Burning Casablanca (Zanka contact), d’Ismaël El Iraki

Survivants plutôt que victimes

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Sélectionné à la Mostra de Venise où Khansa Batma a obtenu le Lion de la meilleure actrice dans la catégorie Orrizonti, Burning Casablanca sort sur les écrans français le 3 novembre 2021. Rencontre explosive entre une rock star déchue et une fille de la rue à la voix d’or, passion vite rattrapée par leurs démons passés, ce film baigné de musique décape ce qui restait encore de clichés sur le Maroc urbain.

Zanka Contact, c’est la baston de rue dans l’argot marocain. Tourné en 35 mm et sélectionné à Venise, le film d’Ismaël El Iraki, diplômé de la Fémis, se veut enflammé, rock et déjanté : il multiplie ralentis, effets et visions avec la caméra éclatée de Benjamin Rufi. Le film se veut « une lettre d’amour et de haine à Casa », dit le réalisateur. Il prend effectivement comme toile de fond une ville déchirée, pointant dans la lignée du Casanegra de Nour-Eddine Lakhmari la dureté de Casablanca sur un rythme palpitant et des musiques d’enfer.

Il confronte Rajae alias Nisrine, une prostituée (Khansa Batma, qui illumine ce film écrit pour elle [1]), et Larsen Snake, un guitariste drogué qui a eu sa célébrité (Ahmed Hammoud) et revient, déstabilisé, au pays avec sa veste en peau de serpent et sa guitare comme Marlon Brando dans L’Homme à la peau de serpent. Ils jouent l’indifférence : « ma détresse t’emmerde« . Le schéma est connu : il est rude mais sait se faire tendre, elle finit par craquer. « C’est Casa ici, Allah t’abandonne » : dans la cruauté des rapports urbains, Rajae et Larsen, qui ont tous deux un passé à dépasser, s’inventent une romance en darija qui mélange arabe, amazigh et français, mais un maquereau véreux ne les lâche pas. D’un night-club underground où triomphe le rock seventies à une planque en plein désert, le film vire vers le western.

« Ils cognent à terre, les honnêtes gens, sous la ceinture, Zanka contact. Ils ne te voient pas, ils te passent dessus » : au contact de Larsen (au nom prédestiné), Rajae se découvre une voix en or et un répertoire aussi perçant que son vécu. Elle trouve en Larsen un homme certes cassé mais sensuel et sensible, à mille lieux de la violence machiste qui l’entourait jusqu’alors.

Cette violence absurde, Ismaël El Iraki l’a expérimentée lorsqu’il était dans la salle du Bataclan à Paris tandis que les terroristes ont commencé à tirer le 13 novembre 2015 lors du concert des Eagles of Death Metal. Il a réussi à s’en échapper indemne mais il est clair que ce souvenir lui donne la rage de vivre et renforce son amour de la musique. Il dit lui-même « vivre et respirer » rock n’ roll » et a écrit à Jesse Hugues, le chanteur des EODM, son dégoût pour sa réaction qui accusait les Arabes présents ce soir-là de complicité avec les terroristes (« Ta bêtise est dangereuse »[2]). Son film, qui lorgne volontiers sur le cinéma de genre pour à la fois illustrer et dépasser ce trauma, ne manque pas de beauté jusque dans ses effets déchaînés. Ses traits de lumière compensent ainsi son infinie noirceur.

[1] Fille de Si Mohamed Batma et Saida Birouk fondateurs de Lemchaheb, groupe mythique des années 70/80, elle est également la nièce de Larbi Batma, leader charismatique de Nass L’ghiwane, et soeur de Tarik Batma le parrain de la fusion avec son album “Casablanca” en 1996. Avec sa voix émouvante et sa présence scénique, elle remporte un grand succès que celui de ses albums confirment.

[2] Cf. l’article de 13 Or de vie et l’article de Marianne

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