Centre de mémoire de l’immigration :

La réponse de Jacques Toubon à Pascal Blanchard

Mission de préfiguration du centre de ressources et de mémoire de l'immigration
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A l’attention de Pascal Blanchard / ACHAC
Monsieur,
Vous avez fait circuler sur la liste de diffusion du Conseil Scientifique de la mission un texte de cinq pages mettant en doute le projet auquel nous travaillons, ses objectifs, ses méthodes et ses moyens. Comme celui-ci nous a été adressé la veille du colloque à 22 h 00 passés, la plupart d’entre nous ne l’ont eu que dimanche ou lundi et il n’a pas été possible d’y répondre pendant le colloque. Dans la mesure où vous avez repris par voie de presse un certain nombre de vos accusations, avant même que nous ayons pu répondre, je veux vous apporter un certain nombre de précisions, qui permettront de revenir au débat plus constructif que nous souhaitons tous sur la fin et les moyens de ce projet.
Ce projet « fera sens » pour la République s’il présente des faits historiques, établis scientifiquement : cette exigence nous interdit une certaine forme d’amalgame et de manichéisme qui consisterait à présenter la France comme un État colonial et raciste. Le Centre que nous voulons ne sera ni un mausolée aux immigrés ayant construit la France, ni un pesant centre d’instruction civique obligatoire, ni encore un lieu de repentance : il s’agit bien, comme vous le dites vous-même de travailler sur l’histoire commune pour contribuer à la construction de l’identité de la République et de la Nation. Cette histoire commune nécessite à la fois la présentation des histoires migratoires dans leur singularité, pour que chaque visiteur puisse s’y retrouver, mais également la mise en perspective d’une histoire commune, à laquelle les immigrés ont contribué depuis deux siècles. Le projet est donc de réconcilier et non d’opposer, en montrant le mouvement qui va de la dynamique migratoire à l’intégration dans la Nation.
Des questions de fond sur lesquelles vous revenez méritent effectivement un débat… C’est justement l’objet de la mission de préfiguration et des forums et colloques organisés dans ce cadre.
La question du périmètre : les propositions du Conseil Scientifique ont été présentées lors du colloque par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Il ne s’agit ni d’exclure certaines populations ni d’expurger certaines pages de l’histoire, mais bien d’éviter les amalgames hâtifs, comme vous le faites par exemple en faisant systématiquement un parallèle entre Vichy, le colonialisme et l’immigration. Vous savez que le CS partage une vision assez commune de la manière de traiter du thème central, l’immigration, sans pour autant négliger les thèmes qui l’entrecroisent.
Le lieu : vous avez le droit de penser que nous cherchons à effacer l’histoire coloniale en envisageant l’installation du Centre à la porte Dorée. Cette idée ne nous avait jamais effleuré. Au contraire, il nous semble qu’il faut, pour revisiter ce bâtiment, un projet suffisamment fort, non pas pour effacer la mémoire de ce lieu (c’est impossible, car l’architecture et les fresques parlent), mais bien pour mettre en questions et en perspectives une  » histoire de la France dans le monde « , selon les propos d’Émile Temime, qui n’est ni toute rose, ni toute noire. Cela étant, aucune décision n’est prise à ce jour.
Paris ou les régions : vos interrogations sont partagées par beaucoup d’acteurs locaux et le forum des associations (Michel David) a fait des propositions d’un  » centre en réseau  » qui ont été largement approuvées durant le colloque. J’ai d’ailleurs repris cette idée dans mon introduction au colloque : le centre est un lieu et un réseau.
Mais vos critiques portent davantage sur les méthodes de la mission. Vous vous interrogez tout d’abord sur les raisons pour lesquelles il n’y a pas d’information  » grand public  » sur les travaux de la mission. La raison en est très simple : chargée d’expliquer l’immigration comme un phénomène historique, la mission a souhaité dans un premier temps confier la réflexion sur le projet à un conseil scientifique dont l’autorité morale soit incontestable : il s’agit de s’appuyer sur des faits et non sur des thèses ou des explications du monde. ; il ne s’agit pas de mener un nième débat public et polémique sur l’immigration.
Quant à la place des associations, il est à noter d’abord que la plupart des acteurs de la mission, professionnels et scientifiques, ont eu et ont encore des responsabilités bénévoles ou professionnelles dans le monde associatif. Ensuite, la réalité est plus complexe que celle que vous décrivez : toutes les associations participant au projet ne sont pas issues de l’immigration et ne s’opposent pas de manière dialectique à des universitaires et experts. Les discussions nous laissent espérer comme l’a dit d’ailleurs Driss el Yazami, une convergence entre des initiatives privées et publiques associées pour que ce Centre puisse voir le jour, sans que chacun perde son âme.
La meilleure preuve de votre parti pris est le contresens que vous faites à propos du  » programme du centre  » contre lequel vous ne ménagez pas vos critiques. Ce programme n’est pas celui proposé par la mission, mais celui rédigé par une association de Vaulx-en-Velin (Peuplement et Migrations) et repris dans le rapport fait par les associations à la mission en conclusion du forum du 18 novembre. Comme toute proposition de ce type, ce programme devient évidemment une  » pièce à casser  » et il a d’ailleurs abondamment été critiqué lors du forum puis pendant le colloque. Vous avez d’ailleurs rappelé pendant le colloque, et c’était votre droit, que le rapport du forum associatif ne présentait pas les réserves faites publiquement par l’Achac.
Enfin, vous semblez vous-même avoir une bien piètre idée du mouvement associatif : celui-ci, convoqué trois fois en réunion, ne pourrait pas s’exprimer librement et serait donc contraint à parler  » off « . Bien sûr, l’Achac a recueilli dans les couloirs tous les témoignages, mais quelles valeurs ont-ils, vous ne citez aucun nom, alors que la mission a publié par écrit les résultats de tous les groupes de travail, avec les noms des rapporteurs. N’est-ce pas vous qui rabaissez les associations en estimant à leur place qu’elles ne sont pas assez fortes pour s’exprimer librement, préférant, systématiquement à vous croire, pratiquer la politique du double langage ?
De même, quand vous dites qu’une  » très forte majorité des chercheurs et responsables associatifs  » contestent le titre du colloque, vous affirmez sans preuve. Pour mémoire ce titre a été choisi et approuvé par le Conseil scientifique, même si deux personnes, absentes lors de cette réunion, ont contesté ce choix ensuite, avec des arguments qui ont été entendus et discutés par tous.
Puisque vous appelez à une mobilisation pour  » écouter, entendre, croiser les approches, les analyses, les besoins « , il faudrait qu’à votre tour vous vous demandiez si votre conception des débats le permet.
Enfin, vous posez des questions sur les moyens de la mission. Le parallèle avec le Quai Branly n’est pas pertinent car les projets sont de nature toute différente : nous ne préparons pas le  » Louvre de l’immigration « . Cependant, la mission de Préfiguration ne travaille pas sans moyens puisqu’elle s’appuie d’une part sur une décision du CII et d’autre part sur les moyens humains et financiers du Gip Adri. Elle a annoncé d’emblée qu’elle ne partait pas de zéro mais du rapport remis au précédent gouvernement. Enfin, elle se fixe pour objectif non pas seulement de réfléchir mais aussi et surtout de faire. Croyez que nous aurons à cœur de faire appel aux meilleurs professionnels pour réaliser le programme sur lequel nous nous serons mis d’accord.
Le fait que ce projet s’inscrive en début de législature lui donne toutes ses chances, sans le mettre à l’abri des enjeux politiques : vous savez que l’immigration reste une question sensible sur laquelle les partis politiques n’ont pas toujours eu le courage souhaitable. Le calendrier choisi prévoit une décision du comité interministériel en avril 2004. Le Centre ne sera pas qu’une annonce politique mais bien une réalité progressive et partenariale à laquelle nous voulons travailler en associant toutes les bonnes volontés et tous les talents, sans discrimination.
C’est dans cet esprit que nous avons souhaité vous répondre.
Je vous prie de croire, Monsieur, à l’assurance de ma sincère considération.

///Article N° : 3244

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