Des notes de musique à travers deux continents

Les Nuits d'Afrique à Montréal

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« Si vous ne donnez pas leurs vrais noms aux choses, il vous arrivera de faire qu’un poulet parle comme un homme. De faire qu’une machette se lève pour danser. »

Un ami belge n’a de cesse de dire, après que je lui ai parlé du festival, que l’Afrique ne sera jamais l’Amérique et vice-versa…
Et comme si cela ne suffisait pas, je venais de lire un passage dans un livre, disant que si vous ne donnez pas leurs vrais noms aux choses, il vous arrivera de faire qu’un poulet parle comme un homme. De faire qu’une machette se lève pour danser.
Certes. Je le dis avec le sourire. Car ces nuits-là n’ont pas été inventées, elles ont bel et bien eu lieu, dans une des plus belles villes d’Amérique du Nord, et soleil, chaleur, couleur étaient au rendez-vous.
C’est mon premier dans le genre et dans le pays…
Une copine m’a dit « demande une accréditation, pour Africultures », je me suis dit : ce serait bien, c’est vrai… et je l’ai eue.
Les spectacles payants se passaient en salle et les quatre derniers jours, c’était des gratuits en plein air avec des pointures comme Meiway,Oumou Sangaré, les Soukouss Stars Congolaises ou encore Kassav… Des ateliers de capoeira, samba, etc. se déroulaient de la fin de matinée jusqu’au début de l’après-midi dans la rue, pour qui veut. Il y a eu un atelier de « danse africaine » que je ne nomme pas parce que j’ai toujours été mal à l’aise avec cette expression au singulier.
Le pluriel d’Africultures en dit assez long sur les mots et leurs sens…
Et puis vous vous souvenez de mon livre ? Si vous ne donnez pas leurs vrais noms aux choses…
Et comme je n’ai pas envie d’entrer dans ça, on passe sur le fameux atelier de danse africaine… l’Afrique, un pays, hum !
L’organisation de cette 25e édition a tenu le coup malgré certains ratés, mais c’est souvent le cas dans toute œuvre humaine : on gère les gens, pas leurs humeurs. C’est beaucoup plus compliqué ce volet.
Menu du festival ? En entrée – ouverture – Manu Dibango et en sortie dans le genre dessert super copieux – clôture – Kassav… Tout le long du repas, pleins de plats que les gens ont découvert au fur et à mesure, certains étaient déjà bien connus du public, d’autres pas du tout. Alors je me suis fait une sélection complètement subjective, en sautant l’entrée.

Mon premier concert c’est Meklit Hadero…
Une femme fantastique avec une voix et une présence que seule une personne nourrie de rythmes et de sons peut avoir. Avec elle, un moment très intime durant lequel elle parle au cœur et ça vous donne des frissons partout. Et la salle, le Mile End, s’y prête bien…
Elle bouge comme une reine, sans vulgarité et avec grâce, élégance. J’ai adoré. Meklit arbore une coiffure afro avec une belle fleur plantée sur le côté. « Moi et mon cheveu » que ça m’a rappelé… Du coup, la langue de voyage importe peu ! De l’anglais, puis de l’éthiopien ou du somalien si ça se dit, mais qu’importe, on ne se limite pas à cela. On a juste envie de voyager avec elle, de reprendre avec conviction le petit morceau de refrain qu’elle nous apprend, et c’est parti ! Excellent.
Malheureusement je dois vite sortir de là pour pas manquer mon bus, je vis à l’autre bout de la ville et je me guide encore avec Google maps et mon téléphone « intelligent », heureusement ! Même s’il ne me fait pas encore du café, il m’aide à me diriger, c’est clair… Mais la salle est bien repérée pour mon deuxième coup de cœur au même endroit.

Emeline Michel, une Haïtienne.
Sans le faire exprès… enfin, si, un peu… j’ai flashé sur les rythmes au féminin.
Emeline chante la vie, ce qui reste après la vie. Elle chante son pays, un pays debout, malgré tout ce qui arrive dans ce coin du globe, malgré les tremblements de terre, malgré la faim et la soif, malgré tout. Elle sait mettre le feu et elle l’a fait dans cette salle du Mile End, avec une énergie hors du commun, en réussissant à mettre (même ceux qui ne voulaient pas) debout, sur la piste, en train de swinguer zouk comme on le voit souvent faire à la télé…
Il y avait beaucoup de ses compatriotes, mais il y avait aussi nous, plus les Québécois, des touristes, du monde. Il y avait des as du zouk, plein de dragueurs aussi et une belle soirée. Pour elle, je suis restée plus longtemps, je maîtrise déjà les passages de mon bus jusqu’au métro…
Parler de leurs morts, de leurs misères en célébrant la vie par son chant, sa danse. Ça m’a renvoyé direct vers les gens de Kinshasa dans leurs bruits, pour combler ou taire leurs silences, que sais-je ?
Belle soirée.

Il y a un jeune Centrafricain que j’ai manqué de voir. J’y tenais simplement parce que ses mélodies, sa voix, ses accords de guitare lui ont valu une comparaison avec… Lokua Kanza. Et là je me dis pourquoi se contenter du comme alors que c’est possible d’avoir l’artiste à qui on compare.
Je pense que les questions de mobilité des artistes restent d’actualité. Je ne vais pas charger seulement les organisateurs, c’est clair, je vous rassure. Mais le fait est que les artistes, quelles que soient leurs origines, vivent pour la plupart en Europe, au Canada ou à côté, aux États-Unis. Ceux qui viennent du continent Africain, c’est d’Afrique de l’ouest, du sud ou australe… Dommage pour le centre. J’en parle à cause de toutes les connexions et sonorités en lien avec l’Amérique latine, Cuba ou Brésil pour ne citer que ces deux pays…
Oh, je sais ce que c’est que de réussir d’avoir un visa pour le Canada dans cette partie du continent, je suis passée par là. Ça peut aussi faire partie des choses qui découragent les organisateurs. Peut-être. Mais il y a aussi dans le lot d’artistes, ceux qui sont bien connus des services d’immigration des ambassades, il y a aussi ceux qui vivent en Europe et qui sont porteurs d’une certaine identité de leur pays. Vous avez vu hein, tout ça pour reparler de Lokua Kanza qui sera bien dans ces nuits d’Afrique, lui qui chante la vie ou son pays en anglais, en français, en lingala, en swahili, en portugais…

Qui n’ose rien n’a rien !
La preuve, on a swingué au rythme de Kassav à la clôture dans un espace qui s’est finalement avéré trop petit pour contenir le monde venu les acclamer. Une Jocelyne Beroard toujours aussi belle, c’est impressionnant. Un Jacob Desvarieux à la voix aussi grave en parlant comme en chantant. Un Jean-Philippe Marthély qui peut faire ce qu’il veut du public : « levez les mains, baissez-vous, sautillez. »
On était tous embarqués dans le mouvement et c’était magique, tout le monde essayant de suivre les pas d’une Marie-Josée Gibon !
Un beau festival, une superbe belle clôture…
Les Kassav nous ont ramenés, mon mari et moi, à un concert qu’ils avaient donné au Palais du Peuple à Kinshasa. Comme d’ailleurs ils ont sûrement ramené d’autres à des concerts dans leurs pays d’origine, c’est sûr.
Toutes les chansons étaient dans nos bouches, toutes les chorégraphies étaient présentes malgré le manque d’espace. Y avait un monde fou.
Et quand ils ont lancé « tout le monde maboko, ah mama e maboko« , on l’a ressenti comme un spécial clin d’œil pour nous, mon mari et moi, portés sur des notes de musique et traversant les deux continents, nos souvenirs, la vie.
Qui n’ose rien n’a rien, en effet.

Et pour encore plus de notes, encore plus de sons : [http://www.festivalnuitsdafrique.com/]///Article N° : 10349

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Les images de l'article
Émeline Michel © Festival International Nuits d'Afrique
Oumarou Sangaré © Festival International Nuits d'Afrique
Kassav © Festival International Nuits d'Afrique





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