Cheikh Tidiane Seck : le son d’un homme debout

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Ne pas le dire serait un manquement à l’éthique. Mais le dire pourrait lui sembler excessif. Car Tidiane Seck n’est pas le genre d’homme à se complaire dans l’éloge. Il se veut humble, sans concession certes, mais humble. La musique n’a qu’à parler en son nom, pourrait-il dire, à la limite. Une musique de troisième millénaire, surgie du fin fond du Mandé, avec des accès de fièvre et de gourmandise de la part d’un artiste parcourant le Tout-Monde glissantien, sans avoir à le signifier. Les notes s’alignent, éternelles, se superposent et s’entrechoquent sur son dernier opus, Guerrier, le troisième qu’il produit en solo, le plus expérimental aussi. Ses mélodies y traduisent toutes un questionnement d’homme-debout face aux esprits chagrins et contre les temps de grisaille.

Et pourquoi Guerrier ? Parce que c’est le titre qu’on lui donne depuis quelques années déjà, après l’avoir surnommé « Che » ou « Black buddha ». Une image d’homme qui résiste contre la deliquescence du monde. L’intégrité et la foi en un monde meilleur s’y entremêlent. « Guerrier » est aussi le surnom qu’il accorde lui-même aux âmes sympathiques, qui le happent dans ses pérégrinations. « Guerrier » vient ensuite, parce que son propos contre le libéralisme, l’injustice, le déni, est celui d’un chef plus qu’indigné par la marche actuelle du monde. L’émigration, la mafia économique ou la mondialisation à sens unique le contrarient : ses mots sont drus, sans détours et portés par l’urgence. Tidiane Seck n’en reste pas moins un soldat avancé de la paix. Son album parle aussi de l’amour et du respect des anciens, et pas que de ceux qui résistent. Et puis il y a aussi cette conviction chevillée au corps : les morts sont bel et bien morts, mais se rappeler à eux nous ramène à notre humanité profonde. Sur Guerrier, l’homme-debout prend ainsi le temps de rendre hommage à sa fille, Assetou, disparue à la suite d’une foudroyante méningite en 1979, au piano. A Kante Manfila, Ali Farka Toure ou Tidiane Kone, membres du gotha musical malien, disparus au cours de ces dernières années, il rend également un hommage. Les morts s’en vont, mais jamais vivant ne devrait oublier…

Cheikh Tidiane Seck, virtuose du piano, naviguant entre Bamako, Londres, Paris et New York, tel un poisson dans l’eau, expert en fusions improbables, du mandingue au jazz, en passant par la soul, le blues, la drum’s bass, les accointances hip-hop, a joué ou enregistré avec les meilleurs. Salif Keita, Black Eyed Peyes, Zawinul, Hank Jones, Le Rail Band de Bamako, Marque Gilmore ou encore Dee Dee Bridgewater. Mais sur Guerrier, il joue à l’homme-orchestre. Il y compose, à l’exception de deux titres, dont une reprise de Franco en hommage à Makeba. Il y interprète tous les morceaux, chant, claviers, guitares, calebasse, balafon, flûte peule. Il porte sa parole à tous les étages du projet, même aux chœurs, comme mû par une nécessité de contrôler la chaîne de production, dans son ensemble. Difficile de ne pas penser à toutes les trahisons, à tous les saltos arrières, à tous les déchirements, vécus au sein d’un milieu artistique où l’esprit du rassemblement à l’heure des économies fragiles n’est pas toujours au rendez-vous. Tidiane Seck a l’air de prouver par A+B sur ce disque que l’homme peut aussi courir le monde sans avoir à porter le lourd fardeau des inimitiés et des petitesses liées à la survie des uns et des autres. En même temps, il y dresse une longue liste de gens qu’il remercie de contribuer à ce qu’il est devenu. Pas ingrat pour un son ?

Ceux qui le retrouveront pour ces rêveries urbaines, hybrides et visionnaires, devront surtout réfléchir à l’idée du génie expérimental. Tidiane Seck se montre capable d’assumer ou de retracer à lui seul l’instantané d’un monde vacillant sur ses bases et acculant le créateur, quel qu’il soit, au mur imparable de la solitude. Multi-instrumentiste, Tidiane Seck n’est pas un fanatique des aventures en solo. Ceux qui le pratiquent au quotidien, le savent bien et l’apprécient pour ses compagnonnages. Il est plutôt un homme de rencontres, qui se refuse à toute forme ou à tout esprit de division. Mais il n’a nul besoin ici de mendier, on le sent, la main d’un faux frère en cavale, qui vous lâcherait à la première opportunité qui s’offre. Cet opus, il l’a posé seul (se répéter est une figure de style pour nous) sans chercher à s’entourer le moins du monde. Il l’a commis volontairement, ainsi. Telle une énigme de virtuose. Et il n’est nul besoin d’un dessin pour saisir avec quelle patience et quelle intelligence il l’a construit au travers de ses voyages réels ou fantasmés. Son groove subtil de guerrier armé de sons et d’espérance, situé entre Jimmy Smith et le Mandé, en dira toujours plus long que les mots. Alors, évitons…

« Guerrier » de Cheikh Tidiane Seck (Universal Jazz). Pour en savoir plus, se rendre sur le site officiel : http://www.cheick-tidiane-seck.com.///Article N° : 11477

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