Camille, de Boris Lojkine

En compagnie d'une femme puissante

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Deuxième long métrage de fiction de Boris Lojkine, Camille est tourné en République centrafricaine, malgré la violence endémique qui secoue encore le pays. Un film qui remue, en sortie dans les salles françaises le 16 octobre 2019.

En octobre 2013, la photo-reporter indépendante Camille Lepage, 26 ans, se rend en Centrafrique où les Séléka, coalition de groupes rebelles a dominante musulmane, a pris le pouvoir en mars 2013 et sème la terreur. Le 5 décembre, les milices miliciens d’autodéfense anti-balaka (qui portent des gris-gris censés les protéger contre les balles des kalachnikovs : « anti-balles-AK ») attaquent Bangui, ce qui déclenche un massacre. La France intervient (opération Sangaris) sans que la violence se calme car les quartiers chrétiens s’en prennent aux quartiers musulmans. Le pays bascule dans la guerre civile.

Tournage du film « Camille » de Boris Lojkine en Centrafrique.
Nina Meurisse, actrice (Camille Lepage) lors du tournage d’une scène de lynchage à Bangui.

Connaissant de jeunes étudiants, Camille Lepage arrive à se joindre à un groupe de miliciens anti-balaka opérant près de la frontière du Cameroun. Alors qu’ils circulaient en moto, ils tombent le 12 mai 2014 dans une embuscade. Elle est tuée sur le coup.

Alors que le pays est encore largement contrôlé par des chefs de guerre, le dossier d’instruction, un temps perdu à Bangui, a été finalement retrouvé, mais la perspective d’un procès reste incertaine. Malgré tout, la famille Lepage continue à se battre pour que l’affaire ne soit pas enterrée, mais travaille aussi à la protection des photojournalistes agissant en zones de conflits.[1]

Boris Lojkine, qui vient du documentaire, ne la connaissait pas mais se sentait proche de cette photojournaliste qui cherchait à comprendre en plongeant dans la réalité, en restant sur le terrain au contact des gens. Son précédent film, le remarquable Hope (2014), sur la cruauté des règles du voyage des immigrés clandestins, proposait sans le nier d’échapper à la seule noirceur d’un réalisme cru.

On retrouve dans Camille cette dynamique de la complexité. Camille est idéaliste, croyant que ses photos pourront servir les populations, mais se trouve confrontée à une violence qu’elle pensait inhumaine. Que faire de cette contradiction sans plonger dans le cynisme porté par d’autres reporters ? Elle cherche à retrouver avec ses photos de l’humanité chez ces miliciens anti-balaka qu’elle voit comme des égarés.

C’est ce qui intéresse Boris Lojkine : cette femme puissante, en quête de sens au milieu de la violence du monde. Tout en construisant une fiction, il tente de respecter sa démarche, de s’effacer derrière elle. De même, il donne à comprendre le drame centrafricain, complexe lui aussi, qui ne se résout pas à une opposition religieuse. Le personnage de Leila, fille d’un musulman et d’une chrétienne, porte l’enchevêtrement de la réalité face aux idées reçues. De même qu’Abdou, jeune musulman qui doit s’exiler, ou Cyril, le rappeur devenu anti-balaka.

Lojkine a trouvé chez Nina Meurisse la naïveté et la détermination à faire face qui animaient Camille. Il est vrai qu’elle crève l’écran, extrêmement présente. Le choix d’inclure les photos de Camille Lepage dans le récit montre à quel point elle était en phase avec l’énergie des jeunes qu’elle côtoyait. On y capte son regard, moments de respiration alors que le film est chaos. Du coup, tout le film est en format photo (1:5), parfaitement inhabituel. Ces photos sont une éruption particulière de la réalité dans la fiction et amènent une réflexion sur le contenu des images. On retrouve là une démarche proche du magnifique documentaire de Mariana Otero, Histoire d’un regard (2019), basé sur les milliers de photographies de Gilles Caron, lui aussi disparu jeune alors que ses photos faisaient le tour du monde.

Cela fait du film tout sauf un biopic. Ce n’est pas une biographie que nous livre Lojkine mais une relation, la mise en avant de ce qui le touche dans le personnage de Camille Lepage. C’est ce qui fait qu’alors que nous en savons dès le départ la fin tragique, le destin de Camille reste imprévisible et d’autant plus passionnant, faisant exploser stéréotypes et préjugés.

En les intégrant à son équipe, Lojkine s’est appuyé sur les cinéastes en herbe qu’il a formés à travers un atelier Varan en amont du tournage et dont les films ont tourné dans les festivals. Cet ancrage donne du poids au film. Cet atelier de soutien à l’émergence d’un cinéma centrafricain a motivé l’aide apportée par les autorités pour que les scènes de rues parfois vides ou avec des manifestations puissent être tournées.

C’est ainsi qu’au-delà de ce qu’il veut porter et à quel point il nous remue, ce film sert également d’archive sensible et de mémoire sur une période difficile dont on ne connaît pratiquement que les images amateurs ou de reporters.

[1] . Fondée en septembre 2014 par la famille proche de Camille, ses parents et son frère, l’association « Camille Lepage – On est ensemble » a pour but de promouvoir la mémoire, l’engagement et le travail de Camille, mais aussi de contribuer à la protection de photojournalistes travaillant dans les zones de conflit. Chaque année, l’association remet lors du festival Visa pour l’image à Perpignan un prix à un photojournaliste dont le travail témoigne d’un engagement personnel fort dans un pays, auprès d’une population ou pour une cause.

www.camillelepage.org – Facebook.com/associationcamille

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