Colloque au festival du film francophone de Namur

2 octobre 2002

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La circulation de la production cinématographique francophone : un enjeu pour la diversité culturelle.
(notes personnelles prises durant le colloque et qui n’engagent nullement les organisateurs)

Henry Ingberg, secrétaire général du ministère de la Communication française de Belgique.
Le cinéma joue un rôle crucial dans la défense de la diversité culturelle et permet l’expression des identités culturelles présentes dans un pays. Promouvoir la diversité nécessite des interventions publiques : le marché ne suffit pas. Si on remet en cause la légitimité des interventions des pouvoirs publics dans le cadre des négociations de l’Organisation mondiale du commerce, on nous empêche toute action possible. Nous sommes favorables à la circulation des hommes et opposés à l’uniformisation culturelle. Les œuvres soutenues qui ne circulent pas sont emprisonnées, s’étiolent. C’est sur la question de la diffusion et de la circulation des œuvres que nous avons le moins travaillé jusqu’à présent. La diffusion des œuvres américaines est presque monopolistique.
A l’intérieur de la francophonie, la situation est préoccupante : petit marché intérieur. Mais une différence se fait entre l’action et les discours politiques volontaristes. La France est moteur par son action. Nous en espérons un rôle de levier et de locomotive.
Quelles actions mettre en jeu ?
Les accords de coproduction bilatéraux : difficulté de juxtaposer ces accords et de les rendre cohérents les uns avec les autres – ce sont toujours des accords bilatéraux, non multipartites.
Cela porte sur deux ou trois productions par an. Les Français font un travail remarquable qui porte espoir. L’AIF et son fonds francophone de production audiovisuelle du Sud apporte aussi beaucoup, mais dans les limites qui sont les siennes. L’Union européenne a de plus grands moyens, avec le souci de coopérer pleinement avec les pays ACP par le FED.
Nous avons les matrices, les modèles qui nous permettraient d’enclencher les actions plus fortes pour enclencher la circulation des films. La mobilisation des moyens par la déduction fiscale ou la promotion internationale des films peut ouvrir à des capitaux privés mais n’empêche pas la nécessité de soutiens publics. Ce serait perdre du temps que de passer son temps à remettre cela en cause.
Serge Siritzky, PDG d’Ecran Total, animateur de la rencontre
Le point commun est d’être convaincu de la nécessité de la diversité culturelle ! Le marché qui est par nature la diversité est l’inverse du laisser faire, suppose une intervention constante de régulation. Les Américains très libéraux ne cessent d’intervenir. Ce débat n’en est pas un ! Le soutien culturel n’est pas anti-économique.
Si le cinéma est très aidé en France, la télévision l’est très peu et nous avons des leçons à recevoir des autres pays.
Joëlle Levie, directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle à la SODEC (équivalent québecois du CNC français)
Le Québec est l’unique province parlant français en Amérique du Nord : 7,4 millions d’habitants, 25 % de la population canadienne. La SODEC : soutien à la production de langue française : 16 millions de dollars.
Le cinéma québecois a des problèmes sur son propre territoire mais cela va mieux. Le cinéma américain sort au Québec en version originale et en version française en même temps, ce qui mobilise beaucoup d’écrans. Le cinéma français trouve un beau succès, lié à la volonté du public de voir des productions en langue française (également les versions doublées du cinéma américain). Le cinéma québecois est très peu représenté à l’extérieur. Pour améliorer cette circulation, le Québec a développé des accords de réciprocité avec le CNC et la Communauté française de Belgique, mais qui ne suffisent pas.
L’exploitation en salles est difficile : l’accès aux régions est compliqué. Les exploitants possèdent en dehors de Montréal de une à quatre salles, sont sous la pression des Américains pour garder les films américains à l’affiche. Sur les 15 à 20 films produits par an, seuls les comédies circulent dans l’ensemble du Québec. 60 % des salles sont tenues par des indépendants, le reste étant tenu par deux sociétés. Le Canada ne projette aucunement les films québecois, de même que les films canadiens anglais ne sont pas vus au Québec. Les télévisions ont une politique d’achat très sélective, seulement les comédies sur les chaînes commerciales.
Olivier Bronckart (Les Films du fleuve), représentant de l’Union des Producteurs de films francophones (CFB) – Belgique francophone.
En Belgique, l’accessibilité est casi-directe avec la France, généralement en coproduction sur les projets créés en Belgique. Proximité géographique et dans le travail des techniciens, échange de comédiens : la frontière n’est pas un problème. Nous sommes cependant un petit pays avec une faible production. La RTBF coproduit souvent, le centre du cinéma et les aides régionales soutiennent. Le principal problème est la promotion : les films sont sous-financés à ce niveau. La distribution vient avec la coproduction et se pose de façon globalisée.
Les coproductions se limitent à la France : Québec, Suisse et Afrique sont laissés de côté, cette dernière essentiellement pour des raisons de marché.
Les complexités administratives et les critères d’accès aux fonds rendent très complexes le montage financier des films.
Insister pour décloisonner les choses et sortir des territoires nationaux.
Micha Schiwow, directeur du Centre suisse du cinéma
Le Centre suisse du cinéma n’est pas un CNC et plus à rapprocher d’Unifrance. L’Office fédéral de la Culture s’occupe du soutien à la production.
La Suisse n’est pas membre de l’Union européenne, ce qui l’exclut des différents programmes médias et ne l’aide pas à trouver des marchés extérieurs.
Le cinéma francophone ne trouve plus de public sur ses propres terres (Suisse romande, 60 % de la population) et rencontre plus de succès en Suisse alemanique (30 %) ! Les films d’Alain Tanner trouvent davantage de public en Suisse germanophone ! La France est le passage obligé pour le succès d’un film en Suisse francophone.
Accords de coproduction avec Allemagne et Italie. Les schémas sont inattendus : un Zurichois va coproduire Godard avec la France et l’Italie par exemple.
La diversité culturelle : une taxe est prévue pour contrer une position dominante (pouvant aller jusqu’à deux francs suisses par entrée) pour alimenter un fonds d’aide à la diffusion. Loi entrée en vigueur depuis deux mois seulement. On constate combien d’écrans sont occupés par le même titre dans chaque région et la loi s’applique.
Production : environ 15 films par an. Tous les films coproduits trouvent une sortie dans les pays coproducteurs mais la diffusion du cinéma suisse est internationalement parlant dérisoire.
Bassek Ba Kobhio, directeur d’Ecrans noirs et des Films Terre africaine
Je m’aperçois que de grands pays ne produisent que très peu et cela me rassure quant à la production africaine qui a le mérite d’exister !
J’entends : il n’y a pas de marché en Afrique. Il existe mais reste à organiser. Il est à gagner. Il y a deux ans, Ecrans noirs s’est orienté vers la facilitation de l’ouverture de salles. Les Américains nous ont contacté : le marché d’Afrique centrale est loin d’être négligeable (130 millions d’habitants).
Attention à ne pas faire une sous-globalisation au niveau de l’Afrique. Nous diffusons dans cinq pays d’Afrique centrale et un sixième pays dès novembre, ouverts à des films francophones non-africains. Il est très difficile de convaincre des professionnels du Nord qu’il s’agit d’un marché important. De même qu’il est difficile de faire venir un comédien, y compris avec la crainte des moustiques !
Les cinéastes africains sont-ils convaincus que leurs films doivent circuler ? J’ai vu le communiqué des cinéastes du Sud à Marrakech mais je n’ai pas la chance d’avoir leurs films !
La plupart des festivals où passent leurs films ne payent pas de droits pour les avoir : pourquoi devrions-nous le faire ?
Les Américains pensent que l’Afrique est un des seuls territoires où il y a un marché à gagner. Ils travaillent au pourcentage et payent tous les frais de dédouanement, commission de censure etc. Pour un film français, il faut s’engager pour tous ces frais et on commence avec 50 à 60 000 F de négatif !
Y aura-t-il un jour un succès commercial en Afrique qui influence un succès en Europe ? Nous avons du mal à percer sur le marché européen. Sans relais dans les salles, les films sont  » de festival « . Beaucoup de sections  » Afrique  » se créent dans les festivals, d’où la réaction au festival de Marrakech.
Jean-Claude Crépeau, directeur du cinéma et des médias à l’AIF (Agence internationale de la Francophonie)
J’admire le discours de Bassek mais suis un peu moins optimiste que lui. Il faut regarder les réalités actuelles. Les circuits d’exploitation dans les pays du Sud sont sinistrés. Je recevais récemment une délégation de l’UEMOA qui se préoccupe de mettre en place une politique qui favoriserait la promotion et la circulation de l’image au sein de leur espace économique.
Un des désespoirs prédominant était le circuit salles. L’espace UEMOA représente 75 millions d’habitants mais plus que 60 salles de cinéma, dont 25 environ répondent aux critères de qualité.
Tout le monde rêvait de reconnaissance dans les pays du Nord. Un film est fait pour un spectateur national ou régional : le réseau de salles est essentiel.
Je me retrouve assez parfaitement dans ce que disait Henry Ingberg en ouverture : l’Agence a pour mandat de faire participer les pays du Sud au flux de production d’images cinématographiques et audiovisuelles. Le fonds de soutien à la production permet d’accompagner chaque année sur 37 pays différents la création originale de 120 à 150 heures de production neuve. Notre but est aussi de participer à l’émergence d’une économie de marché, même si elle est embryonnaire.
Le budget moyen d’un film produit dans un pays francophone du Sud est de 700 000 euros. Les rassembler est un parcours du combattant pour le producteur : il est hors de question de mettre de l’argent sur la promotion. Le premier stade était donc pour nous d’intervenir sur la promotion des films. On a pas les moyens d’aider tous mais un ou deux pour qu’ils aient des outils promotionnels importants. Ces films ont connu une diffusion réelle en Afrique. Lumumba de Raoul Peck a été effectivement exploité en Afrique. Les chiffres avoués de l’exploitation dans les six pays sont de 35 000 entrées, sans doute le triple en réalité. Un investissement de 500 000 FF (UE, MAE, AIF) : recettes de 250 000 FF au producteur du film. Deuxième film à en profiter : Sia, le rêve du python, qui marche très bien en Afrique. Bronx Barbès a fait 200 000 entrées sur le grand Abidjan.
Le marché existe, difficile à organiser, qui nécessite des investissements importants, mais représente un réel intérêt.
Michèle Jacobs, directrice du cabinet du président de TV5, chaîne francophone
TV5 est la bonne élève : nous ne diffusons aucun film américain mais des films essentiellement français avec une ouverture aux œuvres  » d’ici et d’ailleurs « . Huit signaux distincts différenciés pour des questions de droit cinéma. La régionalisation des signaux a permis de promotioner le cinéma en jouant sur les droits. Serge Ada, qui vient de Canal Horizons, est très sensible au cinéma. Au moment de Cannes, nous avions une programmation  » les enfants de Cannes  » qui reprenait 13 films primés à Cannes, notamment africains. Frédéric Mitterrand va s’occuper d’une nouvelle émission  » D’ici et d’ailleurs « . Nous étions partenaires du festival de Marrakech, notamment à travers la nuit du court-métrage, auquel nous sommes attentifs depuis longtemps grâce au CIRTEF et nous donnons un prix du meilleur documentaire francophone au festival de Namur.
Sur TV5 Afrique, nous diffusons chaque mois un film africain.
Partenariats avec les festivals et une nouvelle émission. Promotion des sorties de films, tournages, réalisateurs : nous avons une émission, 24 heures dans une grande ville, du samedi midi au dimanche midi (problème de ne pouvoir diffuser un grand film puisque la loi française empêche la diffusion le samedi).
Le principe fondateur de TV5 d’amplifier l’audience et de valoriser les émissions partenaires joue à plein.
Rôle pédagogique : utilisé par des milliers de professeurs de français à travers le monde.
Souci de la promotion du cinéma à la télévision (loi française) : nous empêche de faire de la publicité pour le cinéma francophone.
Opération prévue avec le réseau Europacinémas.
Problème de la question des moyens.
Xavier Merlin, directeur des Affaires européennes et internationales du CNC
Différencier œuvre en français et œuvre francophone. La langue est un des aspects d’une culture et pas forcément une réalité commune. Le débat est aussi traversé par la problématique Nord-Sud. Il n’y a donc pas une solution miracle. Beaucoup d’expériences et d’initiatives.
Le CNC surtout fait porter ses efforts sur la coproduction : 43 accords à travers le monde, dont 15 avec des pays francophones. La moitié des coproductions sont faites avec quatre pays : Belgique, Allemagne, Angleterre et Espagne.
Les coproductions franco-canadiennes prévoient des préférences modifiant le pourcentage de participation. Les films en français sont particulièrement bien accueillis au niveau des commissions.
Eurimages : débat : la coproduction est-elle une garantie de circulation dans les différents pays. Le lien n’est pas automatique.
Fonds Sud et avance sur recettes : aides sélectives gérées par le CNC. Un film en français d’un pays francophone ira à l’avance sur recettes.
Cannes 2002 : onze films sélectionnés, score impressionnant, mais question : sont-ils vus ailleurs que dans les festivals au Nord et le sont-ils par leur public au Sud ?
Efforts doublés sur la production et la diffusion.
France : 40 % de parts de marché au film français, 50% au film américain : le reste est très petit. Spiderman : 900 copies alors qu’il y a 5500 écrans en France.
Harry Potter 2 et le Seigneur des Anneaux 2 va sortir en fin d’année : personne ne veut s’y coller !
Dichotomie absolue du marché entre cinéma national et cinéma américain.
Efforts pour diffuser le film francophone sur le territoire français : accord avec la SODEC pour la diffusion de quatre films québecois, aide à la diffusion pour les cinématographies peu diffusées. Système de copies gratuites pour exploitation à l’étranger : mécanisme à développer. Soutien à diverses initiatives qui promotionnent les échanges francophones.
Pour qu’un cinéma s’exporte bien, il faut qu’il soit en bonne position sur son territoire national.
Daniel Toscan du Plantier, président d’Unifrance, également producteur et président du festival de Marrakech
Il y a un vice de base : nous avons survécu par l’aide publique et la recette est secondaire : tout le monde s’en fout ! Nous ne vivons pas des recettes : sinon, nous n’exercerions pas ! La puissance publique nous porte. Nous ne vivons pas avec la rage au ventre de faire des recettes comme n’importe quel producteur américain.
Je me suis obstiné avec Unifrance à me poser la question de notre présence au monde !
Nous ne sommes pas nés pour exporter. Il nous faudrait un camp de travail pour ne penser qu’à ça ! La qualité de l’exportation des films belges réussis est infiniment supérieure à celle du film français.
Mon obstination est plus celle des réalisateurs que celle des producteurs, qui n’ont pour obsession que le pré-financement, la recette ne leur appartenant que très peu. On dissocie le résultat de la vie du film. L’accueil du film est plus important que son succès.
Nous avons tous les mêmes défauts. Dans le  » soutien « , le système français, il y a tout sauf l’exportation, qui est ainsi en dehors de la  » légitimité  » cinématographique.
Je me débrouille avec des bouts de ficelles, pourtant supérieurs à la somme des budgets des associations de soutien à l’exportation des films européens
L’Union européenne ne fait pas grand chose et ce n’est pas sa priorité.
Unifrance a pour but de soutenir le cinéma d’industrie française et non le cinéma en français.
L’ensemble maghrébo-africain a toujours été mis de côté d’Unifrance : ce n’était pas notre domaine puisqu’il y avait une direction du cinéma au ministère de la Coopération.
Je fais un festival à Marrakech à la demande du roi du Maroc. L’ambassadeur de France, prévenu, ne montrera pas le nez. Par contre, l’ambassadrice des Etats-Unis a été très active. Ils sont conscients que 25 millions d’habitants sont des gens qui vont consommer, que même s’ils ne payent pas aujourd’hui, ça viendra. On peut se dire qu’on lutte contre l’hégémonie américaine par le travail, pas par les discours. Arrêtons d’attendre les aides publiques. C’est l’audace d’un projet qui trouve le financement. Nous avons la richesse créative : travaillons !
Débat
Serge Siritzky : la faiblesse des recettes publicitaires et de remontées des recettes posent crûment la question des politiques publiques. Question au CNC : quel cadre de réflexion sur l’international ?
Xavier Merlin : le CNC est financé par le ministère de la Culture et le compte de soutien dépendant des entrées en salles, taxe sur télé et sur la vidéo. Le budget du ministère de la Culture n’est pas en hausse, loin de là. Nos interventions sont essentiellement tournées sur la production et nous essayons de réfléchir sur la diffusion depuis quelques années.
Côté offre, parmi les choses possibles, une réflexion sur les accords de coproduction : les contraintes de dépense dans les territoires nationaux sont parfois un obstacle, réfléchir à d’autre formes favorisant la coproduction pas seulement bipartite. Ouvrir les soutiens sélectifs à d’autres films que les films français.
Salles : Europacinéma comporte 315 salles dans les pays francophones, dont 175 dans les pays du Sud, Maghreb etc. Question de mieux mettre en valeur le cinéma francophone dans ces salles.
Copies : étendre le système de copies gratuites, ce qui n’est pas simple car cela implique les producteurs et distributeurs qui ne gardent pas les copies car cela coûte cher en conservation.
Cinéma numérique : des équipements appropriés pour la projection à mettre en place dans les pays du Sud. Explorer le DVD pour la diffusion et la conservation.
Quotas : la notion passe de moins en moins. La notion de quota européen est difficile à tenir par les chaînes de télévision. Leur faire comprendre que les films du Sud doivent aussi en faire partie car les films français remplissent les quotas !
(Henry Ingberg : on a un quota de 30 % et la bonne nouvelle est qu’on arrive pas à le remplir avec les films belges !)
On ne vient pas spontanément voir un film francophone non-français. On préférera éventuellement un film iranien, coréen etc. Une voie est à creuser : éveiller l’appétit des publics.
Tous ces efforts sont valables pour les films  » autres  » que ceux qui sont consommés habituellement.
Micha Schiwow : pas de quotas de diffusion d’œuvres francophones. Chaque chaîne s’efforce de montrer des films de sa sphère culturelle.
Joëlle Levie : quota à la diffusion seulement pour les productions canadiennes.
Daniel Toscan du Plantier : Buenavista Disney avait acheté les droits de  » Mon père ce héros  » avec Gérard Depardieu pour le remake, copie conforme en reprenant le même acteur. Ratage complet. En Allemagne, les deux films sont sortis avec le même acteur au doublage puisque c’est celui qui double Depardieu. 70 000 entrées pour le film français, 700 000 entrées pour le film américain. C’est la promotion du film qui fait le marché. Ce n’est pas le problème du film, c’est le problème de l’offre.
Serge Siritzky : expérience avec succès sur un film espagnol d’un film sous-titré dans le réseau de distribution anglais, alors que cela paraissait inimaginable.
Daniel Toscan du Plantier : la curiosité existe, même quand le film américain est dominant. On veut manger quelque chose d’autre. Tous les autres films de tous les pays du monde face à l’Amérique…
Hassen Delboul (producteur tunisien) : le jour où on a décidé d’avoir un monopole de diffusion en Tunisie, cela a changé les choses. Ne traînons pas notre haine de l’Amérique. La question est de sensibiliser les responsables gouvernementaux. Une délégation tunisienne chargée de promotionner Canal 7, la télé tunisienne, en Europe a permis des contacts fructueux pour la promotion des films tunisiens, ce qui avait donné de bons résultats, mais la loi française est venue couper cette possibilité de promotion, ce qui a diminué radicalement le succès des films tunisiens en France.
Nos marchés sont dans la mondialisation. L’Europe cherche à faire passer ses produits au Sud, investissant de grandes sommes pour cela. Il faudrait demander et exiger qu’il y ait un quota de films francophones dans les télévisions du Sud.
Serge Sitritzky : TV5 a le même problème. Les chaînes seraient prêtes à faire des tarifs canons.
Toscan : la crainte qu’on a est que les Américains en profitent pour envahir un peu plus, alors que les Européens ne nous laisseraient pas établir une différence. Cela ne sera valable que pour les 20 plus gros films.
Joëlle Levie : la promotion est possible à la télévision au Canada. Radio Canada s’est engagée vis-à-vis de la production locale, avec des rabais.
Xavier Merlin : Exemple de Vivendi Universal qui rafle dans la musique tous les marchés.
Jacqueline Pierreux (productrice belge, Pierre Films) : les producteurs font appel aux institutions cinématographiques car ils obtiennent plus d’argent qu’avec les télévisions. Arrêtons de faire des films cinéma si on peut faire des films télés meilleurs pour la diffusion.
Deuxième problème : en Belgique, on est élitiste et on refuse le doublage. On atteint pas le peuple en sous-titrant. On ne sous-titre pas en prime time. J’ai lu Shakespeare et Moravia en français sans être ridicule. Il faut doubler pour une diffusion large ! Des films non-doublés ne rapportent rien au producteur.
Olivier Bronckart : Rosetta est sorti en Italie ou autres pays de façon doublée. Mais il vaut mieux un film sous-titré que doublé.
Henry Ingberg : il n’y a pas la solution miracle. Il y a une combinaison de solutions. Nous avons un effort à faire pour coordonner et complémentariser les actions, optimiser au maximum ce qui se fait. La question est de savoir ce qu’il faut ajouter de plus. Un plus émerge de façon manifeste : un dispositif commun, un lieu international où nous puissions collectivement peser.
Dany Martin (ancienne directrice limogée du festival de Namur) : La Francophonie c’est 49 pays et 52 % d’Africains. Vous tous représentez derrière la table quatre pays et Bassek représente l’Afrique. Je suis très inquiet pour certaines cinématographies. Le panel que vous représentez renforce le rapport déjà évoqué à Marrakech avec les  » cinémas du Sud « .
Thierry Hot (BBC) : quand j’entends dire qu’il n’y a pas de marché en Afrique, c’est ahurissant. Quand je regarde ce qui est écrit par la presse sur ce festival de Namur, je vois que les films africains sont extrêmement peu traités.. Il faudrait que les cinémas du Sud puissent se battre à armes égales.
Bassek Ba Kobhio : je voudrais que l’Afrique ne soit pas le prétexte de champ de règlements de comptes qui nous empêchent de traiter notre sujet.
Bernard Rouquette (association pour la promotion du cinéma vietnamien : depuis trois ans, travaille avec Jean-Claude Carrière dans un travail de fond au Vietnam) : Bertrand Tavernier a pu voir un film avec un traducteur en live, ce qui posait des problèmes de retard sur l’image. Par pitié, sous-titrez quand même ! Il y a 100 millions de francophones au Vietnam, Cambodge, Laos.
Toscan : Amélie Poulain a marché aux Etats-Unis par sous-titrage (10 millions de spectateurs), alors que la version doublée existait.
Chaque pays a sa réalité et il n’y a pas de solution définitive.
Hassen Delboul : comment nous aider à mieux diffuser nos films au Nord ? Et comment multiplier les expériences comme Ecrans noirs en Afrique ?
Jean-Claude Crépeau : En Afrique francophone, 250 millions de spectateurs potentiels, il y a très peu de films francophones qui circulent. La solidarité francophone doit s’exercer dans tous les sens. Le cinéma français est locomotive, mais les wagons sont très légers (Suisse, Québec, Afrique, Belgique).
Bassek Ba Kobhio : Les films indous passent en Afrique sans qu’on comprenne le texte, avec des bavardages énormes dans la salle. Mais pour les autres films, c’est différent : vendre un film chez nous suppose le doublage. Nous espérons que le programme AIF permettra à des salles de s’ouvrir. Lorsque nous diffusons un film français avec son comédien, ça marche. Amélie Poulain a marché au Cameroun car l’actrice principale était venue le présenter.
La question est de savoir ce que nous professionnels du Sud faisons pour notre cinéma, quels groupes de pression nous constituons pour que nos gouvernements prennent les bonnes dispositions.
Sinon, pourquoi pas un quota des films du Sud dans le quota du cinéma français ?
Xavier Merlin :  » le y’a qu’à, faut qu’on  » n’apporte rien. On a tous des dispositifs qu’on essaye de faire fonctionner et d’améliorer. En France, la priorité est l’avenir du cinéma français qui pose problème, et cela risque de prendre toute l’énergie dans les prochains temps.
Joëlle Levie : On a chaque année un ou deux films qui voyagent sur les 15 ou 20 qui sont produits. Même dans les pays francophones, on se comprend pas. Le québecois n’est pas toujours bien compris à l’extérieur. Au Québec, tout ce qui est francophone est une priorité. Nous sommes très ouverts sur le monde, mais en dehors de tout programme européen qui a sa complexité propre.
André Logie (travaille avec un distributeur en Belgique) : on produit entre 200 et 250 films francophones par an : tous ne peuvent être distribués. Amélie Poulain a fait 600 000 entrées en Belgique mais les plus gros succès sont plutôt à 200 000. L’exploitant n’est pas vraiment partant pour les films francophones.
Thierry Hot (BBC) : la francophonie comme enjeu politique me semble être un préambule. Bassek Ba Kobhio a proposé quelque chose de concret. Quelle est la réaction des différents pays ?
Tahirou Tasseré Ouedraogo (réalisateur burkiinabè) : nous sommes intéressés par des coproductions franco-africaines mais du côté Suisse ou Québec, le problème est d’être aussi bien distribué. Perspectives tripartites ?
Joëlle Levie : nous essayons de favoriser les relations de coproduction, mais il n’y en a pas beaucoup.
Henry Ingberg : Des initiatives existent mais le point nodal est le financement. Le fond Eurimages, alimenté par les pays qui y participaient, existe depuis 20 ans pour ouvrir un espace d’accueil qui ne présente pas des films nationaux d’abord. Rien nous interdit d’ouvrir le fond Eurimages à la francophonie, mais c’est un problème de financement et donc de choix.
La question d’une matrice commune pour les coproductions : nous pourrions rendre ces accords utilisables par les professionnels, aménager le fait que les articles soient compatibles entre les pays, c’est notre boulot de bureaucrates !
Le travail remarquable d’Unifrance en rapport avec le CNC mérite qu’on s’y attache. Dès qu’il s’agit de maintenir un film en salles qui ne cartonne pas tout de suite, nous devons intervenir financièrement pour que cela se passe : aides publiques à la distribution et à l’exploitation.
Nous sommes hors-jeu sur la question de la promotion face aux Américains. Unifrance pourrait-il devenir  » Unicinéma  » ? Nous pourrions nous y rallier et cotiser financièrement, pour faire groupe, faire masse, chacun y apportant de sa part d’identité. Il nous faut passer à la vitesse supérieure et Unifrance est le seul organisme adapté.
Une productrice belge : la RTBF prévoyant dans son cahier des charges un aspect promotion, j’ai pu faire passer des secondes. Un tel cahier des charges est important. La presse qui sait si bien casser les films de son pays pourrait aussi jouer son rôle.
Abderrahmane Sissako : Pourquoi le cinéma français ne se bat pas pour être présent en Afrique ? Le privé ne s’intéresse pas aux marché africain.
Sur la question du sous-titrage, les écrans sont occupés par des films pornos qui ne sont pas sous-titrés !
Promotion des films : le journal télévisé en France annonce surtout les films américains. Pourquoi ?
Serge Siritzky : développer le cinéma en salles en Afrique est possible si on en a la volonté.
Michel Huisman (responsable de Télé-Bruxelles, chaîne publique) : les spectateurs ne vont pas voir les films dont ils ne connaissent pas les protagonistes. Les médias sont très responsables de ne pas programmer des émissions qui fassent plus connaître les protagonistes du cinéma francophone.
Henry Ingberg : accords de coproduction à ajuster, systèmes de détaxation à étendre et surtout à rendre compatibles entre Etats pour faciliter les coproductions. Notre incapacité en dehors de la France de mener une politique agressive est flagrante : nous sommes prêts à contribuer à l’effort d’Unifrance dans un nouvel organisme qui l’élargirait. Chaîne de télévision européenne du cinéma à relancer dans le sens de l’ouverture définie par ce colloque.
Richard Miller, ministre belge des Arts, des lettres et de l’audiovisuel (Communauté française de Belgique)
J’ai voulu être présent malgré les dossiers lourds de la table du gouvernement. Je considère qu’il y a un combat politique au sens large du terme à mener : le cinéma est l’art de notre temps. Si le cinéma africain ne peut pas participer à l’art de notre époque, cela voudra dire que nous avons imposé une culture occidentale qui se maintient envers et contre tout et ne s’ouvre pas à la diversité. Nous sommes tous confrontés à un envahissement à un type de cinéma qui a ses qualités, d’inspiration américaine, mais éteint, occulte, écrase les autres cinémas. Il est essentiel de dépasser les frontières et les clivages pour défendre notre cinéma. Avec le cinéma africain, nous avons un combat à mener ensemble.
Je m’engage à mener ce combat. Arriver à mettre ensemble les dynamismes, les moyens à tous niveaux. La Francophonie internationale et l’Europe sont les lieux supranationaux où cela peut se faire. La fiction cinématographique est ce qui porte aujourd’hui l’âme des populations. Le cinéma américain est une machine d’invasion économique et politique. Il est clair que nous avons besoin de nos amis français. La France a réussi à maintenir son cinéma et à le développer. Bruxelles est la capitale européenne : nous avons beaucoup travaillé à une chaîne européenne de cinéma. Nous nous heurtons à des difficultés financières mais aussi politiques.
La communauté française de Belgique a la particularité de ne s’occuper que de l’épanouissement culturel de ses concitoyens. Nous sommes prêts à tenir notre rôle à cet égard.

///Article N° : 2653

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