. Le Bénin, soutenu par l’action du Centre culturel français et de sponsors, est en voie de se doter d’un salon et d’une galerie nationale d’art contemporain béninois. Mais les fonds privés sont généralement une denrée rare en matière d’entreprise culturelle africaine. Les propos tendus de représentants de petites structures percent souvent dans les débats. Face aux contextes nationaux soit houleux (Côte-d’Ivoire, Zimbabwe), plongés dans des conflits décennaux (Angola), ou tout simplement en état de dysfonctionnement, le discours extérieur de soutien à l’art contemporain se heurte de front au désarroi et à l’attente d’actions de première urgence. Néanmoins, le cadre institutionnel de ces rencontres impose des limites quasi déontologiques à l’espace du débat et les propos hors-champ n’y trouveront pas d’écho. On prend note d’une objection, celle de certains invités africains : l’histoire du parcours du combattant pour un visa de la durée d’une conférence tenue en France.
C’est cette dualité des contextes intra et extra africains qui oriente les perspectives étudiées vers les pôles d’une demande effective en art contemporain. Enoncé à Lille comme à Paris, l’enjeu actuel pour favoriser à la base la création est une mise en réseau des structures privées existantes. Ce sont celles du type centres d’art, galeries et publications spécialisées qui se trouvent en deçà d’un niveau de tractations souvent complexes avec les institutions nationales. Elles bénéficient d’une redéfinition du soutien des institutions françaises et parfois internationales (Union européenne, Fondation Ford aux Etats-Unis, Fondation Prince Claus aux Pays-Bas, Pro Helvetia en Suisse) à la création africaine. On ne cache pas que le contexte est à la réduction budgétaire et qu’une dynamique vers plus d’autonomie doit être trouvée. Un plus grand professionnalisme des acteurs culturels est le principal objectif et différentes formules de formations complémentaires restent le moyen d’y parvenir. On dénonce les problèmes de compétences, le cas de l’artiste-technicien-gestionnaire, dans le montage des projets. Félix Alain Tailly, coordinateur ivoirien du Programme de Soutien aux Initiatives Décentralisées (PSIC) financé par la Commission Européenne, propose la création d’un observatoire inter-étatique de la culture, travaillant avec les syndicats d’artistes et les institutions culturelles pour pallier aux carences juridiques et promouvoir la diffusion culturelle.
Pour les artistes, le principe d’échanges et de résidences d’artistes continue d’être développé et l’AFAA propose de nouvelles opportunités aux jeunes créateurs africains en leur ouvrant, entre autres, le programme Villa Médicis hors les murs, potentiellement ouvert à une multitude de démarches de formations. Sur les questions d’enseignement, Ibrahim El Salahi, en maître de la peinture de la diaspora soudanaise, suggère que le premier cycle de formation des écoles d’arts d’Afrique soit basé sur l’apprentissage des formes traditionnelles africaines, et que le second cycle forme ensuite à l’art contemporain. Mais le cas des écoles d’arts est peu abordé au cours des deux rencontres. Y a-t-il toujours querelle entre les défenseurs de l’art africain autodidacte et ceux de l’art africain académique, comme au Sénégal du temps de Senghor ? Des représentants d’établissements africains ou d’établissements abritant diasporas et métissages auraient pu contribuer à cerner certains enjeux. De son coté, William Wilson, artiste franco-togolais, faisait remarquer le peu d’attention porté au phénomène des métissages liés à l’immigration dans nombre des réflexions liées à l’Afrique.
Un autre volet de l’analyse révèle le manque de documentation de nombreux artistes africains sur leur propre travail. L’effet en est catastrophique lorsqu’il s’agit d’installations éphémères et qu’un suivi de l’évolution d’une démarche est impossible. Des centres de ressources et de documentation spécialisée sur l’art contemporain devraient permettre aux praticiens de mieux situer leur démarche. L’un d’eux verra sous peu le jour au CCF de Dakar. La documentation virtuelle grâce à l’internet offre de nouvelles possibilités. Elle serait envisagée avec des centres d’art équipés à l’usage de professionnels locaux et favoriserait le contact médiatique. Dans le domaine des publications, l’on souhaite parvenir à une meilleure spécialisation dans les métiers d’historien de l’art, de critique d’art et de journaliste culturel. Des ateliers sont organisés à l’occasion des manifestations récurrentes tel que le MASA, Dak’Art et la biennale de Bamako. Enfin, à un autre degré de promotion, les galeries d’art africaines sont confrontées à divers problèmes. Elles peuvent peiner à s’imposer dans les tractations souvent directes entre l’acheteur et l’artiste. Certaines souhaiteraient pouvoir recourir plus facilement à des formes d’emprunts pour se développer, ou avoir davantage de relations avec des confrères occidentaux. On regrettait d’ailleurs qu’ils soient bien peu présents dans ces rencontres. Au Cameroun, deux exemples, Doual’Art et la Galerie MAM coopèrent spontanément. Les galeristes d’Abidjan préparent en ce moment une première foire d’art contemporain. L’enjeu reste d’éviter l’isolement.
De telles rencontres portent en elles-mêmes la multiplication des opportunités de collaborations, tant la dispersion courante de ces acteurs est grande. Lille est un de ces rendez-vous d’autant plus stimulant qu’il est interdisciplinaire et révèle que, dans l’amplitude des inégalités des différents domaines artistiques, certains défis sont partagés. En clôture de la conférence parisienne, Yacouba Konaté, commissaire d’expositions et théoricien ivoirien, soulignait l’importance du dosage des expositions afin de ne pas « accroître une incompréhension entre le grand public et le milieu spécialisé ». A tenter de visualiser l’art à venir, issu d’Afrique, on se heurte constamment, à la base, à un manque d’énonciation théorique. La société africaine actuelle, oscillante, brouille la compréhension d’une mécanique artistique repérable. D’Occident, un fossé esthétique et économique force les regards prospectifs à se détourner de la réalité du marché interne africain. Les oeuvres qui nous en parviennent seraient le fruit d’un pragmatisme heureux, ou peut-être d’un divorce. Gagnerait-on à s’informer, sociologiquement parlant, sur les conceptions africaines d’un art actuel ?

* La dénomination arts visuels désigne ici le domaine des arts plastiques sans y inclure les arts du spectacle ou le cinéma. ///Article N° : 1606

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Les images de l'article
"La Mort, La Naissance, La Culture" de Abdoulaye Konaté (mali), 1993, 300x300x300 cm, technique mixte. Non répertoriable aux services des objets trouvés : le bagage de l'invisible © Georges Meurillon
Kwesi Owusu-Ankomah (Ghana/Allemagne) Soft Gentle Depth. Ses athlètes stylisés, ancrés à la surfaces des canevas, sondent les reflets de l'esprit © Alexandre Mensah
Amadou Sow (Sénégal/Autriche). Une peinture sans titre consacrée à un univers personnel, des sensations dévoilées et des cryptages internes © Alexandre Mensah
"In the present IV" de Ibrahim El-Salahi (Soudan), 1999, 91x91 cm, huile sur toile © DR





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