Désormais annuel, l’African Film Festival de New York a déroulé sa nouvelle scène en plein cœur de Harlem

 
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Depuis 1993, tous les deux ans au mois d’avril, le cinéma africain est sous les projecteurs de New York, une dizaine de jours durant dans le cadre de l’African Film Festival . Jusqu’à présent biennal, ce festival vient de doubler sa fréquence. Habituellement organisé au célèbre Lincoln Center et au Brooklyn Museum of Art, le festival s’est cette année déplacé un peu plus au nord, à Harlem.

Ousmane Sembène et Raoul Peck à l’honneur
C’est dans le mythique Apollo Theater que s’est déroulée la cérémonie organisée en hommage au  » père du cinéma africain « , Ousmane Sembène, invité d’honneur du festival venu présenter au public new yorkais  » Faat Kiné « , son dernier film. Le public a pu également découvrir, en avant-première à New York,  » Lumumba « , du cinéaste Raoul Peck, autre special guest du festival. Le Schomburg Center, un centre de recherche sur les cultures noires, a accueilli les discussions et débats, tandis que les projections ont investi le Magic Johnson Theatres, un récent spacieux complexe de salles de cinéma situé à deux pas de l’Apollo Theater.
La programmation a offert cette année un large panel de films – une trentaine en tout -, oscillant entre courts, moyens et longs métrages, déclinés en trois grands volets. Then and now a proposé une intéressante mise en perspective entre le cinéma des origines et le cinéma d’aujourd’hui des deux têtes d’affiche du festival : ont ainsi été projetés  » Borrom Sarett  » (1963),  » La noire de…  » (1966) et  » Faat Kiné  » (2000) d’Ousmane Sembène ;  » L’Homme sur les quais  » (1993) et  » Lumumba  » (2000) de Raoul Peck. L’Emerging Market Series a mis quant à lui en avant la production africaine contemporaine, juxtaposant des grandes productions comme  » Bàttu  » (2000), le dernier long métrage du sénégalais Cheik Oumar Sissoko, et des court-métrages comme  » Article 15A/Article 15 bis  » (2000), du congolais Balufu Bakupa-Kanyinda. Enfin, Video Awudjo a donné au public un aperçu du foisonnant marché de la vidéo en provenance du Nigeria et du Ghana.
Pendant les conférences et débats organisés au Schomburg Center, de même qu’à l’issue des projections, le public a pu engager d’intéressants échanges avec les cinéastes et acteurs présents cette année à l’African Film Festival. Parmi eux, Ousmane Sembène et Raoul Peck bien sûr (qui ont tous deux fait salle comble lors de la projection de leur dernier film) ; Imunga Ivanga, cinéaste gabonais venu présenter, en avant-première aux Etats-Unis,  » Dôle  » (2000), son premier long-métrage, une peinture des errances dans les rues de Libreville d’un petit gang de quatre jeunes adolescents baignés de culture rap, en mal d’argent et en quête de survie ; Balufu Bakupa-Kanyinda, venu présenter son dernier court-métrage, une percutante fable satirique sur le cynisme des militaires, et (re)présenter  » Le Damier – Papa National Oyé  » (1996), un petit bijou devenu support de cours de cinéma dans de nombreuses écoles. Egalement présents, Danny Glover (acteur dans « Bàttu »), Samba Gadjigo, universitaire d’origine sénégalaise en train d’écrire une biographie sur Ousmane Sembène, dont il s’est fait l’interprète le temps du festival …
Cinéma africain et public africain-américain : une rencontre qui se cherche ?
L’African Film Festival n’a malheureusement pas réuni cette année le public que l’on aurait pu attendre de cette première grande rencontre entre cinéma africain et public noir de Harlem. Les explications de ce succès quantitatif timoré sont multiples.  » En se déplaçant à Harlem, raconte Belynda, membre actif de l’équipe du festival, on a un peu perdu le public du Lincoln Center, qui ne nous a malheureusement pas toujours suivi, sans doute à cause du stigma négatif encore associé à Harlem dans l’imaginaire des blancs ». Un public de perdu, un autre de retrouvé ? Pas vraiment. Le public noir n’a pas véritablement suivi en masse ce festival, pourtant si proche géographiquement cette année.
Première raison que l’on peut invoquer, une promotion tardive et relativement limitée du fait de contraintes budgétaires et de longues et laborieuses négociations concernant les salles de projection :  » C’est qu’une grande partie des fonds réunis a été dépensée pour payer la venue des cinéastes et la location des salles où se sont déroulées les festivités « , explique Prerana, responsable-adjointe de la programmation. En cherchant à Harlem des lieux où dérouler les nouvelles scènes de l’African Film Festival, les organisateurs pensaient qu’un festival de cinéma africain y trouverait un terrain favorable et que des partenariats généreux s’y noueraient sans difficultés. Ils ont en fait constaté une tout autre sensibilité :  » A notre grande surprise, s’est attristé Prerana, on a rencontré à Harlem des gens qui, pensant que notre organisation était très riche, ont souhaité se servir de nous plus que nous servir, mis a part le Schomburg Center, qui a été un précieux allié « .
Appréhension face à l’Afrique  » réelle  » moderne portée par la fiction africaine
Le prix élevé du ticket plein tarif ($9,5) n’a pu quant à lui jouer que de façon modeste sur le relatif manque d’enthousiasme du public noir d’Harlem : « Ce public n’hésite pas à aller en grand nombre dans les salles situées vers la 86ème rue qui projettent des films commerciaux à un prix souvent plus élevé. Et puis, le festival offrait des tickets à des prix très abordables, pour les jeunes, les étudiants et les personnes du troisième âge ; un passeport trois entrées était également disponible ». Alors, plutôt que d’incriminer le prix, il faut évoquer la question du goût et celle d’une certaine réticence du public noir américain à l’égard du cinéma africain. Les raisons de cette réticence sont à chercher non seulement du côté de l’existence d’un préjugé parfois défavorable au cinéma africain –  » trop lent « , avec des sous-titres -, mais également du côté d’une appréhension par rapport à l’image que ce cinéma donne des noirs.  » Je voulais amener des amis voir certains des films projetés cette année, mais je me suis heurtée à leur refus, raconte Déborah, une jeune africaine-américaine résidant à Harlem. En discutant, je me suis rendue compte qu’ils avaient peur. Peur de voir une Afrique négative ou une Afrique dont le public rigole « .
Cette appréhension éclaire la relation que les Africains-Américains entretiennent avec l’Afrique, un continent qu’ils connaissent peu et mal, et sur lequel ils ont tendance à projeter une image recréée dans leur imaginaire, une image idéalisée et figée, bien loin de la réalité plurielle de l’Afrique actuelle :  » La relation des Africains-Américains au cinéma africain est très complexe, analyse Mahen Bonetti, d’origine sierra leonaise, directrice et instigatrice du festival. Les Africains-Américains se sont réinventés leur Afrique. Leur vision est de l’ordre du rêve et du fantasme. Derrière la réticence que certains d’entre eux éprouvent à l’égard du cinéma africain, se cache une crainte : ils ont peur car ce cinéma leur renvoie une image ; quelque part, il les oblige à faire face à leur propre réalité. Cette crainte est en partie liée à la persistance d’un complexe qui trouve son origine dans l’histoire du peuple noir – l’esclavage, la colonisation. C’est ce contexte mental, très largement inconscient, qui explique l’appréhension avec laquelle beaucoup d’Africains-Américains abordent le cinéma africain « .
Continuer la croisade du cinéma africain en territoire noir-américain
Face au succès en demi-teinte du cru 2001 de l’African Film Festival, Mahen Bonetti, se veut optimiste :  » Il faut rappeler que c’est la première année que l’on se lance dans un festival annuel ; que l’on vient de changer de lieu, et donc en même temps un peu aussi de public. Les informations vont circuler. D’ailleurs, il y avait beaucoup plus de monde vers la fin du festival. Les gens qui sont venus cette année vont parler autour d’eux. Et puis, on a demandé au public de nous laisser un contact au sortir des séances. On a ainsi constitué une grande mailing list que l’on va pouvoir utiliser l’année prochaine afin de mieux communiquer. On a aussi en projet d’organiser des mini-événements à Harlem entre chaque festival : des projections de films africains en plein air dans le Marcus Garvey Park par exemple. » Une manière de rendre le cinéma africain toujours plus visible, plus accessible, et de continuer à sensibiliser le public de New York.

African Film Festival : www.africanfilmny.org///Article N° : 3278

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