Cahier d’un retour au pays natal

De Aimé Césaire. Mise en scène Daniel Scahaise

Rencontre avec Etienne Minoungou
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Du 23 au 26 mars 2016, Etienne Minoungou interprète l’oeuvre magistrale d’Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, au TARMAC (Paris). Il est également au festival d’Avignon du 9 au 27 juillet 2016.
Un défi pour le comédien, qui, dans cette mise en scène de Daniel Scahaise, s’efforce de transmettre toute l’actualité de cette parole, qu’elle soit accessible au plus grand nombre, « une parole qui s’adresse à tous les errants d’aujourd’hui », dit-il à Africultures.

Un amoncellement de sable, des planches en bois et un homme comme échoué sur le bas-côté. Ce décor succinct rappellerait une rue dégarnie où l’homme aurait trouvé refuge pour avoir un coin où dormir. Cet homme se réveillant par la suite « au bout du petit matin » s’approprie cet espace entre deux mondes, celui de l’errance, pour asseoir sa pensée et sa parole. Cet espace-temps est le sien et il l’occupe à lui tout seul en se rappelant, en se souvenant, en invoquant, en prophétisant et en vociférant parfois. Ce cri, c’est celui d’un homme qui se dit à la face du monde. C’est celui d’Aimé Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal qui appelle chacun au rendez-vous de la conquête et du savoir. Chantre de la négritude, le Cahier est une œuvre essentielle dans la revalorisation de l’homme noir, pensé et évalué en tant que « nègre ». Un propos politique contre l’impérialisme, la colonisation, contre toutes formes d’oppression qui sectorisent l’humanité, tout en ayant une force poétique libre et riche. C’est aussi une parole inédite par les images et les sensations qu’elle suscite et donc un terreau fertile pour le théâtre. C’est cependant un pari difficile tant la langue de Césaire demande à être apprivoisée. Il y a dans la proposition de Daniel Scahaise et d’Étienne Minoungou une tentative de rendre la situation des mots effective ce qui par moments fonctionne un peu moins. Mais on est rattrapé par le jeu qui circule entre le comédien et le public et qui actualise le verbe du Cahier. On est dans un présent qui interroge tant le passé que l’avenir. La force du texte de Césaire se révèle alors encore plus dans sa capacité à épouser et éclairer des aspirations d’aujourd’hui. Le huis clos est fissuré un moment dans le spectacle par l’appel de la colombe. Un appel à l’agir à présent.

« Que ce soit une parole qui s’adresse à tous les errants d’aujourd’hui »
Entretien avec Étienne Minoungou :
Quelle est la genèse de ce projet ?
Daniel Scahaise avait depuis longtemps en projet de monter Cahier d’un retour au pays natal dans son théâtre Les Martyrs à Bruxelles et il cherchait un acteur. Il est venu voir un de mes spectacles M’appelle Mohamed Ali mis en scène par Dieudonné Niangouna et il m’a proposé son projet. Il se trouve aussi, comme la plupart des comédiens africains que c’est toujours un rêve de jouer le Cahier d’un retour au pays natal. C’est un défi d’acteur de jouer les textes d’un grand poète. Et un artiste a toujours envie de se confronter à Césaire et notamment au Cahier.

Comment avez-vous travaillé à aborder cette langue particulière et riche du Cahier ?
On est parti sur le principe de rendre cette parole accessible pour pouvoir la partager au public. J’ai cherché en tant qu’acteur à ne pas rentrer dans le lyrisme et dans la poésie très forte de Césaire mais plutôt à les rendre concret et immédiat, accessible comme dans une conversation. Et ça rejoint le style de jeu que j’aime bien qui est de pouvoir entrer dans un rapport de conversation avec le public.

Comment avez-vous procédé pour l’adaptation ? Qu’est-ce qui vous a guidé dans les choix des passages ?
Avec le metteur en scène, nous avons essayé de déterritorialiser le texte pour que ce soit une parole qui s’adresse à tous les errants d’aujourd’hui. Pour que ça puisse dire quelque chose de nos jours, nous avons souhaité de ne pas le mettre dans le rapport du Noir ou de l’Africain exilé qui rentre dans son pays natal. Nous voulions nous adresser à tous les hommes au bord des routes. Et nous savons qu’en ce moment avec la crise des migrants déplacés, il y a de nombreux hommes, femmes et enfants qui cherchent leur chemin, leur voie, leur route. Et ce texte-là pourrait être le leur. L’adaptation est donc partie de cette intention de montrer que ce texte pourrait appartenir à tous ceux et celles qui sont au bord de la route.

Qu’est-ce que la négritude pour vous ? Est-il encore pertinent selon vous de parler de négritude aujourd’hui ?
Oui, dans le sens où pourrait l’employer Achille Mbembe. La négritude, pour moi, aujourd’hui il faudrait la comprendre par la pensée d’Achille Mbembe. Quand il écrit «  le devenir nègre du monde« , il parle de la négritude dans un projet global du néolibéralisme et du capitalisme financier qui tentent de rendre tous les hommes taillables et corvéables à merci. Il ne faut pas oublier que le premier capital du néolibéralisme s’est constitué dans le cadre du commerce triangulaire. La traite négrière dans la prédation des peuples externes à l’Europe a été le fond de l’essor et du développement industriel des pays occidentaux. Sauf qu’aujourd’hui, la prédation va se faire maintenant sur tous les hommes. Dans nos sociétés de consommation, vous ne comptez seulement parce que vous pouvez acheter, produire et vendre. À ce moment-là, la négritude fait le projet caché de rendre tous les hommes nègres, c’est-à-dire taillables, corvéables, exportables, consommables, vendables, achetables de la même manière que des millions d’Africain-e-s l’ont été. Quand je joue Césaire et que je pense à ce nègre dont il parle, il évoque en fait l’Homme de l’avenir, l’Homme de maintenant, l’Homme d’hier donc l’Homme tout court.

Dans le spectacle, vous faites un parallèle avec le Burkina Faso en chantant l’hymne national.
Pendant la création de ce spectacle, je revenais de l’insurrection populaire de 2014 à Ouagadougou où j’ai participé aux luttes citoyennes pour chasser le dictateur. Et au moment où je dis : « Et nous somme debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent…« ,
je n’avais pas l’impression d’être un comédien, il y avait dans mon corps et dans mon histoire récente par rapport au Burkina Faso quelque chose qui m’identifiait complètement à cette phrase-là. Alors j’ai pensé au Burkina Faso, à tous les peuples qui peuvent se soulever pour demander non pas le pain et l’eau, mais la dignité et la liberté. C’est en ce sens que le Burkina est entré dans Césaire ou que Césaire a croisé le destin du peuple burkinabè.

CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL
Texte d’Aimé Césaire
Mise en scène de Daniel Scahaise
Avec : Étienne Minoungou
Assistant à la mise en scène : François Ebouele
Régie : Frédéric Nicaise

Au TARMAC, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris. Du 23 au 26 mars 2016

Au COLLÈGE DE LA SALLE, 3, place Louis Pasteur – 84000 Avignon. Du 9 au 27 juillet – relâche les 14, 15, 21, 22 juillet///Article N° : 13549

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© Adrian Zapico Carmine Penna
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