« Cela renforce de combattre ! »

Entretien d'Olivier Barlet avec Newton Aduaka

Cannes, mai 2001
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D’origine nigériane, Newton Aduaka a reçu le grand prix du court métrage au Fespaco de 1999 pour On the Edge et le prix Oumarou Ganda de la première œuvre pour Rage à celui de 2001.

Quel a été le budget de Rage ?
Ce ne fut pas très cher car nous n’avons payé personne ! Tout ce que nous pouvions assumer était la nourriture et le transport, et il nous arrivait de ne même pas pouvoir le faire car nous devions acheter de la pellicule. Nous avions prévu un budget d’environ 750 000 FF pour pouvoir payer tout le monde, mais nous n’avons pu payer que la nourriture, le transport, la pellicule, la caméra…
Depuis que la disparition à l’ère Thatcher des workshops financés par la ville de Londres, il semble bien difficile pour des Noirs de faire du cinéma en Grande-Bretagne.
Oui. Nous n’avons pas de point de rencontre. J’ai beaucoup parlé avec John Akomfrah en faisant Rage. Mais nous n’avons pas d’association et ne nous voyons que rarement. Cela n’aide pas à ce que l’industrie nous reconnaisse. Nous sommes dans une période difficile. Les Britanniques nous ont abandonné et il nous a fallu trouver notre force. Ce que vous obtenez en vous battant, personne ne peut vous l’enlever. Cela renforce de combattre ! Et nous combattrons et continuerons de faire des films. La Francophonie aide son cinéma. Nous n’avons pas cela mais nous trouverons les moyens car il y a urgence. Ce sera juste un peu plus dur !
Il semble également difficile de faire sortir les films sur les écran anglais.
Nous avons eu un distributeur au Royaume Uni mais avons été très déçu car, bien que la critique soit bonne, il n’a rien dépensé en publicité ou promotion, si bien que peu de gens ont vu le film. Nous étions tellement choqués que nous avons fait un emprunt à la banque pour coller des affiches dans les rues ! Ma femme Maria, qui a produit le film avec moi, avons fait toutes les rues avec de la colle ! J’ai accusé le distributeur de saboter le film mais en fait, il ne savait pas comment atteindre le public. Nous nous sommes alors adressé au British Film Council car ils avaient beaucoup entendu parler du film. Ils nous ont donné quelques fonds pour sortir le film nous-mêmes. Cela nous permettra de montrer comment commercialiser les films des réalisateurs noirs et qu’ils ont un public. Spike Lee l’a fait avec Do the Right Thing.
Pouvez-vous bénéficier d’un bon réseau de festivals et d’associations comme en France ?
Il y a un festival de Black cinema à Birmingham. Un autre à Bristol and il y a « Africa At the Pictures » à Londres, que dirige Keith Shiri. Et « Black Filmmakers Festival » que coordonne Menelik Shabazz. Il y a aussi « Bite the Mango Festival ». Peut-être 8 en tout.
J’avais pu voir Baby Mother de Julian Henriques à Londres en 2000 mais non sans mal !
C’est le même problème : ils ne savent pas comment toucher le public. Ils achètent le film et le passent une semaine ou deux avant de passer à autre chose. Ils ne pensent en fait qu’à une sortie vidéo et ne font rien pour le soutenir. Pourquoi serait-ce différent que pour les autres films ? Ils n’écoutent pas les conseils des gens qui savent comment toucher le public noir. C’est très frustrant, mais nous restons optimistes car nous pensons que quelqu’un réussira à le faire et nous nous concentrons là-dessus.
Les Etats-Unis offrent-ils davantage de possibilités ?
Nous sommes allés au Festival de cinéma africain de Los Angeles : toutes les séances étaient complètes. Nous essayons de trouver un agent qui nous représente efficacement pour les ventes mondiales : nous n’avons pas le temps de le faire nous-même. Le problème est que nous ne parlons pas la même langue : pour eux, c’est de la marchandise et pour moi, c’est davantage que cela ! C’est un film, de la culture.
Avez-vous des rapports avec l’industrie de l’audiovisuel au Nigeria ?
J’ai quelques amis qui y sont actifs mais pas de rapports très directs. C’est un des rares pays qui consomme ses propres films. Les Nigérians se sont toujours intéressés pour leur culture, vous le voyez dans la musique aussi. Le problème de la vidéo nigériane est la mauvaise qualité des films. Cela devrait s’améliorer un jour mais je me demande si ce ne sont que des gars encadrés par des hommes d’affaires qui ne cherchent qu’à faire de l’argent vite fait. Les gens seraient prêts à passer de la vidéo au cinéma mais il faut que les cinéastes prennent le contrôle du mouvement pour faire de meilleurs films, sinon cela va stagner.
Auriez-vous envie de vous investir vous-même au Nigeria ?
Oui, c’est dans mes projets mais il faut que j’y retourne et y passé un peu de temps. Cela fait sept ans que je n’y ai pas été, car j’ai passé mon temps et mon argent sur On the Edge and Rage. Mais j’aimerais revoir Lagos que je connais et que j’aime – et y écrire un film. Ce sera encore une ambiance, une énergie urbaine. Je suis de la ville, pas du village. J’ai grandi à Lagos et aime l’énergie de cette ville. J’aime comme on peut y disparaître, anonyme dans la foule.
Comment avez-vous vécu la relation entre Francophones et Anglophones au Fespaco ?
J’avais été surpris en 1999 de gagner le prix du court métrage pour On the Edge, ne pensant pas que ce prix puisse aller à un film anglophone. Et j’ai été encore plus surpris de recevoir le prix Oumarou Ganda, qui est un prix de la Francophonie. J’en ai parlé avec Baba Hama, le secrétaire général du festival, qui a insisté sur le fait que c’était un festival panafricain qui devait se respecter en tant que tel. J’espère que la présence anglophone va s’y renforcer.

///Article N° : 2078

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