Au Salon du Livre et de la Lecture de Conakry 2004 : les bonheurs de la quatrième édition

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Où, donc, les écrivains – qu’ils soient nationaux, expatriés ou étrangers – sont reçus par les jeunes générations, filles et garçons confondus, telles les grandes vedettes de musique africaine, de rap, de rock, de reggae ou de world music ?
En quel pays, les émules de Seydou Badian Kouyaté, Aimé Césaire, Chinua Achebe, Wole Soyinka, Henri Lopès, Mongo Beti, Tchicaya U Tam’Si, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Hamidou Kane, Sembène Ousmane, Mariama Ba, Nadine Gordimer, André Brink, Franz Kafka, Günter Grass, Léon Tolstoï, Alexandre Soljenitsyne, William Faulkner, Toni Morrison, James Joyce, William Boyd, Antonio Lobo Antunès, Antonio Tabucchi, Gabriel Garcia Marquez, Henning Mankell, Assia Djebar, Rachid Mimouni, Naguib Mahfouz, Nazim Hikmet, Gao Xingjian, Imre Kertész, André Malraux, Claude Simon, Erik Orsenna, Pierre Goyémidé, Aké Loba, Ahmadou Kourouma, Camara Laye, Williams Sassine… sont accueillis par les mêmes forces montantes avec tous les égards dus aux « Dieux » des stades de football ?
En Guinée, dans le cadre de Lire en Fête, l’événement culturel dénommé Salon du Livre et de la Lecture de Conakry. Il s’est tenu, cette année, du 22 au 27 novembre 2004 pour sa 4ème édition ! Et, c’est bien par son volet « Auteurs En Visite » que ledit rendez-vous est d’une si émouvante originalité.
Car, aussitôt les stands des éditeurs du Mali, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de la France (Présence Africaine, L’Harmattan, Karthala, Castel, Actes Sud) et de la Guinée (Ganndal) installés sous un chapiteau et le salon ouvert par les officiels, auteurs et éditeurs ont rencontré leurs visiteurs. Soit à l’occasion de séances plénières soit en ateliers, au Centre culturel mais plus souvent sur les lieux mêmes d’enseignement des élèves au seuil de l’Université. Les étudiants, quant à eux, après une rentrée retardée, étaient en grève pour protester contre leurs conditions de vie déplorables qu’ils redoutent de voir aggravées par la récente décision de supprimer les résidences U.
En moyenne, chaque auteur aura été reçu par sept établissements. Et, c’est précisément, à son accueil et, surtout, au terme de chacune de ses conférences, que ces bains de foule gigantesques, de façon spontanée, lui ont été réservés par ses lecteurs. Potentiels seulement, en vérité, sont ces derniers puisque les écrits de l’auteur ne sont pas disponibles en librairie ou réduits aux spécimens apportés par lui ou à deux ou trois exemplaires dans les rares bibliothèques. Mais, rien n’y aura fait. Il lui aura fallu, tout comme les stars internationales, poser pour les photos de famille, répondre à diverses interviews Internet, télé, radio et presse écrite, sacrifier au rite des autographes accordés sur cahiers de correspondances, carnets à spirales et divers bouts de papiers libres, faute de pouvoir le faire sur les pages de garde de ses livres ! …
Bouleversant, le phénomène, dans cette capitale de l’ex-pays de la « Révolution globale et multiforme » qui, pendant vingt-six ans, n’aura promu qu’un seul « très grand écrivain », le Chef Suprême de la Révolution en personne et ses dizaines de tomes, les productions de ses hommes liges, à vrai dire, ces – ô combien discrets – inspecteurs du PDG, Parti Démocratique de Guinée ! Et l’engouement des jeunes – pour l’écriture et la parole libres, plus préoccupées d’éthique et d’esthétique que de plans de carrière et de petits arrangements avec les puissances d’argent et/ou avec les pouvoirs politiques – est plutôt rassurant. Il prouve bien qu’ils mériteraient un tout autre sort que celui qui leur est fait. Si, entre autres, tous ceux qui ont accès à la fortune commune renonçaient pendant un certain temps à renouveler leurs parcs de 4X4 et autres limousines ruineuses, polluantes et scandaleuses dans les rues défoncées du pays, tous les établissements d’enseignement pourraient être abonnés au quotidien officiel, à un journal indépendant, à un périodique panafricain, à un quotidien d’informations internationales… et se voir dotés d’embryons de bibliothèques.
De Conakry sont reparties, en tout cas, le triomphe modeste mais résolument optimistes, toutes les « chauves-souris » comme Williams Sassine aimait à désigner, en particulier, les « écrit-vain » africains exilés dont le Centre culturel franco-guinéen a battu le rappel cette année: Binta Ann, Lanciné Kaba, Tierno Monenembo, Tolomsè Camara, Cheick Oumar Kanté qui ne se sont nullement pris pour les « prophètes » qu’ils ne sont pas « en leur pays ». Ont pareillement été émerveillés tous les auteurs et/ou éditeurs français: Armelle Riché, Emmanuelle Moysan, Benoît Marchon, Jacques Bertoin, Bernard Magnier et les (encore trop rares) écrivains guinéens résidant au pays, regroupés en association: Thierno Djibi Thiam, Catherine Hilal, Nadine Bari, Zenab Koumanthio, entre autres…
Impressionnant enfin de réaliser, après coup, que sans concertation préalable aucune, les uns et les autres auront pu échanger avec leurs… lecteurs sur les sujets les plus divers dont la thématique ci-après ne traduit que très imparfaitement la teneur.
« Pourquoi n’entrez-vous pas dans le gouvernement ?
– Ce qu’un écrivain devrait savoir le mieux faire, c’est d’abord et avant tout écrire ! D’ailleurs, de bons écrivains se sont révélés d’abominables hommes politiques.
– Pourquoi, vous êtes-vous toujours tus sur la situation de l’Afrique ?
– Des écrivains ont plus souvent été tués pour avoir écrit que pour s’être tus.
– Des livres sont dits sacrés. Faut-il pour autant les « sacraliser » ?
– Il ne le faudrait pas ! L’herméneutique et l’exégèse (l’une et l’autre expliquées aux auditeurs avec simplicité, bien sûr) permettent des lectures apaisées pour contrer l’intégrisme et le fondamentalisme trop courants de nos jours, hélas !
– Une catastrophe naturelle (séisme, sécheresse, incendie, inondation…) frappe-t-elle sans discrimination une région ? Elle s’en relève toujours.
– Mais les guerres et les génocides laissent, quant à eux, des séquelles durables, plus difficilement « résiliables » à cause du tri sélectif opéré entre ceux qui auraient dû rester des compatriotes.
– Négationnismes et révisionnismes de toutes sortes rôdent autour de l’histoire de la Guinée.
– Il incombe aux écrivains de combler les moindres trous de mémoire. Quand les Guinéens oseront se regarder en face, ils assumeront vite leur passé et envisageront, sereins, un avenir réconcilié.
– Il est impératif de ne pas cultiver les seuls muscles de ses bras et de ses mollets ! Lire, lire ! Lire encore ! Lire toujours ! De tout, sur tout, partout de façon à « se muscler » le cerveau et l’esprit, aussi !
– Et pouvoir disposer, après, de ce qu’on pourrait appeler – en comparaison des constructions japonaises – des « réflexes parasismiques » aptes à prémunir la Guinée des tremblements et autres fractures sociales ayant détruit les pays à ses frontières. Ainsi, les Guinéens sauront-ils aménager dans leurs têtes ces digues faites de bon sens et de raison qui empêcheront l’inondation et la submersion de leurs cœurs par la haine destructrice.
– Les lycées ne sont pas à incendier ! Les bibliothèques et, donc, les livres ne sont pas à brûler ! … Même les élucubrations du défunt Chef Suprême de la Révolution méritent d’être lues, analysées, critiquées et conservées… Le régime nazi et les États totalitaires, seuls, sont capables de pratiquer des autodafés.
– À l’ère de l’Internet et du « village global », la culture par l’image de façon exclusive, véhicule certes excellent et instantané de l’émotion, est passive, illusoire et sujette aux tripatouillages et aux détournements alors que la culture par l’écrit, champ de prédilection de l’esprit critique, est active et durable…
– D’ailleurs, c’est seulement après avoir beaucoup lu que l’on peut réaliser si l’on a, soi-même, le don et/ou la vocation de l’écriture. Étant entendu que, comme il est de bon ton de le répéter dans la… profession: « écrire requiert 10% d’inspiration et 90% de transpiration ! »
Deux livres et, accessoirement leurs auteurs, étaient les « mascottes » du Salon de Conakry. « Le mariage par colis » paru chez L’Harmattan en 2004 de Binta Ann, la plus jeune parmi les invités et « Peuls », édité au Seuil en 2004 de Tierno Monenembo, celui dont la notoriété n’est plus à faire.
Binta Ann aura sué sang et eau, jouant à merveille de sa proximité avec les jeunes, pour traiter non pas seulement du sujet de son livre, on ne peut plus, limpide mais pour aborder sans langue de bois les dangers de l’excision, les ravages du sida, (les préservatifs pour s’en protéger), la déchéance liée à la drogue, à l’alcool et à la prostitution, l’égalité entre les filles et les garçons, l’amitié, l’amour, les mirages de l’Europe et de l’Occident… Elle aura d’autant plus rempli son contrat que, pour égayer le Salon, l’adaptation théâtrale de son livre a été très applaudie. Si le jeu des acteurs sur scène n’a pas surpris, au pays de Kouyaté Sory Kandia et des Ballets africains, l’on n’a pu être qu’admiratif devant la bonne diction et l’éloquence des comédiens amateurs. Quand on pense que la langue de Patrick Modiano, de Jean-Marie Gustave Le Clezio et de Daniel Pennac n’a été réintroduite comme outil principal d’enseignement qu’en cette mémorable rentrée 1984-1985, la première après la disparition de Sékou Touré le 26 mars 1984 !
Participant pour la seconde fois au rendez-vous littéraire de Conakry, Tierno Monenembo ne s’est pas ménagé, lui non plus, pour aider à étancher la soif de savoir des jeunes Guinéens. Et le débat autour de « Peuls » – mais pas seulement – aura permis de mettre à l’épreuve deux assertions. La première est celle d’un des frères Goncourt (à moins qu’elle n’appartienne aux deux): « le roman est de l’histoire qui aurait pu être et l’histoire du roman qui aurait été. » La seconde serait à mettre au crédit de François Guizot: « ouvrez donc un livre d’histoire si vous voulez lire un bon roman ! »
Et, comment résister à l’envie d’ajouter son grain de sel aux nombreuses notes élogieuses et bien méritées, parues dans divers journaux à la lecture de « Peuls » ? Pourquoi ne pas dire que l’œuvre, monumentale et belle, rappelle « Figures du Palestinien » de Elias Sambar ? Comme ce dernier, Monenembo pourfend le mythe de la genèse des peuples, du fantasme de leur pureté (celle de ceux qui étaient là avant ! …) parce qu’ils seraient, eux, apparus du chaos. Toutes ces doctrines, on ne le sait que trop hélas, inclinent les uns à vouloir remplacer les autres, en les rejetant d’abord puis en les expulsant. Les Peuls, comme les Palestiniens, comme, du reste, les peuples de la Terre entière ont plutôt le goût du monde, sont ouverts à lui et sont perméables à la circulation universelle… Pour peu qu’ils aient les puissants moyens culturels pour résister aux manipulations des mystificateurs et des apprentis sorciers.
S’il n’est pas indispensable que chaque Hutu, Tutsi, Bantou, Bété, Baoulé, Dioula, Malinké, Bambara, Pygmée, Soussou, Kissi ou Koniagui… écrive l’épopée de son propre groupe ethnique, il serait salutaire que la disposition d’esprit, inspiratrice de la rédaction de « Peuls », interpelle tous les Africains, tous les Humains. S’écriraient bientôt des livres intitulés: « Africains ! » Mieux: « Humains ! » D’ailleurs, ne sommes-nous pas, tous, des parents à plaisanteries, les uns avec les autres, de proche en proche et même de loin en loin ?
Puisse le Cinquième Salon tenir toutes les promesses du Quatrième !

///Article N° : 3663

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