Belize, consonances caraïbéennes et traces amérindiennes

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Nègres marrons et Amérindiens ont aussi métissé leurs musiques

« Parfois, un son de flûte montait par clair de lune, à l’heure où les alizés retombent dans la mer. Alors les marrons se rapprochaient, se serraient les uns contre les autres, cependant que les esprits des morts se déployaient, menaient des rondes sans fin, autour du feu, pareils à un vol de moustiques qui dansent dans le soir. »
André Schwarz-Bart, La mulâtresse Solitude.

Depuis l’époque de la découverte, l’étroite bande terrienne joignant le Mexique à la Colombie devint une sorte de no man’s land ouvert à tout trafic, à toute aventure.
Cette Amérique insoumise était peuplée d’Arawak réfractaires au catholicisme, de nègres marrons et de pirates protestants passant leur temps à razzier villages et réserves. (1)
Les Noirs et les Amérindiens surtout avaient choisi, pour échapper à la domination de la couronne d’Espagne, de se mettre à l’abri dans les zones inaccessibles et malsaines de la côte atlantique.
C’est dans ces régions aux communications inexistantes, exposées aux exactions des flibustiers et soumises à un climat étouffant, que les Noirs en rupture de ban et les Indiens farouchement animistes se métissèrent pour donner une des cultures les plus épatantes et les plus riches de toute la Caraïbe.
Le peuple Garifuna, enfanté de cette rencontre de résistants aux Occidentaux conquérants, esclavagistes et génocidaires est aujourd’hui le dépositaire d’une culture d’une grande originalité, dont l’un des foyers d’épanouissement est le Belize, ancien Honduras britannique.
Ne réduisons pas les éléments constitutifs du melting-pot caraïbéen aux deux racines européenne et africaine : les autochtones, presqu’entièrement disparus, ont souvent laissé un legs culturel, notamment décelable dans les répertoires musicaux.
C’est en Haïti, à la Jamaïque, à Porto Rico et chez les Garinagu (pluriel de Garifuna) d’Amérique Centrale que cet héritage est plus évident. Mais au Belize, l’identité musicale de ces métis d’Amérindiens et de Noirs s’exprime par le punta, style de danse, chant et percussions à l’incontestable origine africaine, mais aussi de probable influence arawak.
Ces derniers possédaient une organologie plutôt complexe, avec de nombreuses percussions (tambours tabors et tambourins maguey), vents (trompettes, flûtes ou grosse coquilles) et cordophones, notamment un spécimen de harpe.
Mais, selon les historiens Bryan Edwards et Astley Clark, c’est le rôle que les activités musicales occupent dans leur quotidien qui rend la tradition amérindienne proche des habitudes africaines. Chants profanes, guerriers ou festifs, lamentations liées aux catastrophes naturelles, chansons d’amour, hymnes sacrés… tous ces répertoires célébraient les hauts faits d’un chef, actualisaient les enseignements des ancêtres ou transmettaient l’histoire aux jeunes générations.
Le punta puise largement dans un fond populaire à l’histoire plutôt éloignée. Ses textes s’inspirent de vieilles chansons, oeuvres éternelles de compositeurs inconnus, et dont l’écriture musicale reflète les états d’âme de leurs auteurs. Les modalités du chant sont ici encore antiphonales (call and response) et stimulent l’assistance à des formes variées de participation collective.
On retrouve une référence africaine dans les dialogues chantés noués par les femmes au travail dans les champs, où une soliste improvisée lance un refrain repris en choeur par les autres, ou bien dans les récits de contes dont les enfants répètent certains extraits sous les ordres du conteur, mais aussi des donnés évoquées de la musique amérindienne.
D’ailleurs, les maracas s’ajoutant aux deux tambours principaux (alto et basse) sont un instrument largement répandu dans diverses tribus amérindiennes d’Amérique centrale et latine.
Les atmosphères du punta sont toujours empreintes d’une joie vigoureuse, même lorsqu’on chante des événements tristes ou nostalgiques.
Les styles ont circulé : la musique du Belize foisonne de motifs introduits par des Noirs migrant des Bermudes, de Grenade, des Barbades et de la Jamaïque. De cette dernière, ils ont apporté le buru qui est à la base du brukdou, genre créole du Belize accompagné d’un banjo et de percussions.
Le buru hérite des vieux chants de travail que les esclaves entonnaient dans les plantations. Après l’abolition, ces airs migrent vers les quartiers défavorisés de Kingston et de St Andrew. Ils s’y mélangent aux chansons funéraires ou des styles ruraux en voie de disparition comme le tambu et le dinkie minnie. Le buru drums concerne toute activité sociale, culturelle ou de divertissement animée par chants, danses et tambours.
Une fois passé au Belize, le buru intègre le paysage musicale local, s’enrichissant sur le plan instrumental et de l’inspiration. Il témoigne de ce processus dynamique de consonances caraibéennes qui fait de la musique du sixième continent le miracle créatif du génie noir.

1. Carmen Bernard et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde / Les Métissages, Fayard.Disque : Brukdon, shine eye Gal (Corason, TMS France Acoustique). Le brukdon, issu du buru, du mento et du calypso de Jmaïque, est pratiqué par un duo vocal accompagné au Banjo ou des orchestres. C’est le style pour chant et danse le plus en vogue au Belize.///Article N° : 380

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