Brève histoire de la bande dessinée au Mali

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Comme souvent dans les différents pays d’Afrique, le démarrage de la bande dessinée malienne ne peut se démarquer de celui de l’illustration et de la caricature. Retour sur près de trente d’histoire pour comprendre le déploiement et la structuration du 9ème art au Mali.

Tout commence en 1983 avec le lancement de Podium, supplément sportif du seul journal autorisé de l’époque, L’essor. Le lecteur pouvait y découvrir les aventures de Bouba, mini-série dessinée par l’illustrateur Sidi Sow. Celui-ci, aujourd’hui disparu, s’était déjà fait remarquer en illustrant la revue Soundjata, lorsqu’il était étudiant à l’Institut National des Arts (INA).

La fin des années 70 correspond à une timide ouverture politique de la part du président-général Moussa Traoré qui arrive à attirer certains intellectuels comme Alpha Oumar Konaré. Celui-ci devient ministre de la Culture en 1978 avant de démissionner de son poste deux années plus tard.

En 1983, il lance le trimestriel Jamana, revue culturelle de la coopérative du même nom. On y trouve toujours Sidi Sow mais également Kays (pseudonyme de Yacouba Diarra) qui y dessinait également, en particulier des caricatures et des petits strips. C’est le début d’une carrière dans le milieu pour celui-ci puisqu’il illustrait auparavant essentiellement des brochures et des livres scolaires.
Dans le même temps, la Coopérative Jamana lance Grin Grin un magazine d’information pour les Jeunes, abondamment illustré. Presque tous les dessinateurs de l’époque passent par ce magazine qui va vite devenir une référence dans le jeune lectorat du pays. Presque tous les dessinateurs de l’époque sont passés par ce magazine lu par un grand nombre de jeunes. Une pépinière commence à se constituer. Sidi Sow, Yacouba Diarra, (Kays), Modibo Samakou Kéïta (MOK), Bakoro Doumbia, Dellesi Traoré, Nouhoum Traoré, Modibo Sidibé, Aly Zoromé, Emmanuel Bakary Dao illustrent des articles ou dessinent quelques cases de BD. Les premières séries de la BD malienne sont lancées et font connaître certains dessinateurs auprès du jeune public. C’est le cas de Kays qui dessine la série Saro de 1990 à 1998 mais aussi L’aigle noir, de 1988 jusqu’en 1998. Il y lance aussi Les trois amis (N°27 à 30), Karatou le truand (24 et 25), Les curieux (N°41 à 52)… Aly Zoromé, qui deviendra l’un des auteurs les plus connus par la suite, commence sa carrière avec Omarou le gourmand. Mahamane Imrane Coulibaly dessinera la série Toto du N°25 au N°34, plus d’autres aventures comme la Symphonie des amoureux. Banouh (Nouhoum Madani Traoré) enfin, débute avec Youba avant de se consacrer à l’illustration et à la production de planches diverses.
L’aventure de Grin-grin durera 13 ans et s’arrêtera en 1996.

Entre-temps, le pays verra la création du premier journal satirique Le scorpion (avec deux anciens de Grin-grin, Modibo Samakou Keita (MOK) et Dellesi Traoré) en 1991, année du renversement de Moussa Traoré par un coup d’état militaire et l’instauration de la démocratie.
De 1990 à 1997, la BD disparaît de la presse locale.
La caricature y fait son apparition, avec en particulier la Cigale muselée mais aussi Le Vendu, Le Hérisson, Sud Info, Le Zénith, l’Aurore dont les caricatures étaient faites par Emmanuel Dao (qui lancera son propre journal satirique, la Cravache en 1996) Modibo Samakou Keïta, Mahamane Imrane Coulibaly. En 1997, à la fin de son 1er mandat, le président de la république éditera même un recueil de caricatures intitulé le miroir satirique« (1).

En 1997, les éditions Le figuier, créé par l’écrivain Moussa Konaté, sort Comment le lièvre sauva les chèvres de Yacouba Diarra (Kays). Ce conte animalier devient le premier album BD du pays. Il sera suivi en 2001 par La revanche du chasseur du même auteur, chez le même éditeur. Cet ouvrage en couleur s’appuyait sur un conte mêlant personnages humains et animaux. Le grand chasseur Fagnouma-Blen offre un morceau de viande aux vautours au terme de chacune de ses chasses. Un jour, pour tester la gratitude des rapaces, il s’allonge sur le sol et fait le mort. Le lièvre, son complice, annonce la nouvelle aux autres animaux et notamment à la hyène et aux vautours. S’ensuit un jeu de ruse où chacun se méfie de son voisin tout en essayant de le piéger. Ces deux productions furent l’occasion pour Kays de s’échapper de Grin-grin et de produire un album de 36 pages. Cette même année voit la création de l’hebdomadaire Le canard déchaîné. Le 1er caricaturiste fut d’abord le très populaire Mamadou Diarra qui sera remplacé par la suite par Kays. Tiré à 2000 exemplaires, Le canard déchaîné publiera également chaque année, 1 à 2 compilations de ses meilleures caricatures. 2002 verra le réel démarrage du 9ème art dans le pays. Cette année, l’association amiénoise « On a marché sur la bulle » organise, en partenariat avec le CCF de Bamako, un atelier encadré par Barly Baruti et Nicolas Dumontheuil (2), auquel participent Massiré Tounkara (né en 1979), Julien Batandéo (né en 1979) d’origine togolaise, Nambala Diawara (né en 1953) et Aly Zoromé (caricaturiste au quotidien L’essor et illustrateur pour enfants). Suite à ce stage, les auteurs décident de s’unir et de créer l’atelier BDB (Bande des dessinateurs de Bamako) avec comme secrétaire un autre togolais, Georges Seynam Foli, seul non-dessinateur du groupe. Le résultat de leurs travaux est présenté à Amiens lors du festival de BD de la même année et trois d’entre eux y seront invités.

Ce stage inaugurait une série de plusieurs autres stages auxquels participeront les dessinateurs maliens, en particulier trois stages encadrés par Alain Brezault à l’occasion des différentes éditions du Festival Étonnants voyageurs, mais aussi un atelier commun fait avec l’association L’Afrique dessinée (Saint Ouen – France) en 2006.

Cette année 2003 constitue la véritable naissance de l’équipe. Les auteurs créent l’association Esquisse et lancent un fanzine, Ebullition, qui comptera deux numéros.
En parallèle, l’association lance un premier album de 30 pages de Julien Batandéo, Tchécoroba. Entièrement en noir et blanc et couverture souple, Tchécoroba présentait une succession de gags en une planche, centrée sur la vie de famille et les difficultés comiques d’un homme à rester fidèle à son épouse.
Cette même année, Balani’s, une boîte d’événementiel et de production de groupes de rap fondée par Lassana Igo Diarra, décide de se lancer dans l’édition d’ouvrages pour la jeunesse ainsi que de bandes dessinées.

Sa première réalisation est un conte pour enfant accompagné d’une cassette audio, Les jumeaux à la recherche de leur père, un texte d’Ousmane Diarra (3) dessiné par Massiré Tounkara. Le premier tome, qui sort en 2003, rencontrera un certain succès. Il sera suivi en 2005 par un deuxième tome. Le duo réitérera l’expérience en 2006 avec La princesse capricieuse chez le même éditeur.
Peu à peu, l’association se structure et étend ses activités. Entre 2005 et 2009, Esquisse organise trois éditions du salon de la BD de Bamako qui rencontre un vrai succès. Puis en 2008, l’association Esquisse devient le Centre de la bande dessinée de Bamako et quitte le CCF où elle était installée depuis quelques années, pour s’installer dans un local qu’elle loue en plein cœur de la capitale. En parallèle à la bande dessinée, les différents artistes du Centre de la bande dessinée produisent des supports pédagogiques et didactiques, des posters, des livrets de santé. Solidaires, très présents sur le marché, les auteurs du Centre de la bande dessinée arrivent à « capter » des commandes institutionnelles, ce qui leur permet d’avoir des sources de revenus non négligeables.
En effet, à l’image de ce qui se passe dans la plupart des pays africains, les auteurs ont tous un travail en parallèle à leur activité de bédéiste, ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.
En effet, la bande dessinée ne rapporte guère de revenus réguliers aux artistes, du fait de publications aléatoires et d’une absence quasi-totale de planches de BD dans les quotidiens et hebdomadaires généralistes du pays.
De fait, le nombre d’auteurs extérieurs au Centre de la bande dessinée qui se sont aventurés dans le genre sont rares. En 2006, deux auteurs maliens, lauréats du concours Africa & mediterraneo, ont été publiés dans le collectif Africa comics 2005 – 2006. C’est le cas de Montar Fofana qui y publie les cinq planches de Yararé Bouré, la mauvaise épouse, mais également Lassana Fofana avec Réalité (4 planches). Deux auteurs totalement inconnus au Mali.
En 2008, les éditions Edis sortent, grâce à un soutien public, Le prix de la fraude dessiné par Aly Zoromé. Ce mini-album en noir et blanc attaque de plein fouet l’un des maux actuels des sociétés africaines, à savoir la corruption dans le milieu scolaire.
La même année, Balani’s lance une série intitulée Issa et Wassa avec des dessins de Massiré Tounkara. Orientée sur la protection de la nature, la série édite successivement Le forestier du Baoulé (2008) et Woroni du Bafing (2009). Les deux jeunes héros que sont Issa et Wassa vivent des aventures qui mettent en exergue les beautés naturelles du pays. Les 9 parcs animaliers maliens devraient faire chacun l’objet d’un album. Le troisième album, Selingué, devrait sortir en début d’année 2011, suivi du quatrième, dans la foulée.
Cette initiative fait des émules puisqu’au début de 2010, sont créés les éditions Tombouctou, nouvelle maison dirigée par Aïda Diallo et Ibrahima Aya, auteurs engagés en faveur de la lecture des jeunes. Leur premier titre est tiré d’une collection de bandes dessinées documentaires qui prévoit la découverte de diverses régions du Mali, à travers les voyages des jumeaux Awa et Adama. Il s’agit de Awa et Adama à Wadakédji, toujours dessiné par l’infatigable Aly Zoromé. Wadakédji est le nom d’une association de communes des cercles de Yanfolila, Kati et Bougouni au centre du pays. Chaque étape du voyage des enfants est l’occasion d’une découverte des particularités de la région et aussi l’occasion d’aborder des thèmes plus généraux comme l’importance de l’état civil du droit de vote ou la culture du karité…
Le 9ème art malien est donc en pleine envolée depuis une quinzaine d’années. Le nombre d’albums est en hausse constante et le milieu fait de plus en plus parler de lui. Les raisons tiennent essentiellement à l’installation de la démocratie dans le pays depuis 1992, ce qui a entraîné une grande liberté de la presse et un développement de l’édition. C’est également le résultat d’une forte présence d’organisme de développement dans le pays, ce qui permet à certains éditeurs ingénieux de recevoir du soutien lorsqu’ils abordent certains sujets.

Cependant, dans le milieu du 9ème art d’Afrique où il est nécessaire d’acquérir une certaine visibilité internationale afin d’atteindre une meilleure légitimité intérieure, les auteurs maliens font exception. Centrés sur leur pays, ceux-ci ne cherchent guère à se faire remarquer à l’extérieur. En effet, seul Massiré Tounkara, est visible à l’étranger avec une planche nommée « droit d’asile«  éditée dans le collectif L’illustration universelle des droits de l’homme (2006 – Glénat) et une histoire courte (Vie de m…) sur un scénario de Fatima Wagué) dans le recueil algérien La BD conte l’Afrique (Editions Dalimen) sorti à l’occasion du Festival panafricain d’Alger, en 2009, Le bilan peut paraître mince. Il démontre surtout qu’il est possible de faire carrière loin des yeux de l’occident. Pourtant, celui-ci s’intéresse au Mali. La preuve en est la sortie en 2009 de La compagnie des cochons par Arnaud Floc’h, auteur français vivant une partie de l’année à Bamako, et qui y situe l’intrigue (policière) de cette dernière œuvre. Dix ans après Mali mélo, carnet de voyage publié en 2000, auquel avaient participé Patrick Cothias et Régis Loisel, grands noms du 9ème art français.

Alors, qui sait, peut-être, qu’un jour en bande dessinée, ce seront les maliens qui parleront enfin du Mali…
Mais il s’agit là d’une très vaste question, bien plus vaste que la seule thématique de la BD.

1. L’histoire de la caricature est racontée par Hawa Séméga et Georges Foli dans l’article, Presse satirique au Mali in
[//africultures.com/php/index.php?nav=article&no=9059]
2 Nicolas Dumontheuil publiera par la suite la série Le landais volant, dont le premier tome, Conversations avec un margouillat se déroule au Mali.
3 Ousmane Diarra est l’auteur de deux romans chez Gallimard – Continent noir : Vieux lézard,, Pagne de femme de nouvelles (dans les recueils Le camp des innocents, Nouvelles du Mali) ainsi que deux ivres pour la jeunesse pour Le figuier : La longue marche des animaux assoifés (1997), Néné et la chenille (2000) …
Erstein, le 08 novembre 2010.///Article N° : 9821

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Les images de l'article
© Massiré Tounkara
© Massiré Tounkara
Petit chaperon rouge © Massiré Tounkara
Couverture Issa et Wassa © Toukara Massiré





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