« Avec le hip-hop on crée un morceau de l’histoire de la culture française »

Propos recueillis par Anne Bocandé et Dolorès Bakèla

Print Friendly, PDF & Email

Il parle d’Oxmo (pour Oxmo Puccino) comme de François (pour François Hollande). Bruno Laforestrie, président de l’association Hip-Hop citoyen, ouvre le 22 juin 2013, la Quinzaine du hip-hop en Île-de-France. Rencontre avec un entrepreneur culturel, ancien directeur de la radio Générations, qui fut conseillé de François Hollande pendant sa campagne présidentielle.

Homme de média, militant associatif, chef d’entreprise, comment vous définissez vous ?
Je préfère me définir comme entrepreneur culturel. Mon père avait lancé la radio Générations dans un hôpital quand il était psychologue à Ivry-sur-Seine. Je m’y suis impliqué quand j’avais 18 ans, puis nous l’avons développé avec mon frère pour en faire une radio culturelle. J’ai ensuite fait mon chemin dans le domaine de l’entreprise, avec toujours en parallèle la radio, installée dans nos bureaux. Elle était un peu notre âme et notre lieu de vie permanent.
Quel est votre rapport au hip-hop ?
Mon premier rapport au hip-hop est un rapport humain. J’ai grandi et vécu avec les artistes hip-hop avec la radio : ceux qui ont émergé dans les années 1990 comme Time Bomb ou ceux découverts il y a quelques années comme Youssoupha. Avec ces artistes, que ce soit aussi Oxmo (ndrl : Puccino) ou le 113, nous avons l’impression d’avoir vieilli ensemble, dans le bon sens du terme.
Comment est née l’association Hip-Hop citoyens ?
Dans sa terminologie Hip-Hop citoyens reflète une réaction épidermique de ma génération à un choc politique : celui d’avril 2002. Une vingtaine d’artistes de rap se sont réunis à l’époque pour faire un morceau. Il y avait une vraie émulation au sein de la culture hip-hop française. À partir de là je me suis dit qu’il fallait créer une structure. Le hip-hop est une culture fédératrice. Il s’agissait d’allier ces forces d’énergie, d’expression et d’indépendance avec le fait de marcher dans la même direction. La Quinzaine du hip-hop est d’abord un projet artistique avec des temps de réflexion.
Après avoir participé à des projets de médias comme Radikal, Vibrations, vous avez participé à la création de Canal Street, le site de Canal+ sur les cultures urbaines.
J’ai proposé au groupe Canal+ ce projet, auquel je me suis associé pendant la phase de développement. Je reste critique sur le sujet « hip-hop et médias ». La télévision notamment n’a jamais su ou voulu faire le lien avec la culture hip-hop. Elle n’a jamais su ou voulu la mettre en valeur et permettre aux jeunes générations de se rendre compte qu’elles faisaient partie d’un mouvement culturel et social de 30 ans. Ce n’est que depuis trois-quatre ans qu’on peut voir des concerts de rap sur des chaînes de service public.
Pourtant il y a eu l’émission H.I.P. H.O.P en 1984 sur TF1…
Et elle a été arrêtée. Non pas parce qu’elle n’avait pas d’audience. Au contraire. Cela gênait les élites de voir, tous les dimanches après-midi, la réalité française dans les quartiers de jeunes de toutes les couleurs.
Pourquoi cette mise à l’écart selon vous ?
Il y a une élite culturelle et médiatique forte en France. Elle est capable d’investir dans une chaîne comme Arte pour montrer le meilleur de la culture et de l’intelligence. Mais tout ce qui est considéré comme populaire n’a pas ses lettres de noblesse. Ainsi le hip-hop n’avait pas prétention au même traitement que les autres formes établies de la culture. C’est une réalité qui s’estompe. On voit le festival Juste debout à la télévision, il y a des articles dans Télérama sur JonOne. Youssoupha est partout, etc. Nous avons mené un combat générationnel qui est gagné. Personne ne dira aujourd’hui que la culture hip-hop est éphémère.
La puissance économique du hip-hop ne facilite-t-elle pas ce changement ?
Le pouvoir économique a pris le dessus. On est passé du hip-hop ou wip-hop et aujourd’hui le mouvement culturel mondial est le hip-hop. Le hip-hop est devenu pop au même titre que les Beatles étaient devenus pop. On ne peut pas lutter contre ce mouvement à l’échelle mondiale. Le hip-hop est partout.
Quelle est la place du hip-hop dans l’éducation ?
Je suis pour utiliser de manière massive l’expérience des artistes hip-hop dans l’éducation nationale. Quand est-ce qu’on aura une chaire hip-hop en France ? Des doctorants s’emparent déjà de ces thématiques, comme Karim Ammou (1), et cela va s’amplifier. Aujourd’hui il y a une prise de conscience car la demande est telle sur le terrain qu’on ne peut pas passer à côté. J’ai récemment été parrain d’une promotion de service civique. Un tiers des projets était lié au hip-hop. L’éducation populaire et nationale doivent mettre en place des outils de transmission du hip-hop. Il y a des initiatives mais il n’y a pas encore un grand chantier national et interministériel.
Vous avez été conseillé de campagne de François Hollande. Pourquoi ?
Je voulais clore la saison Sarkozy, 2002-2012. Je me suis rendu compte du mal fait à la jeunesse française – pas seulement à celle des quartiers. J’étais indépendant à l’époque de la campagne. J’ai proposé à François (ndrl : Hollande) des réflexions sur la jeunesse. Sans un discours de solidarité, on s’oriente vers une explosion entre les générations. C’est ce que j’ai porté personnellement avec l’appel du 21 avril notamment et les vidéos de campagne que j’ai produites.
Est-ce que cet espace ouvert à la jeunesse pendant la campagne existe toujours ?
À titre personnel, je peux voir qui je veux, quand je veux. Mais globalement la société s’est laissée enfermée dans des sujets économiques. La crise oui, mais la movida aussi ! Il ne faut pas penser qu’on s’adresse à la jeunesse en parlant des jeunes. Il faut leur laisser la place partout. La psychologie collective et l’envie d’avancée, l’envie de créer, sont des éléments essentiels pour renouveler une dynamique.
Quels sont vos projets avec Hip-Hop citoyens ?
Il faut profiter du succès commercial du hip-hop pour se structurer et permettre aux jeunes d’avoir une sorte de respiration culturelle forte. La culture hip-hop c’est le mélange des cultures, le mélange des personnalités, une vision internationale aussi.
Le hip-hop français a une carte à jouer à l’international selon vous ?
Il faut s’appuyer sur les acteurs d’aujourd’hui pour représenter la force culturelle française à l’international. Il y a un vrai engouement sur le terrain, du Népal au Brésil en passant par l’Afrique. C’est tout le travail qu’on essaye de faire avec Hip-Hop citoyens en faisant circuler les collectifs de hip-hop dans le réseau des Alliances françaises notamment. Avec le hip-hop on crée un morceau de l’histoire de la culture française.

Bruno Laforestrie en dates
1996-2012 : Président de la radio Générations
1996-2002 : Fondateur et directeur de la société Hi-Media
Depuis… : Directeur de la société de production Générations développement
Depuis 2002 : Président de l’association Hip-Hop citoyens
Mai 2012 : Conseillé de la campagne présidentielle de François Hollande

Hip-hop et cultures urbaines, par Hugues Bazin (2)
« Il y a un problème français à concevoir une France plurielle. Pour la musique hip-hop on a créé une case institutionnelle, appelée cultures urbaines. Le terme culture urbaine vient de la Renaissance et désigne la culture bourgeoise ; l’émancipation d’un individu du joug du pouvoir royal, de l’église. C’est la naissance de l’homme moderne. C’était aussi la naissance des centres urbains qui se dégageaient des organisations féodales et corporatistes. Donc si on devait appliquer le terme « culture urbaine » dans son sens historique, cela voudrait dire que le hip-hop est un nouveau foyer urbain d’émergence et de libération. Alors que les institutions l’ont prise dans le sens d’une assignation territoriale. C’est en partie la raison pour laquelle il y a toujours cet amalgame hip-hop/ banlieues quartiers/immigrés. »

1. Karim Ammou est l’auteur d’Une histoire du rap en France. Il est par ailleurs auteur d’un blog :  [Sur un son rap]
2. Hugues Bazin est chercheur en sciences sociales, auteur notamment de La culture hip-hop (Éditions Desclée de Brouwer. 2001). Plus d’infos : [Hugues Bazin]
///Article N° : 11586

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire