« Comment peut-on être écrivain camerounais … de langue anglaise ? »

Print Friendly, PDF & Email

Peu connue, la littérature camerounaise anglophone n’en demeure pas moins vivante. Histoire et état des lieux.

Cette boutade sur le mode de l’interrogation des Parisiens des Lettres persanes à propos des Persans de Montesquieu me semble refléter la situation de la littérature camerounaise d’expression anglaise. En effet, s’il est aujourd’hui difficile pour des spécialistes de douter de l’existence d’une littérature camerounaise, il reste que, pour nombre d’africanistes, et même parmi les plus réputés, écriture camerounaise s’entend encore et exclusivement comme écriture camerounaise d’expression française. Pourtant, à côté de la production littéraire en langue française se développe, depuis la fin des années 50, une littérature en langue anglaise qui, bon an mal an, semble se constituer en champ plus ou moins en voie d’autonomisation avec un ensemble d’instances qui, dans un contexte comme celui de l’Afrique post-coloniale, pourraient permettre de définir une littérature nationale : ses créateurs, sa critique, ses éditeurs, ses diffuseurs, ses paradoxes, etc.
Une histoire singulière
Au lendemain de la défaite allemande de 1918, la gestion des territoires de l’empire colonial de Bismarck, officiellement devenus  » propriétés  » de la Société des Nations et plus tard de l’ONU, est confiée provisoirement aux grands vainqueurs des deux guerres mondiales. En Afrique équatoriale, la France et la Grande-Bretagne, pour des raisons stratégiques et économiques, ne peuvent se départager sur le protectorat du Kamerun qui est alors, contrairement à la Tanzanie, au Togo ou à la Namibie, divisé en deux parties que chaque puissance essaie d’incorporer dans son empire. Alors que la partie orientale accordée à la France est intégrée dans l’Afrique équatoriale française, les parties septentrionales (Northern Cameroon) et occidentale (Southern Cameroon) revenues aux Britanniques sont rattachées administrativement à la possession voisine du Nigeria.
Arrivé tard dans une fédération constituée depuis plus de 50 ans, les  » British Cameroons  » ne bénéficient que d’une  » bienveillance  » distraite des autorités britanniques. Les infrastructures de communication, de l’administration ou scolaires ne reçoivent aucune attention spécifique. Au contraire, les crédits débloqués par Londres pour développer le Southern Cameroon n’atteignent le territoire qu’après être passés par Lagos, Ibadan, etc., lesquelles capitales régionales en prélèvent, à chaque étape, d’importantes  » taxes.  » L’école reste ici curieusement embryonnaire alors que l’université fait partie du paysage intellectuel du Nigeria. De plus, l’Indirect Rule qui reconnaît une certaine compétence aux autorités locales pour la gestion des domaines comme le commerce ou la formation des agents locaux de l’œuvre coloniale, se traduit ici par l’invasion massive des populations venues du Nigeria, essentiellement des Ibo, qui tiennent le commerce et l’administration. C’est donc à de véritables sous-colonies de la colonie anglaise du Nigeria qu’est proposée l’alternative de la réunification avec le Cameroun oriental ou la Fédération du Nigeria, aux lendemains de l’indépendance du Cameroun français et de la Fédération du Nigeria, en 1960 et 1961, respectivement. Tandis que le Northern Cameroon se rattache au Nigeria, le Southern Cameroon, lui, choisit de se lier à la République du Cameroun pour donner naissance à la République fédérale du Cameroun.
On comprend dès lors comment, à l’indépendance, contrairement au Cameroun oriental, le Cameroun occidental ne dispose à proprement parler pas d’élite intellectuelle, population au sein de laquelle se sont recrutés, aussi bien dans les colonies anglaises que françaises, les premiers écrivains en langues occidentales. On comprend aussi pourquoi le premier texte littéraire publié accordé à un ressortissant de la rive gauche de la Mungo River est publié à Ibadan, et en 1959, c’est-à-dire, à quelques mois seulement de l’indépendance du territoire, alors que les premiers écrits connus de Camerounais de l’autre rive remontent, eux, aux lendemains mêmes de la première guerre mondiale. Venus tard à l’écriture, les créateurs de la littérature camerounaise d’expression anglaise n’ont pas, pour ainsi dire, et contrairement à leurs collègues de la rive droite de la Mungo River ou même du Nigeria, participé à l’aventure de la littérature coloniale africaine. Bien que selon Botake et Lyonga (Abbia 38-39-40), Bernard Fonlon et Vincent Nchami eussent écrit des poèmes et des nouvelles dont certaines sont même diffusées sur les ondes de la radio nigériane au début des années 50, l’histoire effective de la littérature d’expression anglaise se confond ainsi, pourrait-on dire, avec celle de la post-colonie.
L’écriture de l’exil après l’exil de l’écriture ?
La littérature camerounaise d’expression anglaise est née en exil. En effet, I Am Vendicated, est publié chez Ibadan University Press au Nigeria alors que Sankie Maimo, l’un des rares ressortissants du Southern Cameroon à avoir fait des études supérieures à cette époque, est étudiant à l’université d’Ibadan. Si elle n’est pas nécessairement celle de l’exil, sa thématique initiale est bien plus proche de celle-ci que de la préoccupation des créateurs alors  » sous mandat  » britannique. Coloniale ou post-coloniale, la littérature camerounaise est généralement réputée engagée. Cependant, les premiers textes de la littérature camerounaise d’expression anglaise ne semblent point briller par leur ancrage dans les préoccupations des populations qui les ont suscités. On pourrait même effectivement dire que cette dernière est plutôt déconnectée de la réalité ambiante.
En effet, alors que René Philombe, Mongo Beti ou Daniel Ewandé connaissent la prison ou l’exil parce que leurs écrits heurtent de front le pouvoir de Yaoundé au lendemain de l’indépendance, alors que les accords de Foumban qui créent deux Républiques fédérées du Cameroun et garantissent les libertés fondamentales aux citoyens des deux territoires sont mis hors jeu par une série d’ordonnances et de lois d’exception anticonstitutionnelles (1961, 1963, 1966, etc.), alors que le régime du président Ahidjo exclut systématiquement l’héritage britannique pourtant déclaré officiellement comme faisant partie intégrante du patrimoine national de la vie publique, alors que sous prétexte de  » pacification  » du pays, la soldatesque du même Ahidjo  » assistée  » par l’armée française assassine à tour de bras les patriotes camerounais (plus de 400 000 morts dans les seuls Mungo, la Sanaga maritime ou l’Ouest), bref, pendant que  » Rome brûle « , nombre de créateurs de la minorité anglophone semblent chanter, comme la cigale de la fable. Adventuring with Jaja (1962) de Sankie Maimo, A Few Days and Nights (1966) ou Because of Women (1968), Black and White in love (1972) de Mbella Sonne Dipoko, Taboo Love (1980), de Joseph Ngongwikuo par exemple célèbrent la romance.
Et, quand quelques écrits se départissent de l’amour et de ses déclinaisons, ils semblent se préoccuper essentiellement des thèmes  » omnibus  » qui, ainsi que les définit Pierre Bourdieu,  » intéressent tout le monde mais sur un mode tel qu’ils ne touchent à rien d’important.  » (Bourdieu, p.16.) I Am Vindicated (1958), Sov Mbang the Soothsayer (1968) et The Succession in Sarkov (1980) de Sankie Maimo, The White Man of God (1980) et Lukong and the Leopard (1975) de Kenjo Jumbam, The Taboo Kingdom (1986) de Joseph Ngongwikuo, The Good Food (1977) de Nsanda Eba ou The Footprints of Destiny (1985) de Azanwi Nchami traitent invariablement de l’éternel conflit entre la tradition et la modernité qui, ici, se termine à l’avantage de la première. Si sur le plan esthétique on peut relever que Bella Sone Dipoko ou Kenjo Jumban par exemple font montre d’une maîtrise incontestable de la langue d’écriture ou de l’art de la poésie ou du roman et de la nouvelle, tandis que les autres ne brillent guère par la qualité intrinsèque de leurs textes, il reste que cette thématique éculée éloigne l’élite écrivante anglophone autant de leurs congénères de langue française que de la communauté anglophone avec qui elle partage la culture (coloniale) britannique. Pire, par cette contemplation coupable, les écrivains semblent cautionner complaisamment la  » francisation  » brutale et systématique de tout le Cameroun pourtant reconnu Etat  » biculturel  » par la constitution que l’intellectuel Bernard Fonlon dénonce alors avec un courage certain (Abbia n° 5, 1964, Abbia n° 34-35, 1979, etc.)
Ecrire du terroir, (d)écrire le terroir
Il a fallu attendre la fin des années 70, voire le milieu des années 80 pour que la littérature camerounaise d’expression anglaise devienne effectivement nationale au sens où l’entendent les promoteurs de la Harlem Renaissance, dans la mesure où elle semble vouloir, enfin, traduire des préoccupations de nombre de ceux que Stephen Arnold appelle des  » orphelins à la recherche de leur identité  » (Arnold, 1989 : 105). Il est vrai que cette période coïncide avec l’avènement d’un régime politique qui se veut plutôt libéral au Cameroun. En réalité, ce temps aura été surtout nécessaire pour que la politique volontariste (Fandio, 2002 : 10) que le premier gouvernement du Cameroun indépendant mène dans cette partie du territoire porte ses premiers fruits.
En fait, en deux décennies d’indépendance, a pu enfin émerger une élite intellectuelle originaire de l’ex-Southern Cameroon. Ainsi, en dehors du nombre jamais atteint de lettrés en la langue de Shakespeare que connaît le Cameroun, la revue Abbia publiée par la faculté des arts, lettres et sciences humaines de l’université fédérale du Cameroun, aura permis à de nombreux Camerounais des deux langues de faire leurs premières armes, soit comme critiques, soit comme créateurs ou les deux, sous la direction clairvoyante de Bernard Fonlon. (Nombre des ex-collaborateurs de Abbia sont d’ailleurs aujourd’hui des références incontestées de la critique littéraire camerounaise : Kom, Lyonga, Botake, etc.) En effet, ce féru des lettres anglaises et françaises, et passionné de la littérature camerounaise originaire de l’ex-Cameroun occidental et qui manie avec une aisance exceptionnelle la langue de la reine d’Angleterre et celle de Molière, a dirigé pendant 20 ans (1962-1982) la revue Abbia qui peut à juste titre être considérée comme l’une des toutes premières pierres de l’édifice de toute l’institution littéraire camerounaise.
Un peu comme pour enfin faire écho aux multiples cris de détresse de Fonlon, nombre de pièces de théâtre, The Tragedy of Mr. No-Balance de Victor Musinga, The Rapt of Michelle (1984) de Bole Butake, The Most Cruel Death of the Talkative Zombie (1986) de Bate Besong ou même The Mask (1980) de Sankie Maimo, régulièrement représentées à Yaoundé, Buea, Bamenda etc., semblent s’inscrire d’emblée dans le paradigme de la dénonciation de la corruption, du népotisme, de la décadence morale et de l’immoralité des dirigeants du Cameroun indépendant, comme Perpétue et l’habitude des malheurs (1974) de Mongo Beti, Le Caméléon (1980) de Patrice Ndedi Penda, Le Bal des caïmans (1980) de Yodi Karone ou Les Chauves-souris (1980) de Bernard Nanga.
Mais c’est surtout dans ce qui ressemble fort à  » la défense et l’illustration de l’héritage britannique  » que de nombreux auteurs qui, bien que n’ayant, pour la plupart, connu que très brièvement la colonisation anglaise n’en sont pas moins imprégnés, semblent finalement trouver leurs véritables marques. Nombre de créations qui tendent toutes visiblement à revaloriser, à défaut de réapproprier l’héritage britannique camerounais, dénoncent, parfois avec ure rare violence, les travers de la réunification des deux territoires qui s’est traduite, aux yeux des auteurs, par une  » re-colonisation  » de l’autre Etat et par l’humiliation des citoyens qui en sont originaires. Sont ainsi tancés sans ménagement tous les  » frogs  » (francophones), compte non tenu de leur position sur l’échiquier politique ou même de leurs aspirations légitimes non contradictoires avec celles de la communauté anglophone, etc. Contrairement aux textes auguraux, la littérature d’expression anglaise devient résolument anglophone au sens idéologique, voire nationaliste, en ce sens qu’elle traduit les sentiments et les ressentiments d’une classe de Camerounais clairement identifiable et qui s’estime exclue de la table du banquet national. Les thèmes comme l’humiliation, l’ostracisme, le pillage des richesses de l’ex-Southern Cameroon en constituent les principaux chevaux de bataille.
What Good has Put Asunder de Victor Ngome Epie qu’on pourrait traduire par  » Ce que Dieu a voulu séparé  » peut ainsi se lire comme une métaphore de la réunification (1961) et surtout de l’unification (1972) des deux ex-Cameroun français et britannique, Weca la mariée tenant le rôle du Cameroun occidental et Miché Garba celui du Cameroun oriental. Il serait sans doute fastidieux de revenir ici sur la biographie des deux époux, leur éducation, les réactions respectives de leurs tuteurs, etc. qui reflètent plutôt fidèlement le destin de deux territoires. On peut toutefois retenir que l’union qui se voulait un mariage de raison se révèle, aux yeux de la mariée, comme une  » mauvaise affaire  » car, plutôt que d’aboutir à l’épanouissement des conjoints, elle se traduit par la déshumanisation programmée, irréversible et forcée de la compagne par le compagnon. En une décennie de cohabitation et grâce à des stratégies qui tiennent à la fois de la violence symbolique et morale et du procès idéologique, Miché Garba, qui par ailleurs se dévoile comme un individu fourbe et hypocrite, fait de Weca une étrangère à elle-même et à tous les siens. Par la fin inéluctable à cette union bancale qui a conduit à l’animalisation pure et simple de la partenaire, Epie semble postuler soit le retour au fédéralisme, soit la naissance d’autres formes d’union entre les deux partenaires, ou alors la sédition et la sécession dont le dramaturge se garde prudemment d’énoncer les modalités.
Bate Besong qui, aussi bien par le nombre de ses textes publiés, la qualité même de certains d’entre eux et son exposition médiatique plutôt réussie est, à juste titre, un écrivain d’expression anglaise de premier plan ces dernières années, est plus intransigeant, voire emporté. Poète, nouvelliste, dramaturge et critique littéraire, le créateur de The Achwiimgbe Trilogy (2004) est aussi controversé que populaire parmi une certaine jeunesse lettrée anglophone. Pour Change Waka and his Man Sawa Boy (CLE, 2002) et surtout Beats of no Nation 1990, et à la différence notable de Lake God ou The Rapt of Michelle de Bole Botake par exemple, la (re)conquête de l’identité perdue des anglophones est un impératif catégorique à réaliser, à tout prix. Pour bien marquer cette  » mutilation  » culturelle et sociale, ces  » bêtes sans nations  » généralement présentées comme des hommes et femmes de seconde zone sinon des esclaves face à leurs compatriotes d’expression française qui tiennent les premiers rôles, sont désignées par des étiquettes nominales essentiellement anonymantes : Blindman, Cripple Woman, Woman, Boy, Night Soil Men, Workers, Minority Nnyanyen, etc.
Par contre, la corruption, le despotisme, la précarisation, et l’essentiel des autres maux qui minent l’Afrique post-coloniale semblent le fait des locuteurs et assimilés de l’autre langue ou de l’autre culture, et parfois celui de quelques groupes ethniques ou même d’individus facilement identifiables par tout Camerounais. Akhikikrikii alias The Deity of Agidigidi, Françoise Hyppopo alias The People’s CFA 1.5 Billiards Wife, Holy Prophet Atangana alias Monsignor the Marabout et Etat-Major Andze Abessolo alias Career Toe-Breaker and Torturer, Harl Ngongo (Charles Ndongo ?) alias Iduote (Etoudi ?) Frog Mouthed Laureate, tous originaires de l’ex-Cameroun français, par exemple, de par leur position dans la sphère politique ou médiatique et/ou leurs accointances avec les milieux mafieux qui tiennent lieu de l’économie locale, représentent essentiellement les intérêts étrangers dans Requiem for the Last Kaiser (1991), contre ceux de leurs propres compatriotes.
Nouvelle écriture, meilleures instances production et de promotion
Par-delà les nouvelles thématiques qui pourraient caractériser cette  » nouvelle littérature « , se remarquent sur le plan de l’institution même de la littérature, des tentatives plus ou moins heureuses de mettre en place les instances qui permettent d’instituer la littérature anglophone. L’une des premières instances notables est celle de l’édition qui se rapatrie effectivement et se professionnalise plus ou moins. On sait que les premiers textes de la communauté sont le fait d’éditeurs étrangers, comme de nombreux ouvrages de la littérature francophone d’ailleurs. Mais après les premiers textes de Maimo et Dipoko notamment, la littérature anglophone est généralement le fait d’éditeurs locaux de fortune ou de publications à compte d’auteur qui ne disent pas leur nom. Les éditions Nouremac à l’origine de près du quart de la production avant le milieu des années 80 sont, en réalité, une modeste imprimerie basée à Limbe qui n’a aucune ambition éditoriale au sens où on l’entend habituellement. Les auteurs des ouvrages qu’elle imprime (et non édite) exploitent tout simplement le label de la maison qui jouit d’une certaine notoriété dans la région anglophone du Cameroun, afin de vendre les ouvrages dont la réalité de l’édition est faite par leurs propres soins.
La fin des années 80 et surtout les années 90 voient émerger des éditeurs professionnels : Buma Kor, Patron Publishing House, Cosmos Educationnal Publishers, etc. qui font de l’édition un véritable métier ; tandis que les éditions Clé de Yaoundé, après une hibernation de près d’une décennie, inscrivent quelques titres dans son catalogue : Lake God and Other Plays de Bole Butake, Change Waka and His Man Sawa Boy, Three Plays de Bate Besong, etc. L’activité éditoriale professionnelle remarquée est appuyée par une presse littéraire qui, pour être modeste, ne manque pas, dès la fin des années 80,  » d’apporter un soutien à la cause.  » Des émissions de radio comme Literary Half Hour du poste national de la radio d’Etat, non seulement présentent des œuvres d’auteurs camerounais anglophones, mais aussi invitent très régulièrement ces mêmes auteurs et parfois des acteurs de théâtre qui discutent de leur art, de leurs œuvres ou des performances des autres.
Dans le même ordre d’idées, Cameroon Report qui est rebaptisée plus tard Cameroon Calling, l’émission de la radio d’Etat la plus écoutée par la communauté anglophone, ne manque pas, à l’occasion, d’inviter des intellectuels anglophones dont des écrivains qui parlent des publications ou des auteurs du champ : Bole Butake, Bate Besong, Epie Ngome, Eyoh, etc. A la télévision nationale, en dépit d’une programmation de plus hasardeuses et des plus irrégulières (qui ne sont d’ailleurs pas l’apanage des seules dites tranches d’antenne), en plus de la présentation des textes, des acteurs ou des auteurs comme Literary Half Hour, Focus on Arts diffuse régulièrement des extraits de pièces jouées par des troupes locales qui sont commentés à l’occasion par des dramaturges, des critiques ou des metteurs en scène et acteurs divers : Hansel Ndumbe Eyoh, Bole Butake, Gilbert Doho, Epie, etc.
La presse privée qui a fleuri depuis les années 90 accorde, elle aussi, une certaine audience aux écrivains qui par ailleurs sont généralement des leaders d’opinion. Bate Besong est ainsi, depuis le milieu des années 90, l’écrivain anglophone le plus présent dans Cameroon Post, The Herald ou même Cameroon Life, il est vrai, pas seulement pour des raisons littéraires. La librairie Cosmopen Bookshop a, elle aussi, été de tous les combats pour la connaissance et la reconnaissance de la littérature camerounaise d’expression anglaise dans la capitale culturelle et intellectuelle camerounaise, Yaoundé, avant l’avènement d’autres universités à l’intérieur du pays. Tirant partie de toute l’exposition médiatique des acteurs de la littérature anglophone camerounaise, elle aura ainsi, et très efficacement, jusqu’à la fin des années 80 au moins, apporté solution à l’essentiel de la demande des consommateurs de la littérature anglophone, notamment aux étudiants et aux enseignants de l’université de Yaoundé avec lesquels elle a longtemps entretenu d’excellentes relations de complémentarité.
Cette vitalité est parachevée par une critique universitaire endogène qui s’exprime dans des revues qui malheureusement, comme de nombreux enfants du Tiers-monde, disparaissent avant d’avoir fêté leur premier anniversaire. Après la disparition de la revue Abbia, nombre de critiques et d’universitaires qui, pour la plupart, ont fait leurs premières armes dans le support irremplaçable de Bernard Fonlon, n’ont cessé d’essayer de (re)donner vie à la critique littéraire et à la littérature camerounaises exprimées dans la langue de Shakespeare. Toutefois, si The Mould, African Theatre Review, Cameroon Literay Journal, New Horizons, Fako, Sosongho, Weka, etc. ont rarement dépassé le cap de cinq numéros, chacune aura, à la manière de Légitime Défense en son temps (toute proportion gardée), marqué la vie intellectuelle de la communauté des créateurs et des critiques camerounaise. En outre, cette vie intellectuelle et littéraire reçoit l’appui remarqué des troupes théâtrales dirigées par les mêmes dramaturges universitaires, critiques ou enseignants : The Univerity of Yaoundé Theatre, Musinga Drama Group, The Mutual Drapoets, The Flame Mayer, etc. Pour être éphémères comme celles des revues, les sorties desdites troupes n’en constituent pas moins, elles aussi, des moments importants de la vie littéraire de la communauté au nom de laquelle le Cameroun adhère au Commonwealth of Nations, le Club des Gentlemen.
De la délégitimation d’une imposture à la légitimation de la position ?
Si cette  » nouvelle écriture « , contrairement aux premiers textes, se caractérise par une maîtrise de plus en plus indiscutable de la langue d’écriture et même par des recherches formelles appréciables, le poncif y prend bien souvent le pas sur la réflexion tandis que certaines pièces de théâtre, chez Bate Besong notamment, tiennent plus du pamphlet que de toute autre chose. Le plus grand écueil de cette littérature émergente n’est sans doute pas, à ce niveau, celui du manque de lecteurs comme le pensent certains créateurs de la communauté. (Butake, 89 : 103) Car, si une issue devait être trouvée au problème de consommateurs de la littérature camerounaise ou même africaine en général, elle ne pourrait être qu’une solution d’ensemble. (Fandio, 2003 : 175.) En tout cas, le fait par exemple que trop peu d’éditeurs étrangers aient, jusqu’à ce jour, pris le risque de publier les écrits de cette  » nouvelle écriture  » me semble une question dont la recherche en littérature camerounaise ne peut faire l’économie pendant longtemps.
L’un des plus grands défis de la littérature contemporaine demeure donc, à mon sens, celui d’une réelle  » connexion  » de l’élite écrivante avec les préoccupations de la communauté en particulier ou du pays en général. La saturation thématique constatée, un certain déficit d’imagination qui se traduit par un manichéisme par trop simplificateur qui métaphoriquement désigne invariablement certains Camerounais comme les victimes et les autres comme les bourreaux, etc. pourrait contribuer à faire penser que l’essentiel de cette  » nouvelle écriture  » demeure le fait d’une élite urbaine et intellectuelle coupée des ruraux et autres  » gens du peuple  » au nom desquels les écrivains entendent parler. Il est en effet difficile de faire admettre à un observateur attentif de la société de référence que le sort du paysan de Babong dans la Manyu (Sud-Ouest) est strictement différent de celui de son collègue de Mongonam dans la Kadei (Est), ou même que celui du travailleur agricole de la Cameroon Developpment Coorporation (CDC) qui a accaparé l’essentiel des terres fertiles des provinces du Sud-Ouest, du Nord-Ouest et d’une partie de l’Ouest, est spécifiquement différent de celui son congénère de Hévécam ou de Camsuco, tout simplement parce que les premiers se trouvent en zone anglophone alors que les seconds vivent en zone dite francophone. En tout état de cause, des travaux crédibles comme L’Afrique des villages, (1982) ou Quand l’Etat pénètre en brousse. Les ripostes paysannes à la crise, (1989) du sociologue camerounais Jean Marc Ela incitent à douter.
Il est sans doute utile de préciser que, en dépit du taux de scolarisation qui est, comparativement à celui des autres Etats africains, plutôt respectable dans les deux langues officielles du Cameroun et dans les deux ex-Etats fédérés, la population lettrée dans les deux langues représente encore moins de 20 % de la population totale du pays (Kom, 1993 : 146). De fait, ces écrivains, minorité parmi la minorité, pourraient apparaître comme les représentants de la frange exclue de la classe dominante qui se positionnerait ainsi, par son  » activisme « , dans la course au  » banquet national « , au détriment, une fois de plus, de la masse de  » sans-voix  » pour qui il voudrait parler.
Entre marge et ghetto
L’absence actuelle d’une véritable critique littéraire indépendante des créateurs et par conséquent capable d’avoir un regard franchement extérieur, est susceptible d’éloigner encore plus l’émergente littérature camerounaise de langue anglaise des préoccupations affichées siennes.
En attendant, l’écriture camerounaise d’expression anglaise est cruellement peu présentée, mal représentée et parfois carrément exclue de nombre d’instances qui concourent directement ou indirectement à la reconnaissance autonome de toute littérature nationale : les prix littéraires, les programmes scolaires, les colloques scientifiques, les séminaires, etc. Cette position entre la marge et le ghetto pourrait sans doute être interprétée comme une  » autre  » preuve de l’échec de la politique culturelle post-coloniale du Cameroun si ce n’est tout simplement celle de  » l’unité  » ou de  » l’intégration  » nationales, slogans respectifs des régimes politiques successifs de Yaoundé. Elle pourrait même être perçue comme la traduction effective du désir de l’ordre post-colonial camerounais de faire fi de l’héritage culturel du près du tiers de ses populations.
En tout état de cause, la décentralisation administrative qui semble avoir commencé par la création des universités d’Etat à l’intérieur du pays confère à l’université de Buea, seule université  » de tradition anglo-saxonne  » (dixit le décret de création), par la force des choses, une mission herculéenne voire messianique.

Bibliographie :
Arnold Stephen,  » Orphelins à la recherche de leur identité « , Notre Librairie N° 99. Littérature camerounaise 1, Paris CLEF, 1989.
Bjornson Richard, The African Quest for Freedom and Identity: Cameroon Writing and the National excperience, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press, 1991.
Bourdieu Pierre, Sur la télévision, Liber/Raison d’agir 1996.
Butake Bole,  » Cameroon literature in English « , Notre Librairie N° 99.  Littérature camerounaise 1, Paris CLEF, 1989.
Doho Gilbert,  » Théâtre et minorité : le cas du Cameroun « , Anglophone Cameroon Writing, Bayreuth African Series 30/WEKA N° 1, edited by Nalova Lyonga, Eckhard Breitinger, Bole Butake, 1993.
Fandio Pierre,  » En attendant le plan Marshall, consommation endogène de la littérature africaine « , Présence Francophone n° 59, Worcester, 2003.
Fandio Pierre,  » Une foule qui refuse de faire foule, une vision de la littérature camerounaise à l’aube du 3è millénaire « , Littéréalité, Vol. XIV, no 1, Printemps/Eté 2002.
Kom Ambroise,  » Conflits interculturels et tentations séparatistes au Cameroun « , Cahiers francophones d’Europe Centre-Orientale 5-9, Y a-t-il un dialogue interculturel dans les pays francophones ? Acte du colloque International de l’AEFECO Vienne 18-23 avril 1995, Tome 2, Pécs/Vienne, 1993.
Lyonga Nalova et Butake Bole,  » Cameroon Literature in English : An Appraisal « , Abbia 38-39-40, 1982.

Titulaire d’un doctorat en littérature africaine de l’université de Yaoundé et d’un doctorat de littérature comparée de l’université de Grenoble, Pierre Fandio enseigne les littératures francophones hors d’Europe, la littérature comparée et le français langue étrangère à l’université de Buea au Cameroun. Il a publié une trentaine d’articles dans des revues scientifiques d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Océanie et d’Afrique, notamment LittéRéalité, Dalhousie French Studies, Bulletin Francophone de Finlande, Palabres, Voices, Orées, Epasa Moto, Mots Pluriels, Présence Francophone, ALA Bulletin, SEMEN, etc. Il a participé au Dictionnaire des oeuvres littéraires négro africaines d’expression française au sud du Sahara, Vol. II (1996). Ses recherches actuelles portent sur l’institution littéraire en Afrique contemporaine et les arts populaires en Afrique post-coloniale. Récemment rentré d’une mission de recherche au Centre de recherche sur l’imaginaire (CRI) de l’université Stendhal en France, il dirige actuellement le projet de recherche sur  » Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun  » dans le cadre du Groupe de recherche sur l’imaginaire de l’Afrique et de la diaspora (GRIAD) de l’université de Buea.///Article N° : 3509

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire