DÉZAFI

Mise en scène de Guy Régis Jr

Texte de Frankétienne
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C’est à un beau défi que s’est frotté le metteur en scène et dramaturge haïtien Guy Régis Jr. en adaptant pour le théâtre une œuvre majeure de la littérature caribéenne : Dézafi, écrite par Frankétienne. Majeure, autant pour sa construction de la langue créole haïtienne romanesque, étant le premier roman écrit dans cette langue en 1975, que pour son iconoclastie concernant les règles du genre, son foisonnement poétique et sa portée politique.

Frankétienne, auteur phare et prolifique de la littérature haïtienne, a traversé toutes les périodes sombres de son pays faisant le choix de rester face aux dictatures et au récent tremblement de terre. Rester pour lutter. Avec Dézafi, il dénonce, en 1975, les vices de la dictature duvaliériste en prenant pour protagonistes Saintil, un boko (prêtre vaudou maléfique) et Zofer qui ont transformé en zombis tout un village pour assouvir leur soif de pouvoir sanguinaire. Le vaudou, croyance populaire et mode de pensée issue de la culture haïtienne a d’ailleurs été un moyen de soumission détourné par le dictateur Duvalier. Sultana, fille de Saintil, chargée de préparer à manger aux zombis, a l’interdiction de saler leurs plats. Car le sel, qui comme l’eau est source de vie dans beaucoup d’autres cultures, leur fait recouvrir l’âme et donc la conscience. Tombant amoureuse de l’un d’eux, Clodonis, Sultana va succomber à l’interdiction.

La pièce commence par nous plonger dans un noir total avec des voix enchevêtrées d’un souffle coupé comme si la mort ne pouvait qu’en sortir. Une litanie obsédante et presque envoûtante produite par le rythme de la parole et des scansions emplit l’espace, on se retrouve dans une spirale répétitive et quelque peu infernale. Ceci est d’autant plus concret quand on aperçoit les corps sans substance des zombies éclairés par des lumières posées au sol, avancer comme des spectres sans regard. L’espace de la scène est confiné, restreint, ce qui explique le choix sans doute d’avancer le plateau plus près du public pour le faire pénétrer avec plus d’aisance dans cette atmosphère oppressante. Les zombis aux corps à l’épreuve de la domination répètent la même rengaine « Oui ouan » montrant leur totale obédience et laissant ainsi peu de place à la digression, au rêve et à l’évasion. Un homme-torche mobile qui vogue entre les visages et les corps soumis des zombis produits comme des instantanés. Une danse macabre se dessine alors sous nos yeux laissant l’impression dans notre esprit de visages figés par la lumière furtive.

En adaptant ce roman, qui détient un souffle révolutionnaire et une force de dénonciation du despotisme duvaliériste, c’est d’Haïti d’aujourd’hui dont parle aussi Guy Régis Jr. Il semble que la nécessité du retour d’un jour nouveau face à l’angoisse du défi à relever se concrétise avec le passage de la pénombre à un éclatement dans l’espace comme dans l’éclairage provoqué par la révolution de Clodonis, ancien zombi retrouvant son âme grâce à l’amour que lui porte Sultana. C’est l’amour enivrant de cette dernière qui rend possible le changement nécessaire pour une véritable prise de conscience.

Sur le sol recouvert de sel, peut-être, on y grave la date de 1804, date d’indépendance haïtienne. Les défis restent encore à relever. Cette date glorieuse qui a marqué le destin d’Haïti en atteste la nécessité avec plus de gravité. L’urgence est de créer pour bouleverser la sclérose et précipiter la lumière. La nécessité de l’art se fait concrètement sentir dans un pays où l’on ne se permet plus de rêver. Avec la compagnie Nous Théâtre et le festival des Quatre Chemins dont il a pris la direction et durant lequel le spectacle Dézafi va être présenté en novembre 2015, Guy Régis Jr. contribue avec d’autres au développement de créations théâtrales haïtiennes pour être au creux des vibrations contemporaines et y mettre son grain de sel. C’est là que peut débuter le réveil. Aussi.

DÉZAFI
Texte de Frankétienne
Mise en scène de Guy Régis Jr.
Avec : Édouard Baptiste, Ruth Jean Charles, Billy Midi, Julaine Noelus, Nathania Périclès, Guy Régis Jr, Genèse Tombeau

Scénographie : Jean-Christophe Lanquetin
Assistante à la scénographie : Violette Graveline
Technique : Jean Ronald Pierre///Article N° : 12723

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