Cheval-roi

De Gaston-Paul Effa

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L’enfant montra sa face dans la béance et Madeleine fut horrifiée de ne pas le reconnaître tant il était hideux et couvert de merde. La sage-femme le déposa sur son ventre : « Voilà votre petit merdeux ! » (1)
C’est ainsi que naît petit Louis, personnage solitaire qui traînera son manque d’amour toute sa vie durant. Gaston-Paul Effa revient, avec ce dernier roman, sur un thème qui a imprégné ses récits précédents : l’enfance. De Tout ce Bleu au Cheval-Roi, l’auteur n’a eu de cesse d’évoquer des hommes et des femmes en quête d’identité, en mal d’un passé dont ils sont exilés. Petit Louis, bâtard ignoré par sa mère, recherchera, en vain, dans les souvenirs de son passé, l’apaisement et le réconfort. Douo, Mâ, petit Louis, tous ces personnages portent en eux la blessure de l’absence. Absence de la mère. Absence de l’amour. Absence de la langue…
La mère est en effet cet autre pilier fondateur de l’oeuvre de G.P. Effa. C’est un mythe très prégnant dans son éducation, comme l’auteur le disait lui-même (2) : « lorsque l’enfant vient au monde, un esprit, à l’image du père, vient déposer sur sa langue un voile, l’interdit. Le lait maternel va alors déchirer progressivement le voile pour ouvrir l’enfant au monde et à sa mère. Donc nous ne devenons homme qu’à partir du moment où cette langue est chargée du lait maternel qui nous ouvre à nous-même, à la mère et au monde. » L’écrivain fait ici ouvertement allusion à l’image de la mère nourricière qui hante de son absence les pages de ses récits. Petit Louis, « nourri du dégoût de sa mère » (p.13), doit alors parcourir un autre chemin initiatique avant de s’ouvrir pleinement au monde. Privé de l’amour de sa mère, il apprendra à devenir lui-même par la langue et l’écriture auxquels il se rattache comme à une bouée de sauvetage, tout comme Douo, dans Tout ce bleu : « Afin de mieux supporter sa bâtardise, il se mit à rédiger un long récit dans un petit cahier (…). Il s’inventait ainsi une nouvelle vie. (…) Et bientôt, par cette osmose, qui, entre réel et imaginaire, continuait de jouer, d’obéir à de secrètes lois, il fit entrer dans cet univers où la fable s’emparait de la réalité pour la transfigurer des personnages qu’il aimait, Dédé, la cloche de Mortain, sa grand-mère morte pendant la guerre, René sa tante bien-aimée, autant d’êtres que sa passion ressuscitai t et qui trouvaient leur juste place dans la patrie habitée de ses songes. » (3). La similitude entre les deux personnages est frappante : Petit Louis et Douo ont été élevés chez les pères. Une différence cependant : le premier est un Blanc qui, une fois arrivé en Afrique, voudra « changer de visage, devenir un autre » (4), alors que le second, « noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur » (5), se perdra presque dans la culture de l’Occident. Chacun se cherche dans l’exil, dans la culture de l’autre, sans y parvenir vraiment.
A la différence de nombreux auteurs africains, ce n’est pas tant l’histoire africaine qui intéresse Gaston-Paul Effa, que les mouvements imperceptibles de l’âme, ces moments de silence qui ne sont entachés d’aucune couleur de peau. L’écrivain n’a pas l’ambitieux projet flaubertien d’écrire un livre sur Rien, seulement un récit sur « des petits riens », comme il le suggérait lui-même (6). Il questionne alors l’individu en proie à la fuite du temps. Et cette angoisse existentielle, cette quête du temps perdu n’est pas sans faire écho à l’écriture proustienne que l’auteur admire tout particulièrement. Les phrases sont volontairement longues, scandées par les moments heureux du passé qui reviennent à l’esprit de Petit Louis comme un baume apaisant. « Par fragment ! Ainsi procède-t-elle, sa mémoire, sa longue nappe immobile et vivante, son enfance irradiant au loin et, dans son immédiate proximité, le détail le plus infime aussi présent, aussi lumineux que la déflagration de cette bombe ou la courbe de cette gamelle, dans laquelle sa grand-mère Mathilde lui préparait sa bouillie, et c’est la même vrille dans son cœur qui s’enfonce – ah ! elle était loin cette berceuse apaisante que lui chantait mamama – la dernière caresse avec le dernier souffle confondue. » (7)
Gaston-Paul Effa se réapproprie, sans mimétisme, certains classiques de littérature française par le biais d’un français parfaitement maîtrisé, vierge de tout néologisme. Il nous réconcilie avec une langue stylée, châtiée, et emprunte de la nostalgie d’un monde aujourd’hui disparu que Petit Louis se plaît à raconter lors de ses randonnées avec son fidèle cheval Valeroi : le château de Neubourg et ses « vestiges indifférents des combats, témoins des vieilles épopées » où « les pierres jonchaient le sol confondant espace et temps« . Seule la nature peut préserver, intacts, les mystères du passé ! Cette promenade littéraire aux saveurs délicieusement surannées et au rythme assez lent – comme pour mieux savourer ce voyage dans un siècle finissant – est plutôt inhabituelle au regard de la littérature africaine actuelle qui a fait de la lutte contre l’académisme de la langue française son fer de lance !

1. EFFA, Gaston-Paul. Cheval-roi. Paris, Editions du Rocher, 2001. p.12.
2. Entretien de Gaston-Paul Effa, réalisé par Eloïse Brezault, dans le cadre de son mémoire de doctorat sur les nouvelles littératures africaines.
3. EFFA, Gaston-Paul. Cheval-roi. Op. Cit. p.57-59.
4. EFFA, Gaston-Paul. Cheval-roi. Op. Cit. p.102.
5. EFFA, Gaston-Paul. Tout ce bleu. Paris, Grasset, 1996. p.26.
6. Interview. Op. Cit.
7. EFFA, Gaston-Paul. Cheval-roi. Op. Cit. p.201.
Cheval-roi, de Gaston-Paul Effa, éd. du rocher, Paris 2001, 204 pages, 16 euros.///Article N° : 2255

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