Atalaku (Crieurs), de Dieudonné Hamadi

La résistance à Kinshasa

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Atalaku a obtenu le prix Joris Ivens au festival du Cinéma du Réel 2013, à Paris.

Dans le cinéma documentaire, le problème n’est pas de savoir si le film montre le réel mais comment il le montre. Objet d’une écriture qui forge un récit, de choix de montrer ceci et d’éviter cela, d’un cadrage, d’un montage, etc., le réel n’est jamais à l’écran cette réalité que l’on ne peut connaître qu’en la vivant mais sa transcription par les voies du cinéma. Face au réel congolais, dans un pays où l’extrême des conditions de vie et des pratiques quotidiennes est des plus photogénique, le danger est de tomber dans l’anecdote et la caricature, d’en faire un spectacle. On croit dénoncer et on se trompe de cible : on ne fait que renforcer les clichés au lieu de favoriser une évolution. On cultive chez le spectateur l’impression d’une absolue altérité, que ce sont des sauvages qui ne changeront jamais. C’est ce que nous avions souligné à propos de films comme Kafka au Congo (cf. [article n°9671]) qui ridiculisait les affres de la politique et de la justice en RDC, ou Marchands de miracles (cf. [article n°4600]) qui stigmatisait la croyance dans les églises du réveil.
Bien sûr le film de Dieudo Hamadi montre lui aussi la catastrophe, où politique, religion et argent s’entremêlent sans plus se distinguer. Les élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011, avec leur incroyable pléthore de candidats, sont une occasion de manger pour le bas-peuple qui ramasse ce que les futurs députés lâchent pour obtenir ses votes dans des meetings où l’on invoque davantage Jésus qu’un programme électoral. Mais la différence avec ces films voyeurs, c’est qu’en suivant Gaylor, un « pasteur adjoint » qui délaisse sa paroisse pour mettre sa verve au service des candidats les plus offrants, Hamadi nous livre une fine analyse des rouages et des enjeux à l’œuvre. Le réel est rude, certes : celui d’un peuple « qui a trop souffert », comme les gens aiment à le répéter pour manifester leur envie de changement. Les promesses non-tenues expliquent que les dames du marché ne se mobilisent plus, sauf lorsqu’on leur promet quelques francs pour améliorer leur quotidien. Les jeunes kuluna (délinquants des rues) du « Staff Black / Terre promise : 5 ans de frime » squattent dans un cimetière. Gaylor les sollicite pour danser et rassembler des spectateurs au meeting d’un candidat. Ils ne croient pas plus que lui à l’avenir politique du Congo. Ils ne bougent que pour l’argent et n’iront pas voter. Par contre, ils participeront aux émeutes post-électorales, au risque d’y perdre leur vie, lorsqu’il apparaît que le résultat n’est pas crédible. En suivant les bénévoles engagés du NSCC (Nouvelle société civile congolaise) qui vont à la rencontre des gens pour les encourager à voter et leur expliquent comment fonctionne le vote, et en leur accordant une grande place dans son film, Hamadi montre qu’une résistance est à l’œuvre.
Cette résistance, elle est multiple : elle va du désintérêt d’un peuple fatigué aux gestes désespérés d’émeutiers en colère. Elle est tangible dans ces groupements de citoyens qui veulent encore y croire, souvent composés de femmes portant des t-shirts comme « Un autre Congo est possible avec les femmes ». Car la résistance est dans l’espoir, si bien que ces prières et danses dans des églises où l’on croirait que les gens se font naïvement extorquer quelques billets par les talents oratoires de pasteurs sans scrupules ne sont finalement que les expressions de ce qu’un peuple invente pour garder la tête haute lorsqu’il ne peut plus croire à la politique.
Ce que montre Atalaku, c’est que les choses sont en train de changer, qu’une société civile s’organise et que le peuple n’est pas dupe et se mobilise malgré tout lors des élections, dénonçant les fraudeurs. Face à la nécessité de trouver chaque jour de quoi nourrir la famille, il ne peut se mobiliser durant des semaines comme ce fut le cas dans les révolutions arabes, mais sa détermination n’est pas moindre.
Si Atalaku le fait si bien sentir, c’est qu’il n’est jamais anecdotique, et encore moins méprisant. Certes, les effets de l’excellent montage de Penda Houzangbé font mouche, comme lorsque les pansements et blessures témoignent sans transition de la violence d’une dispute. Le film est ainsi bourré d’humour qui comme disait Genette est « un tragique vu de dos ». Mais tourné seul avec une caméra épaule toujours respectueuse, sans gommer sa présence et les attentes qu’elle engendre, Atalaku est tout simplement l’œuvre d’un Congolais qui se saisit de l’outil documentaire pour rendre compte de ce que vit son pays. Il le fait sans jugement et sans intention autre que de témoigner, mais son attention aux rouages fait que c’est un système de sacralité qui est remis en cause, jusqu’à ce qu’en fin de film, cela ne soit clairement exprimé par des protagonistes. L’ « autre Congo » ne viendra pas d’en haut : c’est dans chaque commune que doit se vivre la démocratie.
Avec de tous petits moyens, Dieudonné Hamadi nous livre ainsi une belle leçon de cinéma.

///Article N° : 11472

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