« Dessiner l’Afrique va plus vite. »

Entretien de Christine Avignon avec Al Mata

Paris, mai 2008
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Dessinateur congolais installé à Paris, Al MAta a été lauréat du prix « Africa Comics » en 2003, et collabore régulièrement à la revue « Planète Jeunes ». La sortie de son premier album de bandes dessinées, « Le retour au pays d’Alphonse Madiba dit Daudet » est prévue en août 2008, chez Sary 92.

Vous souvenez-vous de votre premier dessin ?
Pas trop, mais je me souviens de mon premier dessin à succès, c’était le portrait de Bruce Lee dans « Big Boss », je devais avoir six ans à l’époque. Mes deux frères dessinaient beaucoup, alors je les imitais. L’aîné, Papa Jufh, réalisait des planches de BD, c’est lui en quelque sorte qui m’a donné la vocation. Ensuite je suis entré à l’École des Beaux-Arts de Kinshasa.
Quels sont les dessinateurs qui vous ont inspiré ?
Comme presque tous les jeunes de ma génération : Hergé, Roba, Franquin, Uderzo… J’étais beaucoup plus attiré par les BD humoristiques.
Au Congo, vous faisiez essentiellement du dessin de presse, pourquoi avoir arrêté ?
Je ne faisais pas essentiellement du dessin de presse, mais aussi des BD pour le magazine « Bleu Blanc » et d’autres revues. C’est vrai par contre que le dessin de presse constituait la base de mon travail. Je dessinais des caricatures pour plusieurs journaux, notamment « l’Alerte », « Le Grognon » ou encore « Le Palmarès ». Certains me laissaient complètement libre, alors que pour d’autres je devais un peu me « censurer ». Pour faire du dessin de presse, il faut vraiment bien s’y connaître en politique, c’est pourquoi une fois arrivé en France cela a été un peu difficile pour moi de continuer dans ce domaine. J’ai préféré privilégier la bande dessinée, mais je n’ai pas complètement arrêté les caricatures, il m’arrive encore parfois d’en faire et j’aime bien.
Le fait d’être lauréat du prix « Africa Comics » vous a-t-il aidé ?
Pour tout dire je ne sais pas, parfois les gens vous contactent et vous ne savez pas où ils vous ont déniché ! Mais c’est toujours bien d’être quelque part, en attendant un prix à Angoulême (Rires).
Qu’est-ce qui manque aujourd’hui aux bédéistes africains pour avoir un peu plus de visibilité ?
Tant qu’il n’y aura pas d’éditeurs prêts à parier sur eux, les bédéistes africains n’auront pas de visibilité. Le peu de reconnaissance que l’on a, c’est grâce aux efforts des centres culturels français et de Wallonie Bruxelles dans nos pays d’Afrique. La BD est un art jeune, elle demande une attention particulière de nos ministères de la culture pour éclore. Les auto-éditions auxquelles les artistes sont contraints pour se faire connaître n’avanceront à rien, parce qu’elles demandent trop d’énergie. On ne peut pas tout faire. Dessinateur, c’est un métier, éditeur c’en est un autre, vouloir combiner les deux aboutit rarement à de bons résultats. Je pense que cela épuise plutôt qu’autre chose.
Quel est le thème de votre album, qui sortira en août 2008 ?
C’est un thème d’actualité portant sur l’immigration, mais dans l’autre sens… « Un jeune étudiant qui se voit expulsé après de nombreuses années passées en France, essaie de se reconstruire en Afrique. Mais lorsque l’on sait que l’on n’a pas les diplômes pour occuper un poste à responsabilité, alors que tout le village compte sur soi… il y a de quoi retourner en France. » Le scénariste est un ami franco-camerounais, Christophe Ngallé Edimo. J’aime bien les BD qui traitent de l’actualité, du social, c’est pour cette raison que lorsqu’il m’a proposé ce scénario j’ai immédiatement accroché. J’ai d’ailleurs un autre projet en cours avec lui, qui s’intitulera « Quartiers Douleur ». L’histoire se passera encore en Afrique, ce sera la vie dans deux quartiers différents, l’un où les gens sont plutôt aisés, l’autre où la vie est plus difficile. D’une manière générale, tout ce qui me semble bon à dessiner, je le fais, mais je dois avouer que je vais plus vite lorsque je dessine des histoires qui se passent en Afrique. Dessiner des aventures qui se déroulent dans des villes européennes prend plus de temps, notamment à cause de l’architecture.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Cela dépend, mais souvent je m’aide de photos ou de croquis, parce que l’imagination en elle-même n’est pas toujours suffisante.
Avez-vous eu beaucoup de mal à trouver un éditeur ?
Un éditeur c’est un commerçant, pas facile de le convaincre… à moins d’avoir la chance de tomber sur un qui aime d’emblée son travail. Sinon il faut avoir des connaissances, je crois que dans la BD comme dans beaucoup d’autres milieux, de nombreuses choses se créent grâce à des recommandations, des amis communs, etc.…
D’où vous est venue l’idée du strip « Mon gars, Ma gô », qui raconte les aventures de deux écoliers africains, pour la revue « Planète Jeune » ?
L’idée m’a été proposée par le directeur artistique de « Planète Jeunes », Jean-Louis Couturier. Nous avions fait connaissance au Congo, puis plus tard je l’ai revu à Bruxelles, et finalement alors qu’il cherchait un dessinateur pour cette série, quelqu’un lui a parlé de moi. Le thème m’est imposé, et je dois ensuite créer les personnages et les scénarios. Je regrette que cette revue soit uniquement distribuée en Afrique, je pense qu’elle pourrait aussi intéresser des jeunes qui vivent en Europe.
Vous retrouvez souvent d’autres dessinateurs congolais, en France ou en Belgique, avez-vous des projets avec eux ?
On se voit beaucoup avec Pat Masioni, qui vit comme moi à Paris et Hallain Paluku, qui est lui à Bruxelles. Nous avons des projets de BD et de dessins animés avec Hallain, notamment le dessin animé « Banaboul », pour lequel je serai coloriste. Je m’occuperai également des décors. Il y a un autre projet commun en cours pour le prochain clip du chanteur Fally Ipupa, dans lequel nous aimerions introduire l’aspect dessin animé.
Pouvez-vous nous parler du projet Afrobulles, auquel vous avez participé ?
J’ai dessiné dans deux éditions d’Afrobulles, et je suis coloriste dans la quatrième édition. Afrobulles est devenue une maison d’édition sous la direction d’Alix Fuilu. Ce qu’il fait pour la BD africaine est vraiment très encourageant mais il a besoin d’être soutenu pour amener très loin cette jeune maison d’édition dédiée à la BD black.
Si vous deviez faire un vœu pour la BD africaine, quel serait-il ?
Que la BD africaine prenne de l’envol en multipliant les éditions et les publications.

Contact Al’Mata : [email protected]
Site du magazine Planète Jeunes : www.planete-jeunes.org
Blog du dessin animé « Banaboul » : http://banaboul.skyrock.com/
Site de l’association italienne Africa Comics : www.africacomics.net
///Article N° : 7673

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