La musique de l’ancienne Hispaniola, et notamment le compa, genre urbain par excellence, sont en bonne santé. Ralph Boncy, opérateur culturel et musicologue haïtien vivant au Canada, dévoile les sources d’un style qui depuis une quarantaine d’années fait fureur dans tout le Sixième Continent.
Vous avez récemment écrit que la naissance du compa à Haïti se situe dans les années 50. On pourrait probablement commencer par là…
A cette époque, la danse nationale en Haïti était la Meringue, à ne pas confondre avec le Merengue dominicain…
Que sait-on des origines de la meringue ?
Il y a diverses hypothèses, mais Jean Fouchard, qui est le seul à avoir écrit sur ce sujet, affirme que des rythmes mozambicains sont à la base de la meringue. Ces rythmes, dansés par les esclaves africains, se sont par la suite brassés avec des genres européens, donnant des formes comme le karabinier ou la kalinda (dite aussi kalenda, n.d.r.), d’où est issue la meringue.
Avec quels instruments jouait-on la meringue ?
Il y avait plusieurs types d’orchestration, mais l’instrument le plus important était le piano. De toute manière, il y a toujours eu une influence réciproque entre Haïti et Saint-Domingue qui partagent le même espace insulaire et, à mon avis, le merengue dominicain vient également de chez nous. Pendant les années 50, cette musique a déferlé sur Haïti, où elle est devenue très populaire. A cette époque, un chef d’orchestre plutôt célèbre, Jean-Baptiste Nemours, a utilisé le fond rythmique du merengue et celui du conjunto tipico, qui était aussi en vogue, tout en les ralentissant pour en faire un style agréable à danser. Voilà la genèse du compa, qui a puisé dans la meringue, dans le merengue et dans le conjunto pour acquérir une trame rythmique nouvelle.
Pouvez-vous définir le formule de cette trame rythmique ?
La mesure rythmique du compa est donnée par un tambour, une cloche et la batterie, avec une forte utilisation des cymbales.
Les Haïtiens sont très fiers de leur musique et tiennent à la distinguer du zouk de la Martinique et de la Guadeloupe…
C’est exact, d’autant plus que chaque groupe de compa a son cachet particulier alors qu’on ne peut en dire autant des formations de zouk qui se ressemblent toutes. Dans les années 80, tout orchestre de compa avait son style spécifique ; celui de Coupé Cloué par exemple, s’appelle compa mamba, celui du System Band est le compa machiavel.
Les chants ruraux exercent-ils une influence sur les formes vocales du compa ?
J’en suis persuadé. Il faut par ailleurs savoir que Nemours s’est beaucoup inspiré de la » musique de la rue « , celles des troubadours. Il avait lui-même un groupe qui jouait la » musique de la rue « , l’Ensemble aux Calebasses. Je suis aussi convaincu que le jeu de la basse rappelle celui du manumba ou manimboula, une espèce de sanza.
Ralph Boncy est l’auteur de La Chanson d’Haïti, texte indispensable accompagné par un CD et publié par les Editions CIDIHCA (417, rue St. Pierre. Suite 408. Montréal. Québec. Canada. Tél. : 514 / 845 – 6218). Ce texte est vivement conseillé par le guide anglais World Music – The Rough Guide. ///Article N° : 377