Cannes 2003 : mobilisation générale !

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Faiblesse de production oblige, les sélections cannoises ne comportaient qu’un film centrafricain et deux marocains. Pourtant, des systèmes d’aide existent. Mais alors même que tous se mobilisent contre le rouleau compresseur américain pour défendre la diversité culturelle dans le monde, l’enjeu est de savoir si l’Europe, en aidant la production d’images du Sud, se pose comme un passage obligé ou si elle permet aux pays du Sud de structurer une industrie apte à produire ses propres images. En somme, si on préfère un jeu de ping-pong Europe-Amérique ou un véritable multilatéralisme culturel. Le festival de Cannes 2003 a été le théâtre de multiples tables-rondes et annonces de programmes de soutien aux cinémas du Sud. Radioscopie, puis regards sur les films.

La question est vieille comme les Indépendances : elle rejoint le souci de faire en sorte que les fonds énormes investis dans la coopération soient structurants pour les pays concernés plutôt qu’ils ne ré-engendrent sempiternellement un assistanat dont le Nord pourra se glorifier pour son humanité et dont le Sud sera l’obligé reconnaissant. Cependant, avec la crise, sans être remise en cause les aides publiques n’augmentent pas : il faut faire mieux avec autant qu’avant. Et il faut envisager un avenir éventuellement proche où les fonds se tariront, où, comme aime à le dire Idrissa Ouedraogo,  » la natte sera retirée sur laquelle nous sommes assis « .
Un plan global de bataille
2003 : le vent est effectivement nouveau au ministère des Affaires étrangères (MAE). L’arrivée de Richard Boidin, qui vient d’Arte, à la tête de la direction de l’audiovisuel, marque un nouveau discours : reconnaissance des erreurs passées et volonté de changement, exprimée dans une table-ronde consacrée au financement des films du Sud (cf compte-rendu détaillé sur africultures.com). Pour cela, de véritables révolutions :
1) Plutôt que de faire cavalier seul, voire de se tirer dans les pattes, les différents guichets coordonnent ou unissent leurs actions.
La première manifestation visible : un pavillon unique  » Cinémas du Sud  » à Cannes sur 400 m2, réunissant le ministère des Affaires étrangères, le Centre national de la Cinématographie, l’Agence intergouvernementale de la francophonie, TV5 et Canal France International (CFI). 2) Enfin une action sur la diffusion des films en Afrique.
Au bout de deux ans d’un travail essentiellement mené par l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF), l’annonce par le MAE, l’AIF et l’Union européenne (UE) d’une action conjointe  » Africa cinémas  » de soutien à la diffusion des films montre le souci d’agir de concert dans un domaine jusqu’ici négligé (cf rapport de la présentation cannoise sur africultures.com). Le but est de renouer le lien entre les cinéastes africains et leurs propres publics. Vu la dégradation générale en Afrique des salles de cinéma, la main-mise du cinéma américain sur la distribution et la crise financière comme la frilosité des télévisions nationales, les publics africains ne peuvent que rarement voir les films d’Afrique. Tandis que l’aide à la production des trois guichets est poursuivie, une enveloppe globale de 1,5 millions d’euros est dégagée pour un soutien à la distribution en salles. Géré par Europa cinémas et placé sous la direction du producteur burkinabè Toussaint Tiendrebeogo, ce fonds soutiendra des contrats de distribution sur au moins cinq pays du continent, ce qui représentera une moyenne de 75 000 euros d’aide par film sous forme de copies, bandes-annonces, affiches, dossiers de presse, transports, organisation d’événements promotionnels, etc.
Si les exploitants s’engagent à programmer un certain pourcentage de films africains, des aides leurs seront versées pour la modernisation de leurs salles. Des aides structurantes seront attribuées à des distributeurs africains. Les différentes pistes de diffusion (cinéma numérique, vidéo, cinéma itinérant) seront explorées et soutenues, ainsi que la diffusion des films sur les télévisions hertziennes.
Beau programme qui suppose que le public suive ! Car la réalité est aujourd’hui que le public africain se détourne de son propre cinéma comme du cinéma français, voire du cinéma en général. On pense à la promotion commerciale des films mais un terme est toujours oublié, qui bien sûr nous est cher : la critique. Certes, le temps est loin où une tirade radiophonique de Jean-Louis Bory faisait gagner ou perdre 50 000 spectateurs à un film. Pas plus qu’en France, la critique africaine ne fait le succès des films. Mais une contradiction persiste : il ressort de toutes les interventions officielles que le choix des guichets reste de soutenir un cinéma dit  » de qualité « , donc pas forcément grand public. Pour que ce type de cinéma trouve un public, une certaine cinéphilie doit voir le jour, notamment chez les jeunes, qui tirera l’ensemble de la cinématographie vers le haut comme le font les aides à la production quand elles ont pour critère la qualité artistique des films. Cela suppose une réflexion et des publications critiques. Ce qui passe par la formation à la critique des journalistes culturels africains et les moyens pour eux de s’exprimer, de confronter leurs points de vue, d’être valorisés et d’être lus au-delà de leur média. Si la reprise d’une revue de cinéma comme Ecrans d’Afrique semble difficile à financer et à diffuser efficacement, l’internet paraît à cet égard une solution d’avenir, qui permet à la fois l’actualité et la documentation.
Sinon, il est clair que l’aspect structurant du soutien aux salles et aux distributeurs ne peut qu’être applaudi : enfin, une aide qui permette à un maillon essentiel de la chaîne de se consolider. Même si la salle de cinéma sous sa forme actuelle (souvent salle unique de trop grande capacité alors qu’il faudrait des salles multi-écrans et explorer la projection numérique) n’est peut-être pas la solution d’avenir pour la diffusion des films, le public potentiel apprécie la  » sortie cinéma  » dans des salles attractives et bien équipées. C’est sous cette forme qu’elle reste une alternative à la télévision ou la vidéo.
3) Un Plan images pour l’Afrique.
Le souci du programme sur trois ans annoncé par le MAE intitulé  » Plan images Afrique  » va heureusement dans le même sens d’une structuration et d’une prise en compte des réalités du terrain : le fait de fusionner l’actuel Fonds Sud Télévision et le Fonds d’Appui au développement des Cinémas du Sud (ADCSud) en un guichet unique, le Fonds images Afrique, est lui aussi une révolution en soi. En effet, suivant en cela l’exemple des autres guichets, il permet enfin de ne plus opposer deux domaines jusqu’ici soigneusement séparés par le ministère : le cinéma et la télévision. Par ailleurs, il ouvre l’aide à tous les formats et les durées, n’excluant plus le court métrage pour le cinéma, et concerne aussi les téléfilms, sitcoms, films d’animation, clips, magazines et documentaires. Enfin, il s’applique à tous les stades du développement et de la production, quelque soit le support choisi. Sans qu’une réelle parité soit annoncée (qui permette d’éviter les sempiternelles oukases occidentales sur ce que doit être un film africain), l’aide sera attribuée par une commission groupant des professionnels d’Europe et d’Afrique sub-saharienne. Et, last but not least, la totalité du soutien sera attribué à une société de production locale et devra être dépensée sur place. Avec 6 millions d’euros sur trois ans, cette aide cumulable avec les autres soutiens sera loin d’être négligeable ! Elle comprendra également un volet formation de scénaristes et de producteurs ainsi que la promotion.
4) S’appuyer sur les télévisions.
Avec l’aide à la production (Fonds images Afrique) et l’aide à la diffusion (Africa cinémas), le troisième volet du  » Plan images Afrique  » concerne le soutien aux télévisions africaines. On a là le fruit d’une réflexion quantitative sur le public qui relativise l’impact des salles (les fonds à investir pour la modernisation du parc des salles devraient être gigantesques) au profit des télévisions. Il ne s’agit plus dès lors de produire uniquement des films de cinéma, mais aussi des séries, sitcoms, téléfilms, documentaires, fictions de proximité etc. En somme, de reconquérir un terrain perdu pour que les Africains voient en priorité des images produites en Afrique. L’approche est ici gestionnaire : il s’agit d’aider par convention signée les télévisions à se professionnaliser, d’étudier les attentes de leur audience, d’explorer le marché publicitaire. Et voilà 3 millions d’euros de plus dans ce programme de trois ans. Rien d’étonnant à ce que le suivi en soit confié à CFI : c’est un outil de coopération et l’ensemble du programme est avant tout un programme de coopération.
Voir ainsi CFI gérer cette aide aux télévisions fait craindre le pire à certains, CFI étant aujourd’hui à travers sa politique de don gratuit de programmes aux télévisions du Sud un des principaux obstacles à ce que celles-ci se prennent en mains pour la production d’émissions propres. Mais le problème est complexe, parce que les autres coopérations (anglophone, germanophone) pratiquent aussi le don gratuit mais aussi parce qu’on constate que les télévisions africaines repiquent plus volontiers des programmes grand public extérieurs que des programmes africains que CFI essaye de diffuser en plus grand nombre. Les séries américaines et brésiliennes captent en outre tant le public qu’elles leur donnent priorité.
On sent le fond du problème : comme partout ailleurs, les publics du Sud ne cherchent pas la qualité culturelle mais la distraction facile. L’aide au cinéma et à l’audiovisuel s’inscrit ainsi dans une démarche éducative. Comme le dit Serge Adda, directeur de TV5 :  » Notre démarche est volontariste, qui ne répond pas à une demande des publics mais à une réflexion que nous avons en commun pour la défense de la diversité culturelle « . Faut-il pour autant ne produire que des œuvres exigeantes ? Charles Mensah, directeur du Centre national du cinéma du Gabon, s’élève contre  » le puissant lobby qui oriente les jurys dans les festivals  » et qui privilégie  » les films d’auteur sur les films grand public « , au détriment du lien avec le public africain.
Vieux débat empoisonné du diktat de l’audience ! L’histoire du cinéma montre que le public se lasse quand les produits commerciaux ne savent pas se renouveler. Il n’y a pas de cinéma sans création. Surtout dans les cinémas d’Afrique où les films ne sont pas le produit d’une industrie organisée, l’opposition entre cinéma d’auteur et cinéma grand public est inopérante : pour prendre un exemple au Gabon, Dôlè, d’Imunga Ivanga, est-il un film d’auteur ou un film grand public ? Même question pour Le Silence de la forêt de Didier Ouenangaré et Bassek ba Kobhio présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs comme un film d’auteur et qui s’adresse pourtant à un large public ? Plutôt que d’opposer ces deux termes, mieux vaudrait situer l’opposition dans le contenu des films : s’agit-il de faire comme le cinéma hollywoodien un retravail des angoisses du monde pour mieux en accepter l’ordre (américain globalisé) ou bien se coltiner la réalité comme le font les autres cinémas pour en envisager le changement, c’est-à-dire faire un cinéma de regard où un créateur propose sa vision en plaçant le spectateur dans une réflexion participative ? Que certains films soient dès lors plus difficiles d’accès que d’autres dans cette recherche forcément formelle fait partie du jeu créatif. Que des jurys de festivals y soient sensibles est normal : à moins de juger un film en terme d’audimat ou de prix du public, leur rôle est de motiver les spectateurs à tenter l’expérience de voir des films éventuellement exigeants, en phase avec le rôle éducatif et culturel voué au cinéma en plus de la simple distraction.
Le vieux procès fait à une nouvelle génération de cinéastes de faire des films destinés à plaire à un public occidental est si fort que la Guilde des réalisateurs et producteurs africains a consacré son dernier bulletin aux réponses d’un certain nombre de réalisateurs à cette question (en ligne sur www.cinemasdafrique.com). Tous revendiquent la liberté de faire une œuvre artistique sans devoir se soucier de répondre à des critères d’identification africaine.
 » Ne fait-on pas une trop grande part au film d’auteur ? se demande aussi Jean-Claude Crépeau, qui dirige le secteur audiovisuel à l’AIF. Sans doute. Il nous faut rapprocher la prise de décision du terrain.  » C’est sans doute là la solution mais aussi le hic. Le problème n’est pas l’existence d’un cinéma d’auteur mais le déséquilibre dans la production d’images. Les systèmes d’aide, trop complexes et centralisés, ne permettent pas l’émergence réelle d’une production locale que le numérique rend possible. C’est pourtant elle qui pourrait fournir des images en grand nombre aux télévisions nationales et directement au public par la vidéo ou le DVD qui ne tardera pas à s’imposer lui aussi en Afrique. Cela ne passera que par une démocratisation de l’aide, un certain saupoudrage, une décentralisation des décisions.
L’idée est que, comme le montre le système français d’aide automatique, d’une médiocrité générale peuvent sortir des chefs d’œuvre (qu’il conviendra alors de kinescoper pour une diffusion cinéma internationale) : de jeunes auteurs s’affirment partout, qui ne demandent qu’à produire mais n’ont pas toujours accès aux fonds d’aide. L’expérience du Forut de Dakar est à cet égard exemplaire, par sa production de vidéos de proximité dans le cadre d’une formation simple.
Le mot décentralisation ne faisait pas partie du vocabulaire des présentations cannoises. Mais une mission du ministère va se déplacer de pays en pays pour rencontrer les responsables locaux avant d’arrêter les modalités précises du Plan images Afrique. On peut espérer que la question soit posée, le lien avec des politiques nationales étant ici essentiel.
Des copies neuves pour le Maghreb
En 2003/2004, et à titre expérimental, le CNC mettra à la disposition des distributeurs d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie des copies neuves pour organiser des sorties simultanées dans leur pays et profiter ainsi des campagnes de promotion des films sur les médias français largement captés dans le Maghreb (cf détails sur notre site internet).
On annonça aussi à Cannes l’initiative Soleils d’Afrique : une soirée de récompenses en paillettes pour les cinémas d’Afrique, les Césars africains ! La première soirée aura lieu le 17 avril 2004 à Dakar et sera retransmise par TV5 monde et CFI, avec des hommages et des extraits de films africains. Youssou Ndour travaille sur l’enveloppe musicale. Les remises de prix alterneront ainsi avec de la musique et des extraits de films et des montages des meilleurs moments de l’année.
Le Prix Djibril Diop Mambéty, traditionnellement remis à Cannes par l’association Racines, et accueilli cette année par la Semaine de la critique, est allé à The Sky in her Eyes, court-métrage de fiction sud-africain, co-réalisé par Ouida Smit et Madoda Ncayiyana.
Quant à Cannes junior, créé il y a 21 ans et menacé de disparition par le retrait du soutien logistique et financier de la Ville de Cannes, mais sauvé par une série de nouveaux partenaires, il réunissait un jury de jeunes de Madagascar, des Mureaux et de Marseille. Festival itinérant, il tient sa prochaine édition à l’Ile Maurice du 9 au 14 décembre 2003.
Les films, les prix !
Trois films d’Afrique dans les sélections cannoises, et un film primé : « Le premier regard » de la sélection officielle Un certain regard est allé à Mille mois de Faouzi Bensaïdi. Le jury était présidé par le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako qui a par ailleurs reçu le prix France Culture pour Heremakono – En attendant le bonheur. Des deux films marocains sélectionnés, Mille mois, d’une écriture éclatée comparable à celle de Sissako, méritait mille prix ! Le réalisateur y approfondit un langage cinématographique original annoncé par ses courts métrages, La Falaise et Le Mur : en fixant sa caméra sur un lieu où passent les personnages, il place le spectateur dans une attente dynamique et attentive qui lui permet de s’ouvrir aux multiples digressions qu’ouvrent le récit. Autour d’un enfant et de sa mère recueilli dans son village par le grand-père parce que le père est en prison, Bensaïdi révèle les traces laissées par les années de plomb au Maroc mais élargit aussi son propos au devenir spirituel et humain.
L’autre film marocain montré à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, Les Yeux secs de Narjiss Nejjar, me semble, comme ses courts métrages, mal cacher sous un symbolisme grandiloquent et une image esthétisante une affligeante superficialité. Dans un village de prostituées, l’arrivée d’une vieille femme sortant de prison et d’un jeune chauffeur de bus vient déséquilibrer l’ordre des choses. Le message est clair : motiver les femmes à se faire violence pour se prendre en charge. Mais cela s’étire ici sur deux longues heures bien vides et prétentieuses.
A la même Quinzaine des réalisateurs, Le Silence de la Forêt, premier film centrafricain de Didier Ouenangaré et Bassek ba Kobhio valait le détour, même s’il ne remplissait pas toutes ses promesses. Initiation aux mœurs pygmées d’un inspecteur d’école choqué par leur rejet et voulant leur apporter l’éducation pour vite s’apercevoir que c’est d’eux qu’il pourrait apprendre, le film est tonique, drôle et captivant – et servi par d’excellents acteurs, notamment Eriq Ebouaney qui avait interprété Lumumba dans le film de Raoul Peck et Nadège Beausson-Diagne, découverte dans Les Couilles de l’éléphant. Sans compter les Pygmées eux-mêmes, qui eux n’étaient pas sur la Croisette. Mais l’auraient-ils voulu ? Les paillettes, c’est un visage du cinéma. Outil essentiel de reconnaissance, Cannes , ne peut faire oublier l’importance de produire et diffuser massivement des images de proximité pour contrebalancer l’invasion acculturante de celles des autres.

Contact Africa cinémas : 54, rue Beaubourg, 75003 Paris, tel +33 1 42 71 53 70, fax 47 55.
Contact copies neuves pour le Maghreb : [email protected], tel +33 1 44 34 38 31, fax 36 59. ///Article N° : 2999

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Les images de l'article
Le jury de Cannes junior entouré de son directeur Jean Burtschell et de Serge Ada, directeur de TV5 © OB
Les limousines des vedettes alignées à côté du Palais des festivals © OB
Mille mois, de Faouzid Bensaïdi
Le Silence de la Forêt, de Didier Ouenangaré et Bassek ba Kobhio





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