Catharsis

De Gustave Akakpo

Mise en scène : Jean-Claude Berutti
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Pagnes et cendres pour conjurer le sort,

Pour son édition 2006, le Festival des Francophonies en Limousin avait programmé Catharsis, une bien inquiétante cérémonie théâtrale, où les spectateurs, disait-on, participaient à un rituel au cours duquel ils devaient abandonner sac, manteau et souliers… et même s’étendre par terre.
Construite sur une monstrueuse allégorie, la pièce du togolais Gustave Akakpo met en scène une cérémonie vaudoue durant laquelle se déroule le procès de l’Afrique, reine déchue, mère prostituée qui a négligé ses enfants, qui s’est laissée courtiser par l’impérialisme occidental et rampe aujourd’hui dans l’ombre tel un animal nocturne. Mais pour inventer l’avenir et s’arracher à sa léthargie, elle devra rendre des comptes à ses trois fils, celui qui est resté, comme celui qu’elle a vendu et celui qui est parti. Seule la rencontre et l’échange enfin avec ses trois fils permettra la libération et l’accouchement d’un nouveau descendant, une nouvelle génération salvatrice.
Invités à ce déchausser avant d’entrer dans la salle, les spectateurs pénètrent sur la pointe des pieds dans le cercle de la cérémonie qui se prépare. Mais c’est autour d’un trou que les spectateurs sont conviés à s’asseoir, une fosse commune ! Un charnier peut-être ? … Et c’est cette terre grisâtre, ces cendres mêlées de plastique noir et de cheveux, qui laisse deviner l’horreur que joueront les acteurs. La scénographie de Rudy Sabounghi fait d’autant plus froid dans le dos que cette petite arène conviviale pourrait bien finalement nous convier aux jeux du cirque. Les signes de la fête ne sont pas absents. La mort est là tout près, mais la vie et les couleurs de l’Afrique ne sont pas loin. On les retrouve dans les pagnes chatoyants tendus sur le pan de bois incliné où s’asseyent les spectateurs, car eux aussi vont participer au décor et endosser même un rôle. Munis pour quelques uns d’une kalachnikoff qui leur a été remise à l’entrée et que le maître de cérémonie demande de tenir levée, les voilà attroupement de soldats, tandis que la bande-son envoie des rafales de mitraillette pour scander les paroles du maître de cérémonie que joue Claude Noutsougan avec énergie et une rare conviction qui ne laisse personne sur la touche.
Difficile en effet de ne pas entrer dans cette catharsis à laquelle nous invite le metteur en scène Jean-Claude Berutti, qui avec beaucoup de finesse a réussi à travailler la pièce de Gustave Akakpo comme une farce romaine où le grotesque permet de parler des situations les plus insoutenables en évitant le pathos. La mise en scène force le trait et donne à la mère Afrique, qu’interprète un homme, l’allure improbable d’un monstre androgyne . Corps noueux et poitrine de nourrice généreuse, le mamelon lourd, c’est un corps chimérique qu’assume avec prestance et poésie l’acteur. D’ailleurs Jean-Claude Berruti le reconnaît : il a fallu trouver l’acteur pour entrevoir la faisabilité du projet. Et on comprend qu’il ait attendu de rencontrer Roger Atikpo, car ce comédien étonnant apporte une complexité et un mystère d’une grande force. Mais il faut aussi rendre grâce au pouvoir de caméléon d’Ibrahim Malangoni qui tour à tour campe avec brio les caractères de ces fils dressés contre la mère, à la fois si différents et si semblables. Théâtralité et dérision sont ainsi au rendez-vous de chaque tournant de la pièce avec des effets de mise en abyme pleins d’ironie que prend en charge le photographe et qui grâce au jeu  » pétillant  » d’Amoussa Koriko apporte un peu de légèreté et d’humour dans les moments les plus tendus. Un spectacle tout aussi détonnant que dénotant qui est bien à l’image de la Comédie de Saint-Etienne où on aime guère le conformisme… Bravo à la prise de risque elle en valait la peine !

Les 25,26,27 octobre à 20h30 au Théâtre de l’Est Parisien.
Du 8 novembre au 8 décembre 2006 à La Comédie de Saint-Etienne (Résa : 04 77 25 14 14)
En Août 2007 à Lomé dans le cadre du FESTHEF puis tournée africaine
Catharsis », de Gustave Akakpo, mis en scène par Jean-Claude Berutti
Production : Comédie de Saint-Etienne et FESTHEF (Togo)///Article N° : 4651

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Les images de l'article
Catharsis, de Gustave Akakpo, mis en scène par Jean-Claude Berutti © photos Patrick Fabre, 2006
Catharsis, de Gustave Akakpo, mis en scène par Jean-Claude Berutti © photos Patrick Fabre, 2006





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