Danse contemporaine en Afrique : état des lieux, état des vœux

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L’Atelier Danse qui s’est tenu lors du colloque « Territoires de la création » en septembre dernier à Lille a tenté de faire le point sur les besoins de la danse contemporaine africaine en matière de formation, de production et de diffusion mais peu de mesures concrètes ont été proposées.

En tant que directrice du récent Centre international de danses traditionnelles et contemporaines de Toubab Dialaw, à une cinquantaine de kilomètres de Dakar, il est revenu à Germaine Acogny de dresser le bilan et les besoins en matière de formation. Après avoir rappelé la rareté des structures de formation en danse en Afrique, la chorégraphe sénégalaise a annoncé la mise en place d’un partenariat entre son centre et la toute nouvelle structure qui vient d’être inaugurée à Ouagadougou, dirigée par les chorégraphes Salia Sanon et Seydou Boro. Le centre de Toubab Dialaw devrait se consacrer à la formation des danseurs et chorégraphes; celui de la capitale burtkinabée s’ouvrant davantage à la création. A la question de savoir si ce partenariat informel envisageait de s’étendre à d’autres structures de formation existant déjà dans la sous-région (à Abidjan, à Lomé…), ou mieux encore, de se structurer officiellement en une fédération des centres africains de formation chorégraphique, il n’a pas été répondu. Il semble que toute idée de réseau ou de fédération ait fait long feu. Après maintes tentatives passées qui ont échoué à réunir les grands noms de la danse contemporaine africaine, la volonté de créer une structure collective qui soit capable de coordonner et de renforcer différentes unités ne semble plus à l’ordre du jour.
L’ex-directrice de Mudra Afrique (centre de formation panafricain fondé par Maurice Béjart à Dakar) a par ailleurs plaidé pour un enseignement de la danse à l’école. Fidèle à son cheval de bataille, Germaine Acogny a rappelé l’importance de l’enseignement des danses dites « traditionnelles » dont certaines commencent à disparaître. A la notion quelque peu flottante de tradition, Souleymane Koly préfère celle « d’ancrage dans (le) patrimoine ». Précisant : « la tradition, ce n’est pas forcément les ancêtres. La tradition peut être moderne. Tout dépend du regard que nous portons sur elle. L’important, c’est que les jeunes danseurs ne se coupent pas de leur patrimoine parce qu’ils croient qu’ils doivent le faire pour pouvoir aller en Europe, pour faire une danse qui plaît à l’Europe. » Et le directeur de l’ensemble Kotéba d’Abidjan, n’ayant pas peur de souligner l’ambiguïté de sa position, d’ajouter : « Mais comment s’ancrer dans le patrimoine ? Aujourd’hui, en Guinée ou en Côte d’Ivoire, il n’y a plus beaucoup de gens capables de transmettre cet héritage… »
Sans coordination structurée et indépendante, on peut se demander à quel développement peuvent réellement prétendre les centres de formation chorégraphique en Afrique. Ne se condamnent-ils pas à une dangereuse dépendance au bon vouloir des bailleurs de fonds du Nord ? L’atelier n’a pas évoqué le cas des jeunes chorégraphes africains, pleins de talent, qui aujourd’hui ont le choix entre s’exiler en Occident afin de continuer à développer leur compétence ou rester dans leur pays où ils peinent à survivre. Nombre d’entre eux choisissent pourtant de demeurer chez eux pour aider au développement de la danse. La plupart ne trouvent malheureusement aucun soutien qui leur permette de persévérer dans leur choix.
Un manque cruel de producteurs et d’administrateurs
Le deuxième volet de l’Atelier s’axait autour des problèmes liés à la production. Quels sont les freins à la production des ouvres chorégraphiques ? Quelles solutions peuvent être envisagées ? Michel Chialvo, chargé de production au Centre chorégraphique de Montpellier  (« la Rolls Royce » des centres chorégraphiques nationaux comme l’a surnommé le modérateur de la table ronde, M. Daniel Conrod) et manager de la compagnie Salia Nï Seydou (fondée par Salia Sanon et Seydou Boro, tous deux danseurs dans la compagnie de Mathilde Monnier, directrice du centre de Montpellier, et nouveaux directeurs du centre de formation de Ouagadougou… Comme quoi, si les réseaux officiels ne fonctionnent pas, les officieux, eux, marchent plutôt bien…) Michel Chialvo, donc, a dressé un sombre, mais ô combien réaliste tableau des piètres conditions de travail et de production de la plupart des compagnies de danse contemporaine en Afrique. En résumé : pas de locaux adaptés, pas de moyens financiers, pas ou peu d’accès à l’information et à la documentation, et une absence cruelle de producteurs et d’administrateurs compétents. Rude état des lieux que personne n’ignore.
Vincent Koala, directeur de l’association burkinabée Odas Africa (Organisation de dynamisation des arts et spectacles en Afrique) et co-administrateur de la compagnie Salia Nï Seydou a insisté, quant à lui, sur l’urgence de l’aide à la structuration des compagnies de danse contemporaine en Afrique. « Jusqu’à présent, toutes sont des associations, a-t-il rappelé. Il n’en existe pas une qui soit une entreprise privée. La plupart ne possède pas assez d’argent pour ouvrir ne serait-ce qu’un compte bancaire… De surcroît, il y a très peu de producteurs compétents en Afrique. C’est un métier relativement neuf chez nous, qui a à peine dix ans. Les artistes se retrouvent donc, de fait, des producteurs. Or, ils ne sont absolument pas formés pour cela » Vincent Koala propose que les prochaines Rencontres de la création chorégraphique d’Afrique prennent en compte ce besoin urgent de formation à la production et à l’administration culturelles. « Il faudrait faire que chaque compagnie sélectionnée bénéficie d’un véritable administrateur qui la suive et qui puisse prendre en charge tout ce qui concerne les contrats, les assurances, les fiches techniques, les mailings, les dossiers de presse, etc. »
Vincent Koala a souligné le vide juridique et étatique sur le statut de l’artiste qui existe dans la plupart des pays africains. Tant que ce flou persistera, la structuration des compagnies n’en sera que plus difficile. S’il est vrai que les subventions des habituels bailleurs de fonds (AFAA; Agence de la Francophonie…) consacrées à la production de spectacles se rétrécissent comme peau de chagrin depuis quelques années, parallèlement, il semble se mettre en place de plus en plus de co-productions entre structures privées du Nord et du Sud. Le jeune chorégraphe sud-africain Boyzie Cekwana souhaitait ainsi voir se développer des partenariats non seulement entre théâtres du Sud et du Nord mais aussi entre scènes d’une même région d’Afrique. À l’image d’un projet avec le théâtre du Séchoir à la Réunion auquel il participe.
Diffusion : revenir aux réalités du terrain
Le dernier volet de l’atelier s’est attaché à la question des circuits de diffusion des oeuvres chorégraphiques. Si les subventions à la création se cessent de fondre, celles à la diffusion paraissent moins touchées. Elles n’en demeurent pas moins controversées. Souleymane Koly s’est chargé de rappeler : « Une tournée est aujourd’hui une condition sine qua none pour qu’une compagnie de danse africaine contemporaine existe. Or, à part les centres culturels français et quelques rares lieux, il n’existe pas d’autres lieux de diffusion en Afrique. Il faudrait que nous revenions aux réalités du terrain. Que les aides soient conditionnées à la durée du travail sur le terrain. Et qu’elles aident les jeunes créateurs à se produire chez eux. »
Voilà une fois de plus exposés les besoins les plus urgents des compagnies de danse contemporaine en Afrique – et bien peu de propositions concrètes. Un deuxième atelier aurait été nécessaire, mais ces rencontres étaient-elles vraiment le cadre approprié ?

Les intervenants de l’atelier Danse :
o Germaine Acogny : danseuse et chorégraphe sénégalaise, directrice du Centre international de danses traditionnelles et contemporaines africaines de Toubab Dialaw, directrice artistique des Rencontres de la création chorégraphique d’Afrique en 1997 et 1999.
o Souleymane Koly : metteur en scène et chorégraphe guinéen établi en Côte d’Ivoire, fondateur et directeur du célèbre ensemble Kotéba d’Abidjan.
o Boyzie Cekwana : jeune chorégraphe de la compagnie sud-africaine The Floating Outfit Project, premier prix aux dernières Rencontres de la création chorégraphique d’Afrique à Antananarivo (en novembre 1999).
o Jay Pather, chorégraphe sud-africain.
o Vincent Koala : administrateur culturel burkinabé, fondateur et directeur d’Odas Africa (Organisation de dynamisation des arts et spectacles en Afrique).
o Michel Chialvo : chargé de production au Centre chorégraphique national de Montpellier.///Article N° : 1617

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