Deux ou trois choses que nous avons apprises de lui

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Mongo Beti nous a quitté le 7 octobre dernier. Auteur d’une dizaine de romans et de plusieurs essais, il est à côté de Tchicaya U Tam’si l’écrivain bantou le plus prolixe et le plus important. Son oeuvre éminemment politique et subversive s’inscrit toujours dans un contexte socio-historique de l’Afrique. De sorte qu’à travers ses romans, on peut lire l’histoire contemporaine de l’Afrique. A chaud et dans la nuit, un hommage de l’écrivain camerounais Patrice Nganang, suivi d’un entretien récent avec notre collaborateur camerounais Héric Libong.

La mort a toujours quelque chose d’irréel, surtout quand elle frappe quelqu’un comme Mongo Beti, dont la vie aura elle-même été hors du commun. Irréelle surtout aux yeux des Camerounais de ma génération, nés après les indépendances et jetés à l’extérieur de leur pays avec les mouvements pour la démocratie ; irréelle parce que nous n’avons pas vraiment eu la possibilité de connaître l’homme Alexandre Biyidi que toujours nous aura caché l’écrivain Eza Boto/Mongo Beti.
Comment donc ! Ses premiers romans parlent d’une période de l’histoire du Cameroun que nous n’avons pas connue ; ceux qu’il aura écrits après les indépendances montrent un visage du Cameroun que le régime de Ahmadou Ahidjo avait censuré, et lui-même sera en définitive rentré dans son pays au moment même où nous le quittions ! Oui, notre vie aura été au croisement de la sienne, en définitive. Point d’anecdotes à raconter donc, point de souvenir d’avoir acheté des livres a la librairie de l’écrivain, ‘la librairie des Peuples noirs’, mais la conscience claire d’avoir appris à lire à l’école primaire avec des extraits de Ville Cruelle, « la récolte du cacao », d’avoir frémis au lycée avec Banda, le seul héros de Boto/Beti admis aux programmes scolaires de l’époque, la certitude de connaître encore par cœur les pages de Ville Cruelle, ces pages-là où Banda déclare aimer sa mère ‘comme tu ne peux pas le savoir’, et puis le souvenir d’avoir vu la preuve que le Cameroun changeait en achetant en 1991 Main Basse sur le Cameroun dans les rues de Yaoundé, au poteau, pour y découvrir, en l’insolence politique d’un style, la réalité de ce que pouvait être, non, de ce que devait être un écrivain.
Et voila déjà citées les deux ou trois choses que nous aura appris l’écrivain, même dans l’irréalité de son existence pour nous, car au fond, les oeuvres d’un écrivain ne sont-elles pas les plus importantes pièces de son identité – de sa vie ? Ces centaines de destins que Mongo Beti aura tracés dans notre conscience ; ces Banda, Mor Zamba, Perpétue, etc. qui en leurs multiples visages nous auront toujours montré les hideuses formes de l’injustice, mais aussi nous auront indiqué les moyens de la contourner. Ces jeunes qui dans leurs histoires auront toujours fait parler notre propre sentiment d’être perpétuellement trompés par la vie n’étaient-ils pas déjà plus vivants, en leur révolte légitime, que l’écrivain au double pseudonyme qui aura rendu son nom propre inconnu, mais dont la légendaire irrévérence nous parvenait en coups de légendes ?
Fondamentalement, à vrai dire, Mongo Beti nous aura appris que la vie de l’écrivain ne compte pas, sinon dans l’investissement qu’il met à défendre la cause de la justice. Faut-il pourtant qu’il meure pour soudain nous faire nous rendre compte combien cette vie qu’il aura cachée derrière ses fictions et pseudonymes nous était précieuse ? O, quelle perte ! La passion de l’écrivain Beti a toujours le visage de ses quarante années d’exil certes, mais pour nous, aujourd’hui, elle a également la forme d’un amour qui fait s’écrier « aie ! », d’un amour violent pour son pays natal. Car comment caractériser autrement la relation d’un auteur qui aura passé, disons-le, presque toute sa vie adulte en France, et n’aura pas trouvé ce pays digne d’étoffer un seul de sa dizaine de romans ? Oui, ce qu’il nous aura appris aussi, Mongo Beti, c’est bien que l’Afrique est et reste entièrement à raconter, et que tout Africain, écrivain ou pas, qui ne s’y attèle pas laisse la place à ceux-là qui depuis des siècles la racontent à la place des Africains !
Mais surtout, il nous aura appris, Mongo Beti, que la place de l’écrivain est dans l’irrévérence devant le pouvoir, c’est-à-dire, que la parole de l’écrivain africain est et doit être profondément politique. C’est curieusement cette leçon qui est la plus difficile a retenir aujourd’hui, car ici et là on entend déjà des voix qui veulent voir une nouvelle écriture Africaine moins réaliste, plus intimiste, plus fantastique, plus onirique, entendons : moins engagée. Ces voix naissent certainement du besoin de toute génération de se séparer de la précédente ; c’est peut-être aussi la reconnaissance d’une perte de voix devant l’insistance têtue de toutes les injustices après déjà près d’un siècle de combat : c’est certainement aussi la voix du désespoir devant le chaos envahissant, la voix d’une génération épuisée à la vue seule de l’immensité de la tache à abattre, une génération qui a grandi avec le désabusement de ses aînés.
Pourtant, si l’écriture naît de l’angoisse devant le visage oppressant du présent, si elle naît du constat de la laideur grandissante et du polichinelle de notre quotidien, il est une évidence que l’écrivain africain vit dans une urgence perpétuelle : l’urgence de dire le mal africain. Et ceux qui, comme moi, à l’école, dans les universités ou ailleurs ont répété plusieurs fois leur « récolte du cacao », l’ont eu en dictée préparée, puis finalement, un peu plus tard, ont découvert dans la profondeur de ce texte l’éthique de l’écrivain, ne peuvent qu’assumer la passion adimensionelle de Mongo Beti pour l’écriture.
Et c’est certainement cela sa plus grande leçon : oui, nous a-t-il appris, quelle que soit sa tendance, l’écriture africaine ne peut qu’être passionnée.

///Article N° : 46

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