Dear White People, de Justin Simien

Plus ça change, plus c'est la même chose

Print Friendly, PDF & Email

Programmé pour sortir sur les écrans français le 25 mars et en DVD le 18 aout 2015, Dear White People met sur le mode burlesque le doigt où ça fait mal dans le melting pot américain…

« Chers Blancs, je vous en prie, arrêtez de me toucher les cheveux, on n’est pas à la ferme des animaux »
Une métisse énervée de la radio, un gay déconnecté de tout milieu, un apprenti black panther hacker à ses heures, un fils à papa qui fume en cachette, une fille du ghetto qui en fait trop, les étudiants noirs de Winchester (1) sont peu nombreux, mais ils sont originaux.
Voilà que Samantha, à la tête d’un groupe qu’on pourrait dire « séparatiste », s’insurge contre l’obligation de brassage entre les maisons d’étudiants implantées sur le campus. L’argument est simple : les étudiants blancs ont le bras long et pourront continuer de résider où ils le désirent alors que les étudiants noirs, outre qu’ils manquent de tels soutiens, se feront rapidement remarquer s’ils ne se mélangent pas. Cette nouvelle politique n’est donc qu’une mascarade pour démanteler leur réseau pourtant pas plus « communautaire » que les autres. Pourquoi vouloir vivre ensemble ? Les scènes de présentation de Coco, la belle aux lentilles de contact bleues, et de Lionel, fan de Star Trek et aussi branché que James Baldwin, montrent que pour vivre avec les Blancs, il faut accepter de se faire sans cesse toucher les cheveux ! Autrement dit, être réduit à son appartenance communautaire, que ce soit de manière bienveillante ou carrément violente.
Là où ça se corse, c’est que Coco rejette ses racines populaires tandis que Lionel n’est pas tellement mieux accepté parmi les Noirs que parmi les Blancs, aussi homophobes les uns que les autres. Quant à la communauté LGBT, elle lui semble tout aussi étriquée. Alors que Lionel se lamente sur son sort de tête de Turc, un panoramique accompagne son regard sur un jeune Noir efféminé, manches de tee-shirt retroussées, qui fait la bise à un groupe de Blancs gays et lesbiennes avant de se diriger vers ses amis noirs pour lesquels il change de démarche et redescend ses manches avant de leur taper dans les mains en se déhanchant comme un black et non plus comme un pédé. Transformation admirable dont Lionel est incapable et qui ressemble en tout point aux compromis que tente Coco pour se faire accepter d’une maison de riches demoiselles aucunement racistes puisque leur cheffe, Sofia Fletcher, sort avec le fils du doyen de l’université, Troy Fairbanks, lui-même chef de la maison africaine américaine Armstrong/Parker (2). Mais comme Troy, Coco doit supporter la fascination malsaine de Sofia pour accéder au sérail.
« Sortir avec une personne noire pour faire chier tes parents est une forme de racisme »
La relation entre Troy est Sofia rejoue des intérêts qui remontent au moins à la génération précédente. Ils se connaissent depuis l’enfance puisque leurs pères se sont rencontrés à l’université où, à en croire le doyen Fairbanks, Fletcher était un cancre qui a manqué d’être recalé aux examens. Aujourd’hui, c’est le Blanc qui est président, indépendamment de leurs capacités intellectuelles illustrées à plusieurs occasions.
« Chers Blancs, vous avez l’exclusivité des country clubs, nous on a l’exclusivité du mot nigger« 
Sofia a un frère, Kurt Fletcher, à la tête du journal satirique de l’école qui va organiser une soirée déguisée d’un goût des plus douteux où chacun est invité à « libérer le nègre qui est en lui. » Lors d’une des confrontations centrale entre Samantha (qui a lancé l’émission « Dear White People » du titre) et Kurt, celle-ci le charge de délivrer un message au « maître » de la « plantation », son père, faisant directement le parallèle avec l’esclavage qui sous-tend les relations raciales aux Etats-Unis aujourd’hui.
C’est en effet dans la marre « post-raciale » de la présidence Obama que Justin Simien jette son pavé avec des personnages conscients d’être surdéterminés par des stéréotypes qu’ils rejettent. Samantha, charismatique métisse qui lance les hostilités en se présentant à la tête de la maison Armstrong/Parker pour en préserver l’identité, cache elle-même un secret qui compromet son engagement à la cause noire. Ou bien est-ce que le Blanc avec qui elle couche n’est pas l’ennemi qu’elle semble dépeindre dans ses émissions ? Et ses douleurs d’enfance expliquent-elles ses obsessions adultes ?
Un homosexuel noir ou une femme métisse qui a deux amants, l’un noir, l’autre blanc, autant d’identités complexes pour des personnages confrontés à des rejets multiples. Comme le reflète cette scène d’observation du gay noir qui a tout compris, tout est performance, qu’on soit noir, homo ou n’importe qui. Les vêtements, l’accent, les coiffures, le vocabulaire, tout contribue à déterminer dans quelle case chacun sera inconfortablement circonscrit. Tandis que Lionel navigue dans l’indétermination identitaire, Coco exploite à contre cœur le potentiel de son capital ghetto pour être choisie par le recruteur de téléréalité qui sévit sur le campus. L’intégration sociale passe donc par une certaine conformité aux attentes, comme suggéré par la nouvelle coupe de cheveux de Lionel qui devrait lui rendre la vie plus facile.
« Le minimum d’amis noirs requis pour ne pas passer pour raciste vient de passer de un à deux. Désolée, mais Tyrone, ton fournisseur de weed, ne compte pas. »
Justin Simien adopte le ton d’un Spike Lee dans le style d’un Robert Townsend. Alors que le film ne cesse de fustiger la représentation des Noirs dans la culture populaire, Dear White People est avant tout un hommage au cinéma noir indépendant qui, à la fin des années quatre-vingt, lança une vague de films sur la situation des Noirs aux Etats-Unis. Les parallèles sont multiples avec Do The Right Thing (1989) et Hollywood Shuffle (1987), deux films auxquels Simien se réfère volontiers dans ses interviews. Dear White People reprend le ton de confrontation permanente de Do The Right Thing qui exposait les relations raciales explosives d’un quartier de Brooklyn jusqu’à la confrontation finale. Une réplique du film fait d’ailleurs référence au nom de la maison de production de Spike Lee, « 40 acres et une mule ».
Dear White People reprend certains thèmes centraux du film de Spike Lee sur son expérience dans une université noire, School Daze, notamment l’expression politique du cheveu, lisse ou naturel. Digne d’un film des frères Wayans, l’afro bien mal entretenue du personnage principal de Dear White People, portée à l’affiche, se moque d’emblée de ce signe extérieur de conscience raciale tout en admettant son importance. Comme dans Hollywood Shuffle, le ton est constamment satirique. Le héros d’Hollywood Shuffle, un jeune acteur noir accablé par la politique de recrutement à Hollywood, se métamorphose ainsi en une série de stéréotypes tels que l’esclave servile, le comique benêt ou enfin, Eddie Murphy. De même, Dear White People fait constamment le rapprochement entre racisme et représentation, qu’il s’agisse des Gremlins, des films de Tyler Perry ou de la trilogie des Big Momma. Dans Do The Right Thing, Mookie (Spike Lee) reprend Pino (John Turturro), ouvertement raciste, sur son admiration de stars noires telles que Prince, Magic Johnson ou encore une fois Eddie Murphy (« ils sont noirs, mais c’est pas pareil »), scène immédiatement suivie d’une litanie d’insultes délivrées par les différents habitants du quartier appartenant à toutes les catégories ethniques. Certaines prises de parole en regard caméra rendent directement hommage au style de Spike Lee, comme la scène de la bande-annonce où des étudiants noirs se plaignent des rôles réservés aux Noirs au cinéma. Le pauvre guichetier blanc reçoit leurs doléances avec une certaine perplexité. La soirée déguisée que même le timide Lionel ne pourra pas supporter est dans la lignée directe des spectacles en blackface de la tradition théâtrale et cinématographique américaine dont le film de Spike Lee, Bamboozled, est une étude virulente. Pas de réflexion sur le racisme sans réflexion sur la représentation des Noirs dans la culture populaire.
Simien met en scène une multitude de personnages de tous horizons. Ils pourraient d’ailleurs faire voltiger les stéréotypes s’ils avaient chacun le temps d’être développés, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment concernant les personnages ni blancs ni noirs. Une jeune fille asiatique, par exemple, apparaît plusieurs fois sans avoir l’occasion de dévoiler son nom. Comme Spike Lee, on a parfois l’impression que Justin Simien voudrait tout dire et faire parler tout le monde, ce qui pointe les absents et le soumet à la critique des diverses minorités, surtout quand le seul personnage capable de prendre du recul est le blanc-bec avec qui couche Samantha. En tant que chargé de TD, sans doute est-il plus mature que ses étudiants en pleine recherche identitaire ? En effet, ce qui ressort avant tout de la comédie de Justin Simien, au-delà des one-liners qui pointent les hypocrisies de l’ère post-raciale, c’est que la question n’est pas simple et qu’elle s’exprime le plus souvent dans la violence. Comme Spike Lee, Simien refuse de mettre en scène des personnages véritablement attachants, préférant les bourrer de contradictions et leur assigner des actes qui laissent le public confus. Chacun manipule ou est manipulé, notamment par la séduction homo comme hétéro.
Il est indéniable que Justin Simien, indépendant, noir et homosexuel, emprunte des voies creusées par ses aînés et même leurs méthodes de financement, mise au goût du jour. Alors que Spike Lee a financé son premier film grâce au soutien de sa famille et de sa communauté et que Robert Townsend a investi de l’argent qu’il n’avait pas en cartes de crédit, Justin Simien a lancé son film sur Indiegogo avec une bande-annonce et des extraits de l’émission « Dear White People ». A noter que l’image reflète l’accès plus direct aux moyens de production, ne serait-ce que par le soutien de la productrice africaine américaine Stephanie Allain qui s’est justement fait les dents sur Boyz ‘N The Hood (1991), Poetic Justice (1993) ou I Like It Like That (1994), dans le sillon des succès de Spike Lee et Robert Townsend. Le cinéma et le monde auraient-ils changé ? Par certains aspects, bien sûr, mais ce que semble dire Simien, c’est que si les stéréotypes ont la peau dure, c’est aussi parce que chacun s’en drape. Pourquoi Sam se cache-t-elle de sortir avec un Blanc ? Pourquoi Troy n’assume-t-il pas qu’il regarde Star Trek ? Enfin, pourquoi les Blancs sont-ils autant fascinés par la culture du ghetto, pourquoi veulent-ils être noirs ? Si Justin Simien invite tout le monde à se poser la question, c’est peut-être parce qu’il n’a pas la réponse, comme le suggèrent les photos du générique qui révèlent que ces soirées déguisées ont bel et bien lieu dans certaines universités américaines ? Le choc du générique final rappelle encore Spike Lee : pas de morale prémâchée, le débat peut commencer.

1. L’université de Winchester n’existe pas aux Etats-Unis, c’est en revanche une ville d’Angleterre et tout dans son fonctionnement et son architecture rappelle les universités privées d’élite (Ivy League) de la Nouvelle Angleterre.
2. Probablement en hommage aux jazzmen Louis Armstrong et Charlie Parker.
///Article N° : 12764

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution
© Happiness Distribution





Laisser un commentaire