Dear Mandela, de Dara Kell et Christopher Nizza

Les enfants de Mandela contre l'ANC

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En Afrique du Sud, Mandela n’est pas un homme, c’est un dieu. C’est ainsi que un jeune activiste dit en début de film qu’il est comme Jésus-Christ. Et qu’il voudrait lui demander ce qu’il pense de ce qui se passe aujourd’hui dans son pays, lui qui avait promis une maison pour tous et qui a fait marquer dans la constitution que personne ne serait évincé sans être relogé. Des archives de ses discours électoraux le prouvent mais d’autres archives télévisuelles rendent compte de violentes répressions policières contre ceux qui demandent de meilleures conditions de logement.
C’est autour de cette contradiction de la Nouvelle Afrique du Sud que tourne ce documentaire, clairement engagé aux côtés des pauvres qui s’organisent et se battent autour des questions de logement, et qui pour cela s’opposent au gouvernement et donc au pouvoir de l’ANC. Il faut dire que les supporters de ce mouvement des mal logés, Abahlali baseMjondolo, se réunissent avec leurs ordinateurs sur la table mais à la lumière des bougies dans des bidonvilles sans électricité. Ils portent des t-shirts rouges où est inscrit « The Movement of the Poors » (le mouvement des pauvres), donc dans la droite ligne du programme de Mandela, la lutte contre la pauvreté. Mais les compromis avec le pouvoir blanc pour ne pas casser l’économie sud-africaine ont repoussé à plus tard cet objectif premier et la nouvelle bourgeoisie noire s’en contente très bien. À plusieurs reprises, cette société à double vitesse est montrée du doigt et de la caméra, qui surplombe volontiers quartiers des affaires et bidonvilles pour marquer la différence. Les points presse ou d’information des habitants gouvernementaux, dont rendent compte les documentaristes à travers les questions d’un journaliste investigateur, pointent la cruelle distance qui s’est établie entre les représentants gouvernementaux et les habitants.
Un peu de docu-fiction pour montrer que la constitution interdit les expulsions sans relogement et le nœud de la lutte est posé : la faire respecter, donc avoir la loi pour soi. Or en 2008 (le film est tourné de 2007 à 2010), un arrêté intitulé Slums Act, qui vise à éradiquer les bidonvilles, autorise les destructions. Quand ils sont relogés, les habitants sont parqués dans des containers invivables dans des camps éloignés des centres urbains où se trouve le travail, et où ils ne devraient que transiter mais où ils croupissent sur la durée. La lutte d’Abahlali baseMjondolo sera dès lors de faire interdire cette loi comme anticonstitutionnelle par la plus haute cour du pays à Johannesburg. Saisie dans les règles grâce au soutien d’un avocat engagé, elle mettra des mois à statuer mais rendra un jugement décisif : cette victoire renforce le mouvement mais elle arrive trop tard pour empêcher le drame. Une nuit, un commando vient saccager et brûler les baraquements, notamment ceux des activistes du mouvement. Il y aura deux morts. Lors de l’enquête, des militants du mouvement sont arrêtés, bon moyen de faire croire à un mouvement de criminels, ce que renforcent les manifestations de militants ANC, organisées grâce à des bus affrétés par le parti pour faire venir les accusateurs. Menacés de mort, les dirigeants du mouvement doivent se cacher, hébergés par des étudiants.
Il faut dire que dans un meeting, S’Bu Zikode, le jeune président du mouvement, propose des slogans contre l’ANC : un silence gêné lui répond – il s’attaque là à un tabou. Dans la Nouvelle Afrique du Sud, il est des choses qui restent sacrées, même si leurs pratiques vont à l’encontre de ce qu’ils défendaient. Ces enfants de Mandela qui défendent les plus pauvres ne sont donc pas les bienvenus.
Tourné au jour le jour dans l’urgence, le film ne table pas sur une esthétique originale mais sur une construction habile pour porter son sujet et assumer ses choix : mise en exergue du vécu de trois activistes mais pas seulement des dirigeants, suivi linéaire du combat constitutionnel et des troubles, équilibre entre parole et déroulement de l’action, commentaire limité à quelques encarts. La clarté du point de vue contourne toute manipulation du spectateur qui sait à quoi s’en tenir. On retrouve ainsi en Afrique du Sud le combat universel des pauvres fatigués des fausses promesses, forcés de se prendre en main pour résister, mais dans le contexte d’un pays où cela s’apparente à un manque de transmission. Un activiste dépose ainsi dans l’urne un bulletin blanc où il inscrit « No Land, no House, No Vote ! » (ni terre ni logement : pas de vote !). Le générique où l’on voit un père aider un enfant à rassembler des branchages le poétise, de même que les vagues de la mer en fin de film sont là pour rappeler que ce combat dépasse ceux qui le mènent et donne un sens à leur vie.

///Article N° : 11415

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