Défenseur des Droits : un an, quel bilan ?

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Il y a un an, en juin 2011, le Défenseur des Droits prenait ses fonctions. Autorité constitutionnelle indépendante, il regroupe alors les missions du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Création de Nicolas Sarkozy, le défenseur inspire d’abord beaucoup de réticences aux associations militantes. Aujourd’hui, quel est son bilan ? Quels chantiers restent à mener ? Enquête.

En regroupant les autorités indépendantes dans une structure élevée au rang constitutionnel, la France a rejoint quelques États membres de l’Union européenne : l’Espagne et son Defensor del pueblo, la Suède et la Finlande et leurs Ombudsmen, ou encore le Portugal et son Provedor de justiça.
Dominique Baudis est le Défenseur des droits français. Journaliste, maire de Toulouse, président de région, parlementaire, président du CSA puis de l’Institut du Monde Arabe, l’homme a porté de multiples casquettes. Aujourd’hui, 411 délégués l’assistent sur le terrain, partout en France, pour accueillir le public dans 650 structures de proximité comme les Maisons de justice et du droit, les Maisons de service public, les points d’accès au droit ou les centres de privation de liberté. Qu’il soit issu du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants ou de la Halde, chaque délégué est en mesure de statuer sur la compétence ou non du Défenseur des droits pour traiter un dossier reçu. C’est le principe du guichet unique mis en place au cours de cette année. Mais dans un second temps il garde sa spécificité dans son traitement effectif. À l’heure actuelle, 80 % de l’activité des délégués concerne la médiation c’est-à-dire des insatisfactions vis-à-vis des administrations publiques, 15 % la lutte contre les discriminations, 5 % le droit des enfants. La déontologie de la sécurité, qui implique les forces de l’ordre, est traitée à part, et elle concerne environ 1 % des dossiers traités.
« L’indépendance se prouve tous les jours »
Lors de la création du Défenseur des droits, les réticences de la sphère associative étaient nombreuses. Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France, évoquait même « un défenseur des droits au rabais ». Des réactions qui s’expliquent, en partie, par le contexte de création de l’instance, comme l’explique William Bourdon, avocat spécialisé dans la lutte contre les discriminations : « Il faut comprendre la méfiance qu’a pu inspirer ce nouveau Défenseur des droits, à la fin d’un quinquennat Sarkozy marqué par une attaque généralisée contre tous les contre-pouvoirs : des juges au parlement en passant par l’Europe ou la Presse… Les militants ont perçu cette nouvelle instance comme une opération de communication, sans réelle cohérence politique. Ils ont avant tout critiqué le manque d’indépendance du Défenseur des droits, bien plus faible que les autres Ombudsmen en Europe ».
En Espagne, le Defensor del pueblo est élu par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes. En France, c’est l’inverse : il est nommé par le président de la République, et le Parlement peut seulement bloquer la nomination, par trois cinquièmes des voix. Dans un avis du 4 février 2010, la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) critiquait ce mode de nomination, comme l’explique une de ses membres, Catherine Teitgen-Colly : « Par rapport aux institutions existantes, le Défenseur des droits a autorité sur toutes les autres ; c’est pourquoi il aurait fallu des garanties supplémentaires dans son mode de nomination. D’autant que les adjoints, chargés des autorités (Halde, CNDS, etc.), sont nommés par le Premier ministre sur proposition du Défenseur lui-même. Autrement dit, si le Défenseur est sous ordre du politique – ce qui peut arriver -, cela pose problème ».
François Hollande ne s’y est pas trompé. Le 11 avril 2012, alors qu’il était en campagne, il a adressé une lettre à Amnesty International, afin de prendre des engagements sur cette question : « Il sera nécessaire de revoir le fonctionnement de cette institution, qui a eu pour premier effet d’affaiblir en les fusionnant la CNDS, la Halde et le Défenseur des enfants. Si elle devait perdurer dans sa forme actuelle, nous devrions commencer par en garantir l’indépendance, l’impartialité et la transparence, ce qui supposera a minima une réforme des modalités de nomination du Défenseur et de ses adjoints et une publicité des rapports des collèges ».
Dominique Baudis, lui, considère que l’indépendance doit se prouver tous les jours : « Qu’on me dise si dans telle ou telle circonstance j’ai manqué d’indépendance. C’est ainsi que s’apprécient les choses et non pas sur des préconçus ou des préjugés contre lesquels l’institution lutte d’ailleurs au quotidien dans ses missions. Le Défenseur des droits est plus indépendant, car la décision du pouvoir exécutif est partagée avec le Parlement : le Président de la République ne m’a pas nommé pas de sa seule décision, il en a informé les deux assemblées, qui m’ont convoqué à une audition. J’ai parlé devant les députés, devant les sénateurs, ils ont posé des questions et ont voté à bulletin secret, en leur âme et conscience. J’ai obtenu les trois quarts des suffrages exprimés. Nouveauté par rapport aux instances antérieures, le Défenseur des droits et ses adjoints ne peuvent exercer aucune autre activité. Cela paraît aller de soi, mais avant, on pouvait être Médiateur de la République et maire d’une commune. On pouvait présider la Halde et siéger dans le conseil d’administration d’une grande entreprise. Aujourd’hui, le conflit d’intérêt n’est plus possible ».
Des pouvoirs d’intervention supplémentaires
À l’attaque concernant la fragilisation des actions des autorités précédentes, force est de constater que la nouvelle institution dispose de moyens élargis. L’éventail de ses possibilités d’intervention va de la médiation, d’une conciliation informelle à une intervention dans une procédure contentieuse devant une juridiction pénale civile ou administrative en déposant des observations auprès de la juridiction.
Dominique Baudis détaille : « Nous pouvons procéder à des auditions, à des déplacements sur place, et nous avons la possibilité d’aller en justice. Ce qui était déjà le cas de la Halde, mais pas du Défenseur des enfants, ni de la CNDS ou du Médiateur de la République ». Mais l’action en justice reste le dernier recours, « le but d’une institution comme la nôtre est justement de résoudre des affaires plus rapidement et à moindre coût que la procédure judiciaire, lorsqu’elle n’est pas absolument nécessaire. Bien sûr, si la personne souhaite engager une procédure judiciaire, nous ne cherchons pas à l’en dissuader, nous l’accompagnons dans sa démarche lorsqu’on la considère fondée, justifiée », insiste le Défenseur des droits.
Il illustre immédiatement ce renforcement des moyens d’intervention : « Récemment, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’enfermement des enfants en rétention administrative. Suite à cette condamnation, j’ai exercé une forte pression sur les pouvoirs publics. Depuis début février, nous avons effectué une trentaine d’interventions dans les centres de rétention administratifs pour que les familles soient libérées. Le Défenseur des enfants n’avait pas le droit d’entrer dans les centres de rétention administratifs. Nous, on ne peut pas nous refuser l’accès. J’ai demandé au ministre de l’Intérieur de donner des instructions aux préfets pour qu’on ne place plus les enfants dans les centres de rétention administratifs. Dans son allocution générale, le premier ministre a d’ailleurs indiqué qu’il n’y aurait plus de familles placées en centre de rétention. Il faut maintenant que des circulaires sont envoyées ».
L’instance n’est donc pas à opposer à une procédure classique en justice. « Ce n’est pas la Justice ou le Défenseur des droits. Nous ne sommes pas un palliatif à une Justice qui fonctionnerait mal. Souvent, sur les affaires les plus lourdes, nous travaillons ensemble. Le défenseur des droits apporte des observations et il se construit progressivement une jurisprudence en termes de discrimination. En s’appuyant sur ces décisions de justice, on peut agir en amont », insiste Dominique Baudis.
La prévention : un chantier à communiquer
Agir en amont pour défendre les droits des citoyens est une dimension essentielle du travail du Défenseur des droits. Dominique Baudis souligne ce chantier : « Nous menons un travail intéressant avec les associations qui nous apportent des propositions, des idées, qui nous alertent. Cela nous permet ensuite de faire des propositions de réformes. La loi stipule que nous avons un droit de proposer au Parlement et au gouvernement des réformes, sur des décrets ou sur des lois. Puis nous avons également la capacité de formuler des recommandations en direction de la société civile, par exemple vers les acteurs de l’emploi ou du logement. Cela a été le cas par exemple pour des personnes handicapées qui s’étaient vues refuser le droit à la location en raison de leur handicap ».
En 2011, le Défenseur des droits a soutenu plusieurs propositions de réformes, dont quatre qui ont abouti : le renforcement de l’encadrement juridique des autopsies judiciaires, la prise en charge des enfants accueillis en centre médico-psychopédagogique, le remboursement des trop-versés sur rémunération aux agents publics, ainsi que le maintien des indemnités journalières en cas de mi-temps thérapeutique. Quant à la promotion des droits, en 2011, trois modules de formation à distance ont été conduits sur la lutte contre les discriminations : Promotion de l’égalité dans l’éducation, Recruter sans discriminer et Vivre la ville sans discrimination. Prévention, formation donc mais aussi recherches, sondages et études pour construire des solutions appropriées. Avec la CNIL, le Défenseur des droits a réalisé un guide pratique destiné aux chefs d’entreprise, aux recruteurs et aux directeurs des ressources humaines, pour expliquer le cadre légal et les méthodes pour favoriser la diversité du recrutement des salariés. En novembre prochain, le Défenseur des droits publiera un rapport sur les contrôles d’identité au faciès, à partir d’un panorama européen des solutions expérimentées afin d’orienter le gouvernement dans son action.
Ces chantiers restent trop peu médiatisés, comme le soulignent des délégués de terrain, préférant garder l’anonymat : « Aux tous débuts de la Halde, on lui a beaucoup reproché l’argent dépensé en communication mais c’est peut-être nécessaire pour se faire connaître et sensibiliser le grand public. »
Des moyens financiers jugés insuffisants
Beaucoup de bonne volonté, mais trop peu de moyens. C’est le constat de nombreux militants, tels que Rokhaya Diallo, fondatrice des Indivisibles, association antiraciste : « La Halde avait déjà des moyens ridicules : quatre fois moins que son homologue belge, et dix fois moins que son homologue britannique. Elle a été fondue dans le Défenseur des Droits. Celui-ci s’occupe aussi bien des droits d’enfants, de la médiation, de la lutte contre les discriminations que de l’éthique des policiers. C’est un spectre extrêmement large, sachant que la Halde s’attaquait aux discriminations sur la base des 18 critères légaux, ce qui était déjà énorme ». Pour la militante, il s’agit bien d’un problème de volonté politique : »François Hollande veut retirer le mot « race » de la Constitution. Pourquoi pas ? Mais en premier lieu, il faudrait restaurer une Halde forte, qui permette à tout le monde de saisir la justice dans des cas de discriminations subies. Dans les procès, il y a très peu de sanctions pour discrimination, on est dans une quasi-impunité. Aux États-Unis, la civil rights division est directement rattachée au ministère de la Justice. Dans cette division, il y a 300 avocats, que chacun peut saisir pour attaquer l’auteur d’une discrimination, et ce quel qu’il soit : individu, entreprise, ville, État ! Dans l’envergure, dans l’intention, dans l’effectivité, on est très loin de notre Défenseur des droits ».
Dominique Baudis, lui, se veut confiant : « le Défenseur des droits a repris l’ensemble des collaborateurs, des dossiers et des budgets des quatre institutions précédentes. Dans une telle opération de regroupement, on peut s’attendre légitimement à ce qu’au bout d’un certain temps, l’institution nouvelle coûte moins cher que l’addition des précédentes. Cet effet d’économie ne peut pas se faire de façon immédiate, du fait des coûts occasionnés par le déménagement, l’harmonisation de rémunération vers le haut, le cadre commun en matière de primes, de tickets restaurant, l’unification du système informatique… Mais cela sera le cas en 2017, à la fin de mon mandat. J’en ai pris l’engagement, devant les parlementaires ».
100 % d’augmentation des dossiers à l’encontre des forces de l’ordre
Après un an d’exercice, Dominique Baudis constate une baisse du nombre de dossiers reçus : « Nous sommes passés de 91 000 à 89 000. Une baisse qui s’explique par la création d’un guichet unique. Auparavant, les personnes ne savaient pas forcément à qui s’adresser, et ils déposaient un même dossier auprès de plusieurs instances différentes. Par exemple, une famille confrontée à une difficulté avec une administration concernant un enfant en situation de handicap pouvait aller voir trois administrations différentes. Aujourd’hui, tout cela est simplifié, et on évite les doublons inutiles. »
Toutefois, le volet déontologie de la sécurité enregistre une nette augmentation de dossiers traités. Les plaintes enregistrées en 2011 ont porté pour l’essentiel sur le caractère systématique du « menottage », les pratiques abusives, insultes et violences de la part de l’ensemble des forces de sécurité (avec ou sans arme), les opportunités et conditions de placement en garde à vue, les présentations fallacieuses des faits dans les procès-verbaux, les rapports d’incidents absents, erronés ou incomplets.
Avec un changement de taille entre l’ex-CNDS et l’actuel Défenseur des droits : la saisine directe. Alors que la première ne pouvait être saisie que par un parlementaire, le Premier Ministre, le Médiateur de la République, le président de la Halde, ou le Défenseur des enfants, la saisine est aujourd’hui ouverte à « toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu’ils constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité ». Amnesty International salue cette avancée, comme l’explique Patrick Delouvin, responsable du pôle France : « La saisine directe est une avancée importante, nous la réclamions depuis des années. Mais qu’est-ce que cela implique ? Une augmentation du nombre de saisines. Et des moyens humains qui eux, n’augmentent pas. Il faudra donc voir si les services du Défenseur des droits parviennent à tout traiter de manière suffisamment sérieuse ». Les chiffres du bilan 2011 donnent raison au militant : 363 dossiers ont été reçus dans le domaine de la déontologie de la sécurité, contre seulement 185 en 2010. Une augmentation de 100 % du nombre de dossiers traités. Dominique Baudis se félicite de ce changement : « La situation précédente mettait les parlementaires dans une situation inconfortable : transmettre un dossier, c’est d’une certaine manière préjuger du fait que les policiers se sont mal comporté. Ne pas transmettre, c’est considérer qu’il n’y a pas de sujet. Aujourd’hui, toute personne peut nous saisir directement. C’est un grand progrès en terme d’accès aux droits ».
Le Défenseur des droits peut aussi se saisir d’office, dans le cas de blessures graves ou de décès au cours ou à la suite d’une intervention des forces de l’ordre. À l’époque de la CNDS, cette intervention a été utilisée par deux fois. La première dans le cadre d’un décès survenu le 12 novembre 2009, à Valentigney, dans le Doubs, et la seconde dans le cas d’un autre décès, survenu le 13 décembre 2010, à Marseille, à la suite d’un tir de Flash-Ball. Dans les deux affaires, la CNDS a conclu que les fonctionnaires avaient « manqué de discernement en recourant de manière disproportionnée à la force ». Même si Patrick Delouvin regrette une certaine perte de pluridisciplinarité : « La CNDS était une commission collégiale, pluridisciplinaire. Une quinzaine de membres y travaillaient d’égal à égal, chacun avec sa compétence et sa formation. Procureurs, médecins légistes, des gens de domaines très différents. Malheureusement, cela a disparu. Nous le regrettons ».
Après un an d’exercice, quels sont les chantiers prioritaires ?
Dominique Baudis hésite à afficher une priorité. Pour lui, il n’y a pas de priorité thématique. L’objectif, toutefois, est de roder le système informatique pour gagner en efficacité, en rapidité de traitement des dossiers : « Mais de toute façon, il faut bien comprendre qu’une mission comme la nôtre n’est jamais achevée. C’est une mission de Sisyphe. Pas une seconde je n’imagine qu’à la fin de mon mandat les discriminations auront disparu, qu’il n’y aura plus de défaillances dans les services publics, qu’aucun enfant ne sera plus dans une situation de péril ou que plus personnes n’aura de mésaventures avec un représentant des forces de l’ordre. Ça continuera. Soit on est pessimiste, et on se dit qu’il est dramatique qu’une telle instance existe au XXIe siècle. Soit on est optimiste, et on se dit qu’il est bon que dans un État de droit, il se trouve une institution disponible pour tous, gratuite, visant à faire respecter les droits des citoyens face aux services publics et à l’administration, face à d’éventuels mauvais comportements des forces de l’ordre. Le Défenseur des droits fait maintenant partie des instruments nécessaires dans une démocratie moderne. D’ailleurs, une telle institution est désormais un critère nécessaire pour un pays qui candidate à l’entrée dans l’Union Européenne. Nous travaillons d’ailleurs là-dessus avec la Macédoine en ce moment, en recevant beaucoup de stagiaires depuis un an ».

Retrouver l’ensemble du rapport 2011 du Défenseur des droits [ici]

///Article N° : 10891

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