Cinq plasticiens burkinabés au singulier

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 » Entre tradition et modernité  » : l’expression peut agacer, tant elle paraît galvaudée, qui plus est, lorsqu’elle est accolée à des artistes africains. C’est pourtant le thème choisi cette année par le centre Wallonie-Bruxelles pour la 13ème édition de son festival Francophonie métissée, axé sur le Burkina Faso et présentant  » 50 artistes entre tradition et modernité « . Pourtant, au regard de l’exposition d’arts plastiques inhérente au festival, l’agacement premier laisse place à la perplexité, tant l’expression paraît s’ajuster au travail des 5 plasticiens sélectionnés. Cela d’autant plus que les artistes eux-mêmes la revendiquent et en font, chacun avec leur singularité, le sens premier de leur démarche artistique. Sans pour autant prétendre être exhaustive, l’exposition aborde la question de l’évolution des arts contemporains au Burkina Faso, à travers l’éclectisme des artistes sélectionnés : le sculpteur Alassane Draboe et les peintres Christophe Sawadogo, Sambo Boly, Hamed Ouattara et Saidou Tassembedo.

Creuset du cinéma africain depuis 1985 avec le Fespaco (Festival panafricain du cinéma qu’on ne présente plus et dont la prochaine édition aura lieu à Ouagadougou du 26 février au 5 mars 2005), le Burkina Faso a longtemps été en reste par rapport à ses voisins de la sous-région en matière d’arts plastiques. Parmi les principales causes (détaillées par Stéphane Eliard dans sa riche étude sur l’art contemporain au Burkina Faso*) : le pays n’a pas de tradition picturale et n’a pas connu l’émulation générée par les ateliers d’arts plastiques souvent montés durant l’ère coloniale par des Européens tels que Pierre Lods avec l’Ecole de Poto Poto au Congo-Brazaville ou Mac Ewen avec l’atelier de Tenguenengue en Rhodésie (Zimbabwe). L’absence de véritable politique culturelle après les indépendances, malgré quelques initiatives sous la présidence de Thomas Sankara, l’inexistence de centres de formation dignes de ce nom – contrairement au Sénégal ou à la Côte d’Ivoire, le Burkina n’a pas eu, et n’a toujours pas, d’Ecole des Beaux-arts – n’ont pas permis l’émergence des arts plastiques.
Emergence des arts plastiques à partir des années 1990
En dépit du développement d’un secteur artisanal porteur, alimenté par la dextérité des sculpteurs traditionnels sur bronze et porté par le SIAO (Salon international d’artisanat de Ouagadougou, depuis 1986), il a fallu attendre le début des années 1990 pour voir émerger les arts plastiques qui s’imposeront rapidement sur la scène culturelle burkinabé. L’impulsion est alors donnée par les rencontres Oug’art, qui, selon Stéphane Eliard, auront provoqué  » un véritable électrochoc qui a réveillé le milieu de l’art burkinabé quelque peu assoupi  » et dont  » l’impact a été considérable « . Organisées par Guy Maurette, durant la durée de son mandat de directeur du Centre culturel français, la manifestation  » s’articulait autour de trois modules combinant formation, exposition et rencontres-débats « . Même si Ouag’art n’aura pas survécu au mandat de son créateur, la flamme allumée ne s’est pas éteinte. Pour Alassane Drabo, ex-stagiaire de Ouag’art, qui a débuté dans l’atelier polyvalent d’arts plastiques de son beau-frère, Guy Compaoré, sculpteur de renom,  » il y a un avant et un après Ouag’art. Avant, la formation était transmise de manière informelle du maître à l’apprenti, Ouag’art a ouvert d’autres horizons, poussant les artistes à oser et à prendre des initiatives « . Le fait est qu’à l’issue des premières éditions, de nombreux espaces d’expositions se sont ouverts, créant, malgré leur courte existence, une indéniable dynamique. C’est alors que naît en 1994 la Fondation Olorun, à l’initiative de Christophe de Contemson, un Français installé au Burkina (cf. Africultures n°38-février 2002). Olorun favorise une émulation artistique en mettant à la disposition des jeunes artistes et artisans désirant s’ouvrir sur le design, des outils, un lieu d’exposition et des rencontres avec des plasticiens expérimentés du Burkina ou d’ailleurs.
Bien que principalement orientée vers le design et l’artisanat d’art, la Fondation Olorun demeure aujourd’hui (avec le CCF) un des rares lieus permanents d’exposition, vital pour la diffusion des œuvres. Beaucoup d’artistes burkinabés y ont fait leurs armes. C’est le cas d’Hamed Ouattara qui a désormais son atelier au village artisanal de Ouagadougou mais aussi celui de Saïdou Tassembedo, ancien danseur qui reconnaît avoir évolué et trouvé son propre style en travaillant au sein de la Fondation :  » J’y ai été encouragé à sortir de moi-même et de mes batiks. Au début, je n’osais pas, croyant ne pas pouvoir travailler autre chose. Le fait d’avoir été poussé m’a aidé à explorer de nouvelles choses « .
Le socle de la tradition pour une peinture moderne
Aujourd’hui, Saïdou Tassembedo s’est orienté vers une peinture urbaine à travers laquelle il dépeint, non sans malice, la cacophonie de la vie urbaine, la mascarade de la vie institutionnelle et le chaos du monde moderne. Ses thèmes de prédilection et une certaine ironie distanciée le rapprocheraient plus des peintres kinois que de ceux de son pays où  » les artistes développent une démarche artistique qui instaure un rapport de complémentarité entre la modernité et la tradition* « . Quels que soient leur support et le sens de leur démarche, la plupart d’entre eux se situent entre modernité et tradition.  » Tous ou presque sollicitent la tradition dans un souci de conservation des valeurs et de sa richesse, mais avec la conviction solidement ancrée qu’elle ne peut se survivre à elle-même dans la simple répétition des formes anciennes* « . En cela l’exposition du Centre Wallonie de Bruxelles a touché juste. Les artistes exposés s’accordent autour d’Allassane Drabo qui confirme que  » consciemment ou inconsciemment, la tradition reste un socle sur lequel nous nous reposons et que nous conjuguons avec les outils mentaux et matériels d’aujourd’hui « .
Hamed Ouattara le démontre magistralement dans son travail qui s’appuie sur le métissage des matières. Ses toiles sont composées de collages de morceaux de jeans combinés à du tissu traditionnel  » témoignant des apports du monde moderne et de la globalisation qu’il génère  » :  » Quand j’étais jeune, j’ai été longtemps malade et j’étais soigné par les plantes traditionnelles dont mon grand-père était connaisseur. J’étais fasciné par les assemblages qu’il en faisait pour en tirer leur vertu. Je procède de la même manière dans mon travail artistique, qui repose sur les mélanges, les concoctions de matériaux représentatifs du monde multiculturel dans lequel nous vivons.  »
A la fois plus évidente et plus complexe, la démarche du peintre Sambo Boly s’inspire dans toutes ses toiles (Imploration des sages, Gardien des secrets, Livre de Naaba, Jour de jugement) de la tradition, de la vie au village et des croyances ancestrales. Conçues par un enchevêtrement de bandelettes déchirées, tendues par des morceaux de bois, elles dessinent des motifs figuratifs qui ainsi composés ne trouvent pas d’équivalents dans les représentations traditionnelles. Pouvant être reçues comme des contes moralisateurs, les œuvres de Sambo Boly n’en sont pas moins évocatrices du monde d’aujourd’hui et de ses mutations.
Artistes engagés
Un monde directement interpellé par Alassane Drabo avec Afrique sous perfusion, installation de sculptures monumentales réalisées à partir de pièces d’ébène reliées les unes aux autres par du métal.  » C’est un cri du cœur envers les dirigeants africains sur les dangers de ces médicaments le plus souvent périmés, vendus chez nous par des vendeurs ambulants. Les gens s’auto-médicamentent et achètent n’importe quoi au risque de s’empoisonner. Les populations doivent être sensibilisées face à ces dangers qui tous les jours font des victimes.  » Lorsqu’il a commencé son œuvre, Alassane a demandé aux laboratoires pharmaceutiques burkinabés, auxquels il a expliqué le sens de sa démarche, de lui donner les emballages des médicaments non utilisés. Tous ont refusé excepté un directeur de laboratoire européen.  » C’est ce qui m’a fait le plus mal ! De constater à quel point les gens ne se sentent pas concernés !  » Cette indifférence dénote du peu d’intérêt accordé au rôle de l’artiste qui n’est ni considéré ni pris au sérieux dans son engagement. Car pour Allasane Drabo, l’engagement de l’artiste dans la société est primordial, il est au cœur même de sa démarche.
Il pourrait même être l’une des particularités des plasticiens du Burkina, soucieux d’être en prise avec les sociétés dont ils sont issus et dont ils tiennent à rester proches. D’où l’implication d’Hamed Ouattarra dans un projet artistique avec les détenus de la prison de Ouagadougou ou l’investissement de Christophe Sawadogo en tant que rédacteur en chef du Catalogue des artistes plasticiens du Burkina Faso.  » La question est de savoir qui nous sommes en tant qu’artiste et qu’est-ce qui nous fait participer aux interrogations de notre temps ? Chez nous, on ne sait pas ce que cela veut dire socialement d’être un artiste, nous n’avons pas de statut, donc nous n’existons pas vraiment !  » Amoureux des signes et des mots souvent présents dans ses toiles, Christophe Sawadogo alterne des personnages figuratifs, vaporeux, réalisés à l’encre, et des toiles recouvertes de  » croûte terrestre  » d’où se détachent de lumineuses silhouettes semblant sorties d’un songe.
Quelle que soit son évolution artistique, chacun reste motivé par le fait de sensibiliser les populations aux arts plastiques. Une exposition d’Hamed Ouattarra est toujours accompagnée par une installation  » faisant directement référence aux valeurs culturelles de mon pays  » :  » Il est important que mon travail soit d’abord accessible aux Burkinabés. A l’occasion d’une exposition, j’ai fait une installation sur le thème de la croisée des religions musulmane et chrétienne et de ses incidences chez nous. L’imam et l’archevêque de Ouagadougou étaient présents au vernissage. Quand il se sent concerné, le public réagit bien, ce qui n’empêche pas l’esprit critique. Nous devons repenser notre façon de faire, susciter la curiosité, les interrogations. C’est seulement après que les gens pourront s’intéresser au sens notre démarche artistique. Il ne suffit pas d’avoir du talent, il faut le faire savoir  » !
La tâche est rude tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Peu présents sur la scène internationale, absents des grandes messes de  » l’art contemporain africain  » telle la dernière Biennale de Dakar (mai 2004), les plasticiens burkinabés ne sont pas non plus représentés dans les  » grandes expositions  » comme Africa Remix** qui présente près de 80 jeunes artistes africains et dont la  » diversité rend compte de la richesse de la création africaine aujourd’hui « . Peut-être à cause de leur positionnement  » entre tradition est modernité  » qui ne rentre pas dans les critères  » contemporains  » des sélections internationales.

*Stéphane Eliard, L’art contemporain au Burkina Faso, L’Harmattan, Paris, 2002.
** Africa Remix, Exposition d’art contemporain africain (sur laquelle nous ne manquerons pas de revenir dans les colonnes de la revue), qui après Düsseldorf et Londres (en février 2005) sera présentée au centre Pompidou à Paris du 25 mai au 20 août 2005.
Exposition Cinq plasticiens burkinabé entre modernité et tradition, Centre Wallonie-Bruxelles, 127-129, rue St Martin, 75004 Paris, tél. : 01 53 01 96 96.///Article N° : 3645

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Les images de l'article
Hamed Ouattara, Les ancêtres, huile sur toile, 160 x 100 cm, 2003 © DR
Sambo Boly, L'Union, huile sur toile, tissu, terre, 190 x 80 cm © DR
Christophe Sawadogo, Celle que je devrais aimer (trilogie), huile sur toile, 80x100, 2004 © DR
Alassane Drabo, Dernière confession, 230 x 230 x 170 cm © DR





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