Corps et truculence dramaturgique de Sony Labou Tansi à Koffi Kwahulé

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Notion ambivalente et mouvante, la truculence prend effet dans ces écritures de corps en chantier où farce et carnaval mettent à l’honneur le « bas corporel ». Dépassées par ces corps aux débordements incontrôlables, les écritures de Sony et Kwahulé laissent apparaître la béance du manque, l’abîme de l’Absent.

Sony Labou Tansi est l’aîné de Koffi Kwahulé. Le premier a vécu et créé au Congo juste après l’Indépendance, alors que le second, originaire de Côte d’Ivoire, développe la majorité de sa pratique artistique en France, commençant à être reconnu environ trois ans avant la mort de Sony. Entre ces deux auteurs, il y a plus qu’un héritage ou une filiation ; leurs écritures se font écho dans le traitement des corps qui devient le centre de leur dramaturgie. Koffi Kwahulé l’exprime dans une interview à France 24 : « J’essaie de proposer une écriture qui ne soit pas uniquement cérébrale, qui essaie de toucher les êtres (…) ailleurs que dans leurs têtes. Je pense que la tête est facile à atteindre, ce qui est le plus difficile à atteindre, c’est le ventre. » (1). Ce développement essentiel autour des corps dans le théâtre pousse à un rapprochement avec le concept de truculence, assez méconnu malgré les rapprochements judicieux avec l’écriture rabelaisienne. En voilà sa définition historique : « 1853 : Caractère de ce qui est haut en couleur, excessif, violent, du latin truculentus « Qui exprime les choses avec crudité et réalisme. ». Le sens du verbe « trucidare » (trucider) peut être apparenté à trux, incite à un rapprochement avec l’irlandais tru « destiné à mourir ». On a aussi songé à une racine commune à ces mots et à truncus (tronc) et torvus (torve) qui pourrait être lié au groupe indo-iranien du védique tarute et turvati ; « il triomphe de », « il l’emporte sur », avec notion de supériorité et de force. » (2).
La définition situe à la fois son intimité avec les corps qui permet de rapprocher le concept de la farce et des mécanismes carnavalesques ; en même temps qu’elle témoigne de son ambivalence. Les débordements invoqués répondent, au cœur de la définition, à leur propre renversement, convoquant une violence qui témoigne de rapports de force et de manque jusqu’à une mort certaine. Cette notion contient un paradoxe que Sony Labou Tansi explicite dans le prologue de la pièce Le Trou : « Mais voici le « trou » : pour ne pas y tomber, il faut y aller. Le trou de la vie. Le trou des autres. Le trou du monde. Le trou des espérances. Le trou de la réalité – et celui des rêves. Le trou des religions et celui que fait en vous votre propre viande. » (3).
Comment la truculence agit-elle au sein des dramaturgies de Sony à Kwahulé ?
Dans les écritures de Sony Labou Tansi et Koffi Kwahulé, c’est ce constant aller-retour du plein vers le vide qui donne aux dramaturgies leur efficacité. Entre l’incroyable effervescence lexicale et syntaxique de Sony Labou Tansi et la recherche dramaturgique ponctuée de silence de Koffi Kwahulé, le récepteur est amené à s’interroger sur la présence de l’autre. La recherche d’un nouvel être ensemble se fait jour au cœur de la truculence qui fait des débordements corporels un véritable chemin de questionnement de l’humain.
Farce et Carnaval, les débordements essentiels
Les pièces de Sony Labou Tansi et Koffi Kwahulé peuvent être considérées comme des farces contemporaines. En effet, la farce au Moyen Age se caractérise par la mise en jeu des corps dans un espace restreint (tréteau de trois mètres par trois) qui exacerbe la violence dans des histoires axées sur le « bas corporel ». Les personnages débordent dans la formulation et l’assouvissement de leur désir, plaçant chaque récepteur devant l’essence du théâtre, l’interrogation des corps sur scène. L’immédiateté du rapport au monde nourrie par la farce crée des « écritures physiques » qui témoignent du cycle de vie. La mise en jeu de corps en mouvement, éternellement créé et créant, dans un incessant mouvement du corps vers la terre est marqué dans les textes par des procédés d’ingurgitation et de régurgitation. Mikhaïl Bakthine en propose une définition : « L’accent est mis sur les parties du corps où celui-ci est soit ouvert au monde extérieur, c’est-à-dire où le monde pénètre en lui ou en sort, soit sort lui-même dans le monde, c’est-à-dire aux orifices, aux protubérances, à toutes les ramifications et excroissances : bouche bée, organes génitaux, seins, phallus, gros ventres, nez. » (4). Cet inachèvement des corps typique du grotesque est caractéristique des personnages kwahulien et sonien : Badibadi dans Il nous faut l’Amérique et ses multiples transformations jusqu’à la mort, Yongo-Loutard dans Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? change de sexe pour échapper à la mort, Jaz dans la pièce éponyme s’extrait d’elle-même et se dédouble en Oridé pour retrouver un chemin de vie. Les « drames corporels » constitutifs de la farce se déclinent comme suit : le manger, le boire, les besoins naturels, l’accouplement, la vieillesse, la maladie et la mort. Par des procédés comiques suscitant le rire, les dramaturges pénètrent l’intimité des corps et la scène devient le lieu de la parole des excès du corps. Cette approche confère aux écritures leur caractère subversif, mettant à l’honneur les désirs premiers, au-delà de toute censure. Ainsi les écritures peuvent voisiner avec le vulgaire ; les insultes devenant le signe du corps en construction, plaçant le bas corporel au centre du dispositif. C’est le cas au début de Big Shoot avec la longue succession d’expressions injurieuses : « Shut up ! Mother fucker ! Salaud…Salopard…Pauvre couillon (…) Enculé…Trou du cul (…) Chiure…Pourriture » (5).
Au cœur des diégèses, manger et boire deviennent des signes essentiels d’évolution des personnages dans les dramaturgies. Sony Labou Tansi structure la pièce Le Trou autour des espaces de repas. La bouche quitte sa fonction d’organe de la parole pour devenir l’espace concret de remplissage des corps. En parallèle, Il nous faut l’Amérique, s’ouvre sur une discussion à rebondissements autour du pain : qui l’a acheté ? Et qui l’a mangé ? Topitopi manifeste son mécontentement à l’égard de son ami Opolo qui conclut : « Parce que si tu veux savoir, ton pain je l’ai bouffé et je m’en fous. » (6). Manger est un acte de vie qui met le corps en état de devenir constant, un acte qui interroge jusque dans la mort ou l’agression de l’autre. Jaz se rend à la sanisette pour se vider, c’est là qu’elle est elle-même vidée de son intimité physique par le viol. Digérer devient une figure de l’intime ou à l’opposé, une figure politique qui interroge la faim concrètement comme dans Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent. Les naufragés sont en position de détresse et questionnent la solidarité en abordant l’Adamantine.
Boire fait pendant à cette réflexion puisque la consommation d’alcool peut abolir la censure de la parole comme c’est le cas dans Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? Les paysans, complètement saouls, questionnent leur liberté dans la dictature de Walante : « Paysan C : A la lumière du vin rouge, le monde nous devient tout simple et tout clair. Buvons, après nous irons pisser notre verre dans la paix rituelle du sol qui suinte. La sagesse ! » (7). Boire a plusieurs sens : c’est une façon d’entrer en fête avec ses sens, une façon d’estomper la réalité ou de s’en distancier en prenant une voix de la contestation.
Kwahulé répond avec Brasserie, dont le titre pose immédiatement l’enjeu de la pièce ; la remise en marche de la machine à bière qui sera possible grâce à une femme : Magiblanche.
La farce propose, dans sa démarche de retournement, de donner une place prépondérante aux femmes, l’important réside souvent dans leur sexualité débridée. On trouve cette démarche chez les deux auteurs. Par exemple Sony, dans Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent, fait d’Elvire la figure du désir : « Je demeure la vaginocratie en chair et en âme. J’aime tous les mâles que je trouve consommables…Quand mon corps prend feu d’un être magnifique (…) je le tue et je le mange. » (8). Aimée et possédée par trois hommes, son impossible choix la mène au suicide. La sexualité dans les écritures est récurrente : soit contrainte et donc synonyme de profonde violence comme pour Jaz, ou basé sur un quiproquo de sexe comme pour Yongo-Loutard et Walante ou encore nymphomanie pure comme pour Magiblanche.
Les débordements de la farce font écho à ceux du carnaval en inversant l’ordre établi des choses, en renversant les hiérarchies. L’intérêt des écritures de Sony et Kwahulé réside dans le dépassement des limites imposées par le carnaval du Moyen Âge. Dans leurs écritures, les débordements de tous genres : (fables, langues, personnages, territoires, identités) n’ont pas lieu dans un temps donné mais vise à devenir des comportements typiques, permettant de modifier profondément la vision du monde et des autres. De là peut se formuler aisément le monde en régénérescence créé par ces dramaturgies. En partant des corps et de leurs excès intimement liés à la terre, la truculence prend place dans le va-et-vient du plein et du vide formulé dans les interrogations humaines suscitées par les situations extra-théâtrales. La proximité des écritures tient dans la construction d’espaces dramatiques débordants qui deviennent le signe de manque et d’absence jalonnant les parcours des personnages et interrogeant le récepteur. Comme le dit Zakaya dans Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent : « Attachez-vous, nous entrons dans la turbulence. La tourmente a encore quelques menteries à placer. » (9).
Turbulences et trou
La truculence, espace d’amusement par l’excès se retourne pour interroger sa propre profusion. Les écritures gourmandes et goulues de Sony Labou Tansi et Koffi Kwahulé se renversent, témoignant du paradoxe inhérent au concept de truculence : d’un côté, les corps s’exhibent et sont dans le ludus, les dramaturges se permettant tous les excès dans les situations et l’écriture ; de l’autre côté, les personnages semblent engagés dans des problématiques terribles qui les dépassent et les mettent face à des dilemmes. L’intérêt de ces dramaturgies réside dans ce réinvestissement du comique dans des structures de profondes interrogations politiques et philosophiques. Ainsi la farce devient politique avec Sony Labou Tansi qui renvoie le récepteur aux problèmes de l’Indépendance qu’il a vécu au Congo. Comme le dit Philippe Ivernel : « Tout est farce, surtout la politique, et inversement : tout est politique, même la farce. (…) La conjonction des deux termes, farce et politique, devrait produire l’effet d’un paradoxe : soit une farce en prise sur le réel, donc sérieuse à sa manière, « intervenante » pour utiliser un terme brechtien, eingreifend, dont le radical verbal, greif, a donné le français griffe. Une farce griffue en somme. » (10)
En prise avec la réalité, ses pièces interrogent le concept de République au travers de la mise en scène de dictatures. L’exemple probant est la dictature de Walante qui se proclame République. Là, ce sont les mots et leur pouvoir qui sont interrogés par l’auteur : « Les mots ne peuvent dire que ce qu’on voudrait qu’ils disent. » (11). La profusion des mots devient synonyme de son impuissance, le récepteur se trouve face à un vide, celui des mots qui perdent leur sens, mode d’emploi contemporain d’une parole qui n’a de sens qu’au regard de celui qui la prononce. En parallèle, Koffi Kwahulé interroge la notion de démocratie par une présence récurrente du mot dans Il nous faut l’Amérique et Brasserie. Là où le questionnement sonien se réfère à une réalité politique de prise de liberté vis-à-vis des colonies, celui de Kwahulé axe le questionnement vers la manipulation de la politique par les médias. A nouveau, par des discours excessifs, l’auteur fait la démonstration de l’illusion du mot et de la démagogie : « Cap’taine-S’en-Fout-La-Mort : La remise en marche de la brasserie que j’appelle de tous mes vœux contribuera à bâtir une société plus homogène qui permette aux moins favorisés d’entre nous, aux plus faibles, aux petits, aux ratés, aux sans-grade, aux sans-rien d’améliorer de façon fulgurante et substantielle leurs conditions d’existence. » (12). C’est la perte de repère qui devient évidente dans les longues tirades de sophistes politiques. Les auteurs questionnent la politique en dénonçant les vices de ses fonctionnements qui mettent en avant une quête effrénée de l’argent, en particulier dans les pièces de Kwahulé comme Brasserie : « Cap’taine-S’en-Fout-La-Mort : Je vais lui extorquer sa recette et le mode d’emploi de l’usine, et c’est moi désormais qui serai le maître de la bière.(…) L’argent rentrera à flots dans les caisses…(…)
Caporal Foufafou : A nous les limousines longues comme des anacondas, le champagne de France, le caviar d’Iran, les casinos où se déroulent les plus grands combats de boxe, les tables de black jack du Nevada où il fait si bon bander en claquant du dollar… » (13).
Les abus sont dénoncés par des procédés farcesques, la vulgarité du propos dénonce l’indécence de la proposition. La truculence agit dans ces espaces où les valeurs de nos sociétés sont interrogées avec force, faisant la démonstration des failles de systèmes soit disant démocratiques.
Les écritures deviennent alors monstrueuses et questionnent les violences inhérentes aux stratégies politiques. Sony Labou Tansi met en scène des personnages monstrueux comme Mamab dans Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent, mi-homme mi-animal, il place le récepteur face au reniement de l’identité humaine au profit d’un « savoureux chaos ». La figure du monstre devient banale à travers du personnage de l’Inquisiteur dans Jaz. Le violeur, par sa proximité spatiale avec la victime (ils sont voisins), devient la voix d’une folie représentative des excès humains. De la politique à l’humain, il n’y a alors qu’un pas. Les turbulences prennent vie au cœur des dramaturgies qui déstabilisent en déportant constamment le récepteur : « Je voulais que le lecteur ou le spectateur de la pièce soit dans cette même situation, qu’il n’ait jamais le temps de se poser, de reprendre son souffle, qu’il soit constamment déplacé. » (14).
La guerre et la destruction deviennent des figures d’interrogation de l’homme, jalonnant les pièces des deux auteurs. Le vide terrible sur lequel s’ouvre Brasserie, terre dévastée et ravagée répond à tous les morts de la guerre civile dans Le Trou. Les phénomènes de destruction et de mort accompagnent les personnages, les mettant en crise et poussant les textes vers la tragédie. En exergue de la pièce Le Trou : « Oui, les vrais vivants sont morts, mais les vrais morts sont vivants. » (15), Sony pose la proximité des deux mondes confirmée par la mort de Walante qui intervient sans qu’il s’en rende compte. L’étymologie de truculence « destiné à mourir » se confirme avec un personnage comme Badibadi qui se trouve dépossédée de son corps et est vouée à une mort certaine hors de sa propre humanité. La tragédie se joue dans les espaces de cruauté et de corps absents comme le rappelle Kwahulé dans Blue-S-Cat : « Et c’est à ce moment-là, dans le corps absent que commence la vraie tragédie. » (16). Le phénomène de la disparition et l’expérience de la perte répondent à l’exigence du théâtre de la cruauté posé par Artaud : « Il y a un mensonge de l’être contre lequel nous sommes nés pour protester. » (17). Les dramaturgies de Sony et Kwahulé deviennent, par leur exigence dans la recherche et l’agencement des mots, des écritures de force majeure, dévoilant par le rire des existences perdues au cœur d’histoires qui dépassent leur vie dramatique. Bernard Magnier évoque le « rire amer » suscité par l’écriture sonienne qui nous plonge au cœur de cette alternative de la perte et de la violence allant jusqu’au cannibalisme.
La folie se pose comme un jalon de résolution de ces problématiques violentes. En effet, elle est souvent, et c’est là un rapprochement avec la tradition africaine, considérée comme salvatrice. Le dépassement de soi par la folie apporte dans les dramaturgies la voix de la sagesse. Ainsi le lieutenant Nouany choisit de sacrifier son amour au profit de la folie, il devient Zagoubinoa le fou, véritable porte-parole de la vérité au sein du conflit. Pour Koffi, la folie possède une puissance qui renverse les personnages : Jaz finit par annoncer son intention de tuer tous les dimanches ; la violence l’a faite basculer dans la folie, cette folie l’emmène vers le trou.
Les écritures de Sony et Kwahulé bousculent l’humain au plus profond de ses mécanismes et emmènent leurs personnages à la frontière du vide, celle où les identités se perdent, la nudité fait école et le jeu avec l’Absent peuvent amener à la mort. En témoigne l’incommunicabilité qui habite les pièces qui voient des personnages dialogués sans s’entendre. Par exemple, toute la première partie de Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent où les personnages se remémorent leur passé à Belmonta est une démonstration du monologue permanent redouté par Sony : « Ici, oui ici, c’est la patrie des monologues. Allez-y doucement. Sachez que vous ne pouvez parler qu’à vous ; vous ne pouvez être entendu que de vous. C’est le trou : devant, derrière et autour de vous. » (18). L’attente devient constitutive des solitudes des personnages, l’absence devient palpable dans la détresse qui apporte le cri comme manifestation de vie. Son écho est alors celui du silence et de la mort, la rencontre avec le trou noir, comme Zakaya, mort, qui hurle du fond de l’océan ou Jaz dont on entend que le sourd dialogue de sa conscience avec elle-même. Ainsi la blue note des jazzmen, évoquée par Kwahulé, n’est pas loin, « tutoyant le silence », la truculence va jusqu’au bout de son antinomie.
En guise de conclusion : Des chemins du dire
Ce qui se pose comme lien entre ces deux auteurs tient dans l’exploration de la langue française qu’ils maltraitent, qu’ils tordent et qu’ils réinventent créant des espaces de recherche du théâtre et de la vie entre corps et parole. C’est le théâtre lui-même qui devient solution de ces écritures dont les débordements mènent à leur propre aporie. En effet, l’oralité, essence du théâtre, constitue le pont entre le trop des mots écho du vide dans les dramaturgies. Le passage du mot écrit au mot parlé devient une solution, la scène constitue la synthèse où la parole devient active. Le concept d' »oraliture » posé par Paul Zumthor apparaît efficient : « Dans le texte poétique médiéval, l’énoncé est indissociable de l’énonciation et celle-ci implique des facteurs personnels ou situationnels partiellement étrangers au système linguistique. Gestes et voix constituent une certaine manière, pour le texte d’être présent. » (19) Koffi Kwahulé insiste sur un théâtre écrit pour être proféré, trouvant ses solutions dans un rapport intime au jazz dans l’écriture. Le rythme devient la respiration du texte, alliant absence et présence dans un équilibre expérimental. Les voix résonnent et se font écho dans une recherche axée sur la choralité. Les voix sont invitées à se chercher sans indication précise de l’auteur comme en témoigne l’absence de nom de personnage dans Misterioso 119, les blancs typographiques de Jaz sont des invitations à réfléchir le souffle du dire avec précaution. Chez Sony, la fougue de la parole est une revendication ininterrompue de sa nécessité comme il le dit : « L’homme n’a que les mots pour dire ce que les mots ne savent pas dire. Que les mots pour exister. » (20).
Alors la truculence se trouve synthétisée dans cet irrépressible besoin des mots à exister et à être dit. L’urgence et l’aspect impérieux de ces écritures rendent le poète essentiel plaçant chaque homme devant sa « mention d’humain » comme l’évoque Sony : « L’homme est finalement trop beau pour qu’on le néglige.(…)Parce que la mention d’humain est tellement sale qu’elle ne revient qu’aux volontaires. Volontaire à la condition d’homme. Qui veut ? Et surtout, qui dit mieux ? » (21). Koffi Kwahulé semble continuer sa réflexion quelques années plus tard quand il énonce : « Dans mes pièces, c’est toute la communauté qui est le choeur ; nous sommes face au chœur du monde, au chant du monde, toujours. (…) Ce chœur dit un monde postbabylonien. « Post » parce que pour moi Babylone n’est pas un échec. Le mythe de la tour de Babel dit le désir de parler la même langue. Le postbabylonisme affirme la nécessité de parler des langues différentes, de construire un édifice unique, commun, dans la diversité de nos langues. » (22)
Les écritures truculentes de Sony Labou Tansi à Koffi Kwahulé portent finalement une vision profondément humaniste du monde, entre plaisir et difficulté d’être ensemble, marquant l’acceptation du simple passage de l’homme sur terre.

1. France 24, http://www.france24.com, interview de Koffi Kwahulé « Koffi Kwahulé, dramaturge de la violence », 4 mars 2008.
2. Robert, Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, tome 3, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2006.
3. Sony Labou Tansi, Le Trou, in Théâtre 3 : Monologue d’or et noces d’argent, suivi de Le Trou, Éditions Lansman, 1998, p.61.
4. Bakthine Mikhaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Age et sous la Renaissance, trad. du russe Andrée Robel, Gallimard, 1970, p.35.
5. Kwahulé Koffi, Big Shoot, Editions Théâtrales, Montreuil-sous-Bois, 2000, p.9-10.
6. Kwahulé Koffi, Il nous faut l’Amérique, Acoria, Paris, p.18.
7. Sony Labou Tansi, Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, Lansman, Carnières, 1995, p.40.
8. Sony Labou Tansi, Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent, Lansman, Carnières, 1995, p.25.
9. Idem, p.31.
10. Philippe Ivernel, « Politique, la farce ? », in La farce, un genre médiéval pour aujourd’hui ?, études réunies par Bernard Faivre, Etudes théâtrales n°14, Bruxelles, 1999, p.55-56.
11. Sony Labou Tansi, « Sept poèmes pour Brazzaville » in L’acte de respirer, Poésie, vol.2, Revue Noire Editions, Paris, 2005, p.207.
12. Koffi Kwahulé, Brasserie, Editions Théâtrales, Montreuil-sous-Bois, 2006, p.27.
13. Koffi Kwahulé, Brasserie, p.37.
14. Koffi Kwahulé et Gilles Mouëllic, Frères de son, Editions théâtrales, Montreuil-sous-Bois, 2007, p.30.
15. Sony Labou Tansi, Le Trou, p.57.
16. Koffi Kwahulé, Blue-S-Cat, Editions Théâtrales, Montreuil-sous-Bois, p.88.
17. Artaud Antonin, « Trois conférences prononcées à l’université de Mexico, message révolutionnaire » in Surréalisme et révolution, Gallimard, Paris, 1971, p.18.
18. Sony Labou Tansi, Le Trou, p.60.
19. Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Seuil, Paris, 1972, p.37.
20. Sony Labou Tansi, Les Sept Solitudes de Lorsa Lopez, Le Seuil, 1985, p. 147-148.
21. Sony Labou Tansi, Introduction à l’Acte de respirer, op. cit., p.20.
22. Koffi Kwahulé et Gilles Mouëllic, Frères de son, op.cit., p.71.
///Article N° : 8800

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