Comores. Ouverture du festival d’arts contemporains

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À Moroni, s’ouvre ce jeudi la deuxième édition du Festival des arts contemporains des Comores. Jusqu’au 2 juin, des artistes investissent plusieurs espaces de la capitale autour de la thématique globale de « la connaissance de soi » (« Hudjijuwa »). La créatrice de mode Sakina M’Sa succède au sculpteur sénégalais Ousmane Sow dans le parrainage de la manifestation.

Faire des Comores un espace de création et de rencontre des arts contemporains à l’échelle internationale, tel est l’enjeu du F.ACC. L’idée naît en 2010, suite à un constat partagé par plusieurs artistes comoriens : « les artistes ne connaissent pas leur public, les Comoriens ne les connaissent pas toujours, leur public est essentiellement composé d’Européens, qui achètent leurs œuvres et repartent avec », résume Fatima Ousseni. Cette avocate, installée à Mayotte, est aussi une des rares collectionneuses en art contemporain de l’archipel. Avec l’artiste guyanais Denis Balthazar, lui aussi fasciné par la dynamique des arts aux Comores, elle porte le projet de biennale dès 2012.
Si montrer la vitalité de la scène artistique de l’archipel est au cœur de l’événement, l’ouverture sur le monde est primordiale pour ses fondateurs. Pour cela, et dans la perspective d’une reconnaissance internationale, le festival est placé sous le parrainage de la créatrice de mode Sakina M’Sa, qui succède ainsi au sculpteur sénégalais Ousmane Sow lors de l’édition 2012. Née à Nioumadzaha, débarquée à Marseille à l’âge de sept ans, Sakina M’sa, devenue styliste et plasticienne installée à Paris (dans le quartier de la Goutte d’Or), parcourt le monde avec ses créations. A Moroni elle expose ses dernières œuvres dans le cadre de la conférence intitulée « Quelle création et altérité pour un artiste comorien en France » ? Si la mode et les arts contemporains ne semblent pas avoir un lien direct, c’est bien la touche « plasticienne » de l’artiste qui a séduit les organisateurs, tout autant que son ancrage entre deux terres.
Autres artistes de dimension internationale : le Malien Alphadi, les Haïtiens Barnabas Dieudonné, et Giscart Bouchotte, le photographe français Olivier Zolger, l’Israélien Maayan Amir, ou le réalisateur chinois Liu Xuguang. Une large délégation d’artistes guyanais est également présente.
D’une quarantaine d’artistes présents en 2012, plus de 70 exposent cette année dans une dizaine de lieux. Peu d’entre eux sont des espaces culturels dédiés. Des lieux publics de la capitale sont plutôt investis à l’instar de la Médina, de la place Badjanani ou encore du marché populaire de Volovolo. « L’art reste surtout lié à des événements sociaux ; des mariages, des circoncisions etc. Mettre des œuvres d’art dans un lieu fermé, et dire à la population de venir visiter, n’est absolument pas dans la culture comorienne », affirme Fatima Ousseni, pour justifier tout autant le choix des lieux que constater le manque d’espaces culturels sur le territoire.
La connaissance de soi
Pour la partie conférence, l’université des Comores ouvre ses portes. Car à l’instar du Festival des arts nègres de Dakar, les sciences sont au cœur de la programmation du F.ACC. « La connaissance de soi c’est savoir quelle est notre histoire, d’où l’on vient », précise encore Fatima Ousseni, en ajoutant « les Comoriens aujourd’hui sont à la fois dans la ligue arabe et dans l’union africaine. Si on dit aux Comoriens qu’ils sont africains, ils ne sont pas contents. Si vous voulez injurier quelqu’un vous le traitez d’Africains. Quelle est notre histoire ? ». Un questionnement décliné en plusieurs conférences avec l’historien guinéen Djibril Tamsir Ndiane qui interviendra sur « les traditions orales : source fondamentale de connaissance de l’histoire et de la culture Africaine » du syndicaliste Ibouroi Ali Tabibou (« Contribution des Makua dans le patrimoine intangible »), du politologue Ali Moussa Iye (« Décoloniser l’histoire de l’Afrique : contributions des Africains au progrès général de l’Humanité »), ou encore de l’anthropologue Dénetem Touambona (« La fugue créatrice des nègres marrons »)… Avec au-delà un travail en continu avec le milieu scolaire : « Nous travaillons avec les élèves en amont : nous avons fait par exemple venir des plasticiens à Mayotte. Ils leur ont parlé de l’inspiration, de la création, de l’environnement artistique, il n’y a pas de musée ni de galerie », rappelle Fatima Ousseni.
Scène artistique régionale
Quant à la scène régionale, elle est bien entendue représentée par des artistes des trois îles de l’Union des Comores (Grande Comore, Anjouan, Moheli). On notera notamment la participation des peintres Seda, Chacri Ben Ali, Ibrahim Said Bacar du Simbo Art Comores ou encore le plasticien Papaké. Des artistes de l’île « sœur » Mayotte seront aussi de l’événement, ainsi que des créateurs de La Réunion et de Madagascar. Un rassemblement d’autant moins évident que l’on sait l’éclatement identitaire de ces territoires depuis la colonisation française particulièrement. Et ce depuis le XIXe siècle, « Ce pays aux quatre lunes devint alors un terrain permanent de discordes. Conflits de cousinage, déportations de seigneurs locaux, mise au pas de l’élite politique et intellectuelle locale… Les Comoriens au final se retrouvèrent dans l’incapacité de s’inventer un modèle national susceptible de porter les attentes formulées lors de leur apparition tardive dans le champ de la décolonisation, surtout sur le plan culturel. »(1) Mayotte restée territoire français pendant que ses « sœurs » acquéraient l’indépendance, est devenue département français en 2011. Au même titre que sa voisine de La Réunion. Une réalité politique qui transforme les relations entre parentes en conflits, sous différentes formes, à commencer par des inégalités économiques et sociales. Qu’en est-il des imaginaires ? Comment se relient -ils ou se distendent ?
« Pays de lune. Un rêve brisé »
C’est en partie ce qu’interroge l’artiste Soeuf Elbadawi (aussi contributeur à Africultures) dans son œuvre créée pour le F.ACC « pays de lune. Un rêve brisé ». Une présentation fulgurante : « Du destin d’un pays éclaté et du renoncement. Une tentative de récit autour d’une terre à la dérive sous forme d’installation. (…) Une interrogation autour de la dépossession de ces îles où les habitants ne sont plus que les consommateurs en attente de diaspora ». Dans son installation aux multiples volets, il interpelle l’imagination des spectateurs sur l’histoire des Comores, à travers précisément quatre espaces fermés et une performance publique. Par exemple, dans une installation photo, il montre à voir des images de boutres échoués sur les côtes. Avec des plans serrés sur les manières d’y colmater les trous, il explore la fragilité des destinées… Toute une réflexion sur le paysage, la mémoire, le langage que développe Soeuf Elbadawi dans cette installation mêlant vidéo, photo, textes et performance. Un projet amené à se déplacer au-delà du F.AAC notamment en 2015, date « anniversaire » de la naissance de l’État comorien.
L’enjeu des biennales d’art contemporain est bien de créer des espaces pour des créations amenées ensuite à exister au-delà de ces événements. Pour être une vitrine de la création africaine. Le F.ACC saura-t-il permettre ce tremplin aux artistes, notamment de la région, et davantage les relier à un public local comme ils le formulaient dans un rêve de rassemblement en 2010 ? Comment les artistes présents, déjà reconnus, peuvent permettre au festival de se faire une réputation dans le paysage global des rendez-vous artistiques incontournables du continent ? Attendons encore quelques années. Il est sûrement trop tôt pour le (pré)dire.

(1) A lire ici : //africultures.com/php/index.php?nav=article&no=2523///Article N° : 12249

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Les images de l'article
Oeuvre de la styliste Sakina M'Sa
Oeuvre de l'artiste Celine Sarre
Denis Balthazar plasticien
Chacri, peintre comorien
Oeuvre de Ahmed Moussa
Fatima Ousseni
Oeuvre de Simone Saint-Ange





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