Connue pour son festival de cinéma dans les foyers de travailleurs migrants parisiens, l’association Attention Chantier lance une radio. Moyen de communication entre les habitants des foyers franciliens, entre les migrants d’ici et le bled, cette radio est implantée au cur du 20e arrondissement de Paris, dans le foyer Bisson, voisin de la rédaction Afriscope. Jeudi 21 mars, nous avons assisté à la première émission en direct. Reportage.
Sous les yeux des passants de la rue Bisson, tout un petit monde se serre ce soir dans la salle du foyer de travailleurs migrants, au numéro 15. Devant un auditoire d’une quarantaine de personnes, le plateau de la radio REC, la « Radio En Chantier », s’anime pendant plus de trois heures de direct. Quelques passages d’antenne bricolés et blancs rappellent qu’il s’agit bien d’une radio « en chantier », mais ne masquent en rien l’engagement et le professionnalisme de l’équipe. Bigarrée entre la présence plutôt féminine des membres de l’association Attention Chantier, et celle masculine des habitants de foyers, cette troupe d’amis engagés mûrit depuis des années la mise en place de cette radio.
« Ce n’est pas la radio des Blancs au foyer, c’est la radio des gens du foyer ! », glisse Elise Aubry dans le jingle de la rubrique « débat ». Cette jeune femme qui anime avec Adama l’essentiel de l’émission a ce projet bien à cur depuis qu’elle s’est liée à l’association. « Dès que j’ai connu les foyers je me suis dit : il faut absolument faire une radio. C’est un moyen de communication plus transparent que l’image et qui permet le lien avec l’Afrique ». La radio a fait ses premiers pas lors du dernier festival de cinéma organisé par Attention Chantier en juin 2012 (cf. [article n°10828]. Un an plus tard, l’association a pu obtenir des subventions pour mettre sur pied un véritable plateau et proposer des formations aux outils radiophoniques aux volontaires. Une fois par mois, REC émettra ainsi depuis le foyer Bisson, au cur de Paris, et sera en écoute sur la toile ([www.radiodesfoyers.org]), avant de pouvoir être relayée sur les ondes.
Cette radio se veut ouverte et participative. Chaque nouveau venu en est l’artisan et amène avec lui l’idée d’une chronique, d’un sujet, d’un reportage, d’un invité. « Le foyer est une entrée pour donner la parole à ces personnes qui vivent dans un espace cloisonné, mais ce n’est pas que la radio des foyers. La volonté est aussi de reconstruire la mixité sur un quartier par le biais d’une radio », explique Elise. La première émission pourtant est bien dédiée aux foyers et la tonalité est résolument politique. Pensée comme une prise de connaissance avec les travailleurs migrants, cette radio veut démystifier cet habitat méconnu. L’émission se tisse autour du témoignage de Bathily, ancien résident, que deux reporters ont rencontré dans un foyer du 17e arrondissement. Au fil de son récit, Bathily effleure des thèmes très sensibles, qui sont l’occasion d’un débat sur le plateau avec les représentants des résidents du foyer Bisson, Wagui et Camara. En écho aux paroles et désillusions de Bathily, les deux hommes doivent répondre à des questions franches de la part des animateurs Elise et Adama : « pourquoi le foyer ? », « avez-vous regretté d’avoir émigré en France ? » ou encore « qu’est-ce qu’un bon délégué ? ». L’occasion pour Margaux Leduc, invitée sur le plateau et présidente de l’association Attention Chantier, de rappeler le contexte politique qui a fait naître les foyers, insistant au passage sur l’enjeu du droit de vote des étrangers aux élections locales (à lire sur ce thème : le numéro spécial d’Afriscope n°27 : [article]). Margaux ne parle pas de nulle part, elle qui a longtemps milité au COPAF, collectif engagé depuis 1996 face aux gestionnaires pour défendre les droits des résidents. Voilà une piqûre de rappel sur l’essence militante de cette radio, affirmée aussi à travers l’intervention au micro de Danielle Simonet, élue du Front de Gauche à la mairie du 20ème arrondissement.
« La radio est implantée ici parce qu’il fallait qu’elle soit à Paris, et parce qu’il y a beaucoup de revendications dans ce foyer. Les gens doivent communiquer avec le quartier, d’ailleurs notre tout premier projet était une cuisine collective ouverte sur l’extérieur, ça n’a pas pu se faire mais aujourd’hui on a une radio », raconte Camara, délégué du comité de résidents du foyer Bisson. La radio apparaît ainsi comme un exutoire des revendications que les habitants peinent à faire entendre au-delà des murs décrépis de leur foyer. Mais elle veut surtout être un lien qui, aux mains des jeunes, permet de faire dialoguer plusieurs générations, comme Adama l’exprime : « Cette radio est un moyen de communication direct, propre, sans tâches contrairement à l’image. C’est un lien vivant entre nous et les gens du bled, un projet né d’une véritable envie de dialoguer. J’ai toujours voulu faire passer des messages en solitaire, via le one-man-show, la musique. La radio est un plus ». Il semble en effet urgent pour Adama d’interpeller les plus anciens sur leur choix de vie dans l’immigration, et d’écouter les attentes des plus jeunes qui naviguent en France de galères en désillusions. Des failles transparaissent, la nécessité de sacrifier sa vie en France, au travail, pour la famille est questionnée par les nouvelles générations, celles qui se saisissent du micro aujourd’hui. Le débat gravite autour de la réflexion de Bathily qui dit avoir regretté, dès ses premiers pas au foyer, sa décision d’émigrer en France. Une parole peu entendue de la part des premiers migrants.
À l’image de toute radio, REC respire aussi au rythme de chroniques plus légères. Thiémogo et Zoé nous emmènent au Burkina Faso, au Fespaco, avec leur rubrique cinéma, tandis que Boubou tisse le fil musical de l’émission et que ses acolytes Laura et Myriam reçoivent le rappeur Lesther Billal. Mohamed quant à lui décline sa rubrique pratique pour informer les résidents sur leurs droits en matière de logement, de santé, etc. En se voulant légers, ces interludes plus culturels font l’écho aussi, non sans gravité, des espoirs d’une jeunesse dont l’horizon est trop souvent limité par un rappel à leur origine immigrée.
Pour que cette radio née dans un de ces interstices oubliés de la ville ait une vie après le foyer, on attend vivement que les grandes ondes s’en saisissent, et c’est bien la finalité de ce chantier. Une telle radio n’existe-t-elle pas sinon pour combler un vide de reconnaissance laissé par les grands médias ? Le projet séduit en tout cas Radio Nova, le magazine « Le Courrier de l’Atlas » ou encore France Ô, en reportage ce soir au foyer. Le lendemain, la chaîne consacre 3 minutes de son JT Afrique à la radio REC et la télévision malienne ORTM s’empresse de relayer l’information. Un premier pas vers le continent africain peut-être ? Telle est en tout cas l’ambition de l’équipe qui correspond déjà en ce sens avec quelques radios locales en Afrique.
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