Les habitués des soirées du Bal de l’Afrique enchantée connaissent bien Debademba. Le duo de choc, Mohamed Diaby et Abdoulaye Traoré revient avec un deuxième album : Souleymane.
L’un est jeune, grand et éloquent, un peu » faroteur » (1) aux entournures, comme on dit dans la ville où il a grandi : Abidjan. L’autre est un peu plus âgé, mesuré et discret de nature. Les deux ont bien roulé leur bosse dans les tréfonds de la musique. Le chanteur ivoirien Mohamed Diaby et le guitariste burkinabé Abdoulaye Traoré forment à eux deux la grande famille, Debademba en langue bambara. « Depuis toujours, je suis animé par l’envie de partager. » explique Abdoulaye Traoré. « Je ne suis pas dans l’ego. Dans la vie on ne peut rien faire tout seul. C’est ensemble qu’on crée. D’où l’idée de former cette famille. » Cette complicité, très filiale, est couronnée par l’album et la chanson Souleymane qui, comme une évidence, traite de la paternité : « C’est le nom de mon fils que j’ai du laisser à Abidjan. Il n’avait que sept mois. » s’attendrit Abdoulaye. « Je voulais lui faire un cadeau avec ce titre. Quand je rencontre un enfant je me dit, avec nostalgie, qu’il a le même âge que mon fils. C’est aussi le prénom de mon père, aujourd’hui décédé, qui était joueur de talking drum. » De son côté, son partenaire, le chanteur Mohamed Diaby a hérité d’une voix bouleversante et hypnotique, comme si une fée s’était penchée sur son berceau, sa mère en l’occurrence, la chanteuse griotte Coumba Kouyaté. Un don qu’Abdoulaye Traoré a immédiatement repéré : « Les guitaristes sont les arbitres des chanteurs. On juge leur prestation. Mohamed est jeune mais quand on entend sa voix on a l’impression qu’il a soixante ans d’expérience ! Il peut faire ce qu’il veut avec sa voix : monter, descendre ! » Sur Souleymane, Mohamed entonne des thèmes universels, qui prennent aux tripes l’auditeur. Peu importe que l’on comprenne ou non sa langue : « Je chante Touma, le moment. Chaque chose en son temps. Dema Il faut s’aider entre nous, garder l’espoir. Gnouma: bienfait n’est jamais perdu. Moko : l’être humain, l’homme peut être gentil comme cruel. » Pour réaliser cet album, aux colorations mandingues, jazz, arabo-andalouses, Mohamed et Abdoulaye ont puisé dans le vivier de talents de la diaspora africaine, pour la plupart, issus de l’orchestre des Mercenaires de l’Ambiance de Soro Solo et Vladimir Cagnolari : « On a des musiciens camerounais, maliens, béninois comme Fafa Ruffino, français… » indique Abdoulaye. « La musique est une même famille. Grâce à la musique, qu’on soit blancs ou noirs on est dans la même maison. »
Cette maison musicale, Abdoulaye la fréquente assidûment depuis ses quinze printemps, chez lui au village de Soin, près de Nuna, dans la province de Kossi, au Burkina Faso: « Je viens d’une famille musicale. Ma grande soeur était guitariste. C’est elle qui m’a incité à me tourner vers la musique. Elle m’a appris à jouer. En 1986, je l’ai accompagnée au Mali, où elle s’est mariée. En 1989, j’ai joué à Bobo-Dioulasso avec le grand Victor Démé. Deux ans plus tard, je suis parti à Abidjan, avec mon compatriote, le percussionniste Adama Dramé. Cette expérience m’a beaucoup apporté. » En 2000, Abdoulaye s’installe à Paris, dans le sillage d’une tournée avec trois chanteuses et danseuses guinéennes, vivant à Abidjan : les Go de Kotéba.
C’est aussi à Abidjan, plate-forme de la culture en Afrique de l’Ouest, que Mohamed Diaby fait ses premières gammes, chantant des cantiques religieux musulmans : Zikri. « J’étais très sollicité pour les baptêmes, les mariages, dans des quartiers populaires comme Treichville ou Yopougon. Je faisais des reprises de Tiken Jah Fakoly, Sekouba Bambino, Kandia Kouyaté, Babani Koné, Affou Keita… J’avais créé un groupe, le Watercolour Jazz. On faisait des instruments à partir de bidons d’huile. On mettait de l’eau dans une grande bassine, en ajoutant des calebasses. Un mélange appelé diedoundou. Diedoundou, piano, ngoni. C’était un sacré son ! »
Un jour, un ami malien, impressionné par ses capacités vocales lui dit : « C’est sûr que si tu vas au Mali tu seras très demandé. » Je suis parti. Mon ami m’a hébergé. Je me suis inscrit à l’émission de télé-crochet Case Sanga. Ça a abouti au single : Zouloukalanani. « La chanteuse Oumou Sangaré, qui était marraine de l’émission, m’a aidé et permis de rencontrer des artistes locaux susceptibles de m’aider. »
C’est à Paris que le tandem finit par se rencontrer, dans des circonstances inattendues : « La chanteuse Fatoumata Diawara m’a fait visiter un de ces amis malade à l’Hôpital Saint-Louis. J’ai vu ce monsieur couché sur son lit, incapable de rien faire. Mais il ne pensait qu’à jouer avec sa guitare. Il avait entendu parler de moi par ma mère Coumba Kouyaté. Ensuite on s’est revus chez lui, rue Saint-Marthe. On buvait du thé. On travaillait. Il m’a présenté son morceau Sidebemonebo : Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir en bambara, inspiré des moments difficiles qu’Abdoulaye a traversé. « Un titre en particulier va définitivement sceller leur collaboration : Agnakamina « Mohamed m’a bluffé. » confie Abdoulaye. « Quand je jouais la version instrumentale, j’avais du mal à trouver un interprète. Même Mohamed était réticent, au début, à cause du tempo. Je lui ai dit : « Essaye. Tu vas y arriver ! » Il a posé un texte sur la guerre civile, sur les leaders qui ne pensent qu’à remplir leur ventre et ça a marché »
En 2010, les deux compères font une audition pour intégrer Le Bal de l’Afrique enchantée, les soirées des animateurs de France Inter Soro et Vlad. La suite on la connaît. Un carton en live, deux albums, et un triomphe au fameux festival du Womex. « On a épaté tout le monde ! » s’enhardit Mohamed. La grande famille n’en finit pas de s’étendre…
[Debademba] sera en concert le 3 décembre au Café de la Danse à Paris
(1) frimeur en nouchi, argot ivoirien///Article N° : 11897