Black

De Pierre Laffargue

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Comme le revendique haut et fort la communication du film, Black revisite la tradition du cinéma américain de la blaxploitation des années 70. Effectivement, cette histoire de braqueur qui rate son coup à Paris et se débine à Dakar attiré par un bon paquet de diamants met en scène des héros noirs souverains et volontaires, fiers et libres de leurs choix, à la différence de la réduction qu’ils subissent dans la société occidentale. Black le balaise réussit à mettre en morceaux tous les méchants qui en veulent aux diamants tandis que Paloma, craquante agent d’Interpol chargée de l’interpeller, lui file le train avec une ténacité à couper le souffle. Alors que Carole Karemera (Sometimes in April) convainc parfaitement dans son rôle de panthère, le rappeur MC Jean Gab’1 est un vrai lion. Car l’argument de Black est animalier : comme nous en prévient un mystérieux marabout croisé au départ dans les rues de Paris, seule l’alliance du lion et de la panthère pourra venir à bout du perfide serpent (interprété par François Levantal, dont la peau mue peu à peu après maintes gratouilles et les bons soins de la pulpeuse sorcière Mata Gabin).
Black ne refuse donc aucunement les stéréotypes d’une Afrique mythique, mâtinant son récit style série B de tout ce qu’il faut d’acrobaties, de poursuites, trahisons et explosions pour pimenter le voyage initiatique de son héros qui se rend pour la première fois sur la terre de ses ancêtres (dans la réalité aussi !). Black ne refuse d’ailleurs aucun stéréotype, c’est même son mode d’être parfaitement assumé. Il se sépare ainsi allègrement du programme premier des films de la blaxploitation, qui en plus d’être thrillers d’action (avant d’adapter tous les genres sous la pression commerciale) se faisaient revendication politique. En déjouant la police corrompue ou les mafieux pour finir gagnant, le cool Shaft avait le sourire triomphal. Le révolutionnaire Sweet Sweetback Baadasssss Song de Melvin Van Peebles (1971) et leurs émules Superfly (1972), Coffy (1973), The Mack (1973), Black Caesar (1973), Cleopatra Jones (1973), Foxy Brown (1974) et tutti quanti ne sont pas seulement des histoires de super héros auxquels les spectateurs noirs pouvaient enfin s’identifier. Ce sont, comme l’écrivait Anne Crémieux dans sa critique du Shaft de Gordon Parks (1971), « de véritables mises en accusation du rêve américain en cette période de crise économique et de lutte politique. Ainsi quand on lui demande quel est son problème, Shaft répond qu’il en a deux : il est né pauvre et il est né noir. »
En dehors de montrer des Noirs supposés dignes parce que capables de cogner ou d’arnaquer, Black ne s’embarrasse ni d’éthique ni de sociologie. Et ça marche : on prend plaisir à voir s’ébrouer nos deux héros qui forment un couple d’enfer, nous faisant par contre regretter les ennuyantes hyperboles des simagrées du gangster russe ou du serpent en mutation. Le plaisir est dans la bande-son, particulièrement travaillée comme dans les films de la blaxploitation et qui compile en tous sens, puisant autant chez Fela que chez Magma, au point d’être la respiration première du film. Mais le plaisir est aussi dans ces archétypes maintes fois vus et qu’on se délecte à retrouver comme un gamin qui réécoute sempiternellement la même histoire le soir à la veillée. Black est la répétition d’un refrain connu, adaptation aux moyens du bord des règles du thriller américain, des héros valeureux qui ne se définissent que par l’action, conformes au formatage dominant.
Laffargue se réfère à Tarentino (lui-même influencé par la blaxploitation, allant jusqu’à la parodier dans Jackie Brown), mais on cherche vainement dans Black le décalage qui permet aux personnages de Tarantino d’échapper à l’insignifiance. Pas plus que ceux de Black, les héros ou sous-héros de Tarentino n’ont de réelle épaisseur, conformes au modèle hollywoodien contemporain, mais il les rend abstraits en leur donnant des caractéristiques inattendues, comme la manière déjantée de danser dans la célèbre scène du twist réunissant Mia et Vincent dans Pulp Fiction. Sans compter le radicalisme de la forme qui font que les Tarantino nous plongent dans l’étonnement permanent. Rien de tout cela dans Black, où les héros restent désespérément conformes au modèle attendu et où la mise en scène ne compte que sur les cascades, les ambiances ou les effets.
Contrairement au film éponyme de Pierre Maraval qui prétendait lutter contre le machisme et le proxénitisme en en montrant la violence crue, Black affiche la couleur : un scénario à la fois ancré dans le réel africain et potentiellement commercial, sans prétention autre que celle de revisiter un genre. Le réalisateur vient de la vidéo et de l’infographie tandis que le scénariste, Lucio Mad, était un auteur de polards souvent croisé sur les routes africaines. Il contribue à ce que le Sénégal ne soit pas un décor mais nourrisse le récit. On voit ainsi apparaître le célèbre lutteur Tapha Gueye et ses acolytes baraqués, mais aussi une série de bons acteurs africains, à commencer par Ibrahima Mbaye dans le rôle de Lamine. Le tournage à Dakar a également mobilisé une pléiade de techniciens sénégalais.
Lucio étant mort en 2005 d’un cancer du poumon, c’est son frère Gabor Rassov, dramaturge et comédien, qui a pris le relais pour finaliser le scénario de Black, sous la houlette de Chic Films. Cette maison de production a récemment développé le scénario d’Un prophète de Jacques Audiard qui vient d’être couronné à Cannes. Le jeune Beur qu’Abdel Raouf Dafri y interprète brillamment n’est d’ailleurs pas non plus obsédé par l’éthique et ce film remarquablement mis en scène ne grandira pas l’image des jeunes « de la diversité » en France ni ne balayera les clichés. Black non plus, mais dans le contexte français, les Noirs dans les rôles principaux sont encore réservés aux films américains. Il a au moins ça pour lui et, cerise sur le gâteau, il se termine sur un rap de MC Jean Gab’1 spécialement composé sur un afrobeat du Nigérian Tony Allen. De quoi se laisser tenter.

///Article N° : 8749

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Les images de l'article
François Levantal
Mata Gabin et les lutteurs
MC Jean Gab'1





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