Au cœur de la foule malgache, les artistes

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C’était un jour comme presque tous les autres jours du mois de janvier, place du 13 mai à Antananarivo…

Dans le bas de la ville, devant le terrain vague où s’élevait autrefois la mairie avant sa destruction par un incendie, plusieurs centaines de milliers de manifestants s’étaient rassemblés dans le calme.
Une fois seulement, au deuxième jour de cette affirmation tranquille de la résolution populaire, les forces de l’ordre avaient essayé de disperser la foule. Il y avait eu quelques blessés et, dès le lendemain, la police avait renoncé à se montrer.
Le premier tour de l’élection présidentielle, qui s’est tenu le 16 décembre, a donné des résultats contradictoires. Marc Ravalomanana, maire de la capitale, a cristallisé tous les désirs de changement de pouvoir et a récolté, selon les sources, entre 46 et 52 % des voix. Officiellement, selon la Haute Cour Constitutionnelle, 46 %. Selon ses propres sources, 52 %. Après avoir fêté le « Noël de la victoire », ses partisans ont considéré qu’on la leur avait volée. Et sont entrés dans le temps de la revendication : la victoire au premier tour, et la défaite du président sortant, Didier Ratsiraka.
Au moment où s’écrivent ces lignes, le mouvement se durcit, une grève générale paralyse Tana et une partie de la province, les manifestations continuent pendant ce temps comme une fête permanente.
Car, s’il est abondamment question de politique chaque matin sur la place du 13 mai, les artistes sont eux aussi présents, engagés comme citoyens dans une lutte où ils font entendre leur voix.
A Madagascar, quand on parle des artistes, on veut surtout dire les chanteurs. La musique, omniprésente dans chaque foyer, est la forme d’expression créatrice la plus répandue. Et les grandes vedettes peuvent, lors de grands concerts, rassembler plusieurs dizaines de milliers de personnes. L’auditoire, cette fois, est encore plus important. Et l’enjeu, capital.
Lors de la campagne électorale, déjà, de nombreux artistes étaient montés sur les podiums pour accompagner les candidats. La recette est éprouvée, les recettes sont à la hauteur de la notoriété des uns et des autres. La course au cachet n’est en effet pas absente des préoccupations dans ce contexte.
Mais la conscience politique n’est pourtant pas un vain mot. Dama, un membre du groupe Mahaleo, est député. La chanteuse Bodo s’était lancée (contre Marc Ravalomanana, de qui elle s’est rapprochée depuis) dans la course à la mairie de Tana il y a deux ans. Rossy n’a jamais caché ses préférences pour Didier Ratsiraka.
Aujourd’hui que chacun est interpellé avec force et sommé de choisir son camp, la musique continue d’adoucir les mœurs. Comme le fait remarquer Michèle Rakotoson, le calme avec lequel se déroulent les manifestations quotidiennes à Tana est impressionnant.
Ce jour-là, donc, les représentants de différentes sociétés défilaient en bon ordre sur une avenue de l’Indépendance pleine comme un œuf. Ils passaient devant une tribune où se trouvaient assis tout ce que la classe politique compte d’opposants à Didier Ratsiraka. Les applaudissements fusaient, sur des rythmes variés.
Derrière la tribune, chanteurs et musiciens bavardaient en attendant leur tour. Stenny était sur scène, artiste de variétés reconverti dans la chanson évangélique et, maintenant, dans le soutien à Marc Ravalomanana. Assis sur un banc rustique, il y avait là Njakatiana, détenteur du record des ventes de cassettes l’an dernier, avec son groupe. A côté, les filles de Jaojoby se changeaient pour passer leur tenue de scène, de simples paréos (lamba-haony, comme on appelle ici ces pièces de tissu) noués à la taille et sur la poitrine. Leur père, surnommé « le roi du salegy », une musique du Nord, fumait tranquillement une cigarette, adossé à un camion et assis sur un étui de guitare.
Si on ne les connaissait pas, on serait bien en peine de deviner que ce sont là les plus grandes vedettes de la chanson malgache. Bien entendu, il faut savoir que les tournées de concerts, dans la Grande Ile, ne conduisent pas les artistes d’hôtels quatre étoiles en palaces. Un minibus sous-équipé, des gargotes et des logements précaires sont le quotidien de ces musiciens.
Là, ils partagent encore moins : quelques mètres carrés de bitume, sous un soleil de plomb. Il va sans dire que, cette fois, leur présence est bénévole et relève d’une conviction personnelle : ils appartiennent au peuple à qui ils doivent leurs succès, et en quelque sorte le leur rendent.
Il n’est pas besoin d’être engagé dans le combat des chefs qui mobilise actuellement les Malgaches pour être marqué par ce regroupement de vedettes. Des têtes d’affiche comme celles-là, n’importe quel organisateur de concerts se damnerait pour les rassembler. Et les voilà présentes ensemble, très simplement, pour participer à l’élan collectif.
Stenny est descendu de scène, Njakatiana, toujours professionnel, a éteint son téléphone portable et a pris la place. Tout à l’heure, ce sera Jaojoby, concentré comme avant un concert normal. Le soleil tape toujours. Les banderoles défilent. Les manifestants, qui sont aussi spectateurs, applaudissent.
Une nouvelle matinée se termine doucement. Demain, on remettra ça. Et les chanteurs reviendront, toujours sans cachet, ajouter une part de rêve à ceux qui rêvent tellement d’un changement à la tête du pays.

///Article N° : 2142

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