Dieux d’eau du Sahel. Voyage à travers les mythes de Seth à Tyamaba

De Kesteloot Lilyane

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Il s’agit d’une œuvre de maturité, où l’auteur, parfaite littéraire, montre comment une intellectuelle qui a développé sans cesse son amour et son intelligence de l’Afrique a pu acquérir une vaste culture interdisciplinaire auprès d’historiens, philosophes, anthropologues, géographes, psychosociologues, mythologues, ethno-zoologues, etc. ; vaste érudition dont l’éclectisme surprend, mais sans jamais gâter ni la vivacité de l’émotion, ni la justesse des intuitions, et dont l’apport touchera tous ceux qu’intéressent Sénégal et pays voisins, Afrique de l’Ouest, Afrique en général.
Les débuts de l’ouvrage nous transportent du Kalevala finnois à la Chanson de Roland française, montrant comment mythe ou épopée recouvre toujours des faits historiques, même gauchis ou embellis par idéologie, voire enveloppant en Afrique des secrets dont la pénétration est très difficile et le dévoilement mortel (cf. p. 25 n. 2). Mais Lilyane sait pratiquer ici avec tact l’enquête latérale (p. 26-7), et la prise en compte du point de vue adverse.
Regret pourtant qu’elle oublie ceux des Français qui ont pris la peine d’apprendre les langues locales (C. Tardits et C.-H. Perrot par ex.), alors qu’elle cite maint chercheur dont les apports sont moins déterminants. En recoupant les nombreuses versions des épopées sahéliennes, elle peut en dégager une structure de base : récurrence du dieu d’eau, du chasseur violent, de la gémellité (à l’occasion entre les deux figures précédentes, l’alliance fécondité + force étant nécessaire) ; puis, sous l’égide du roi sacré, finalement la trilogie dite’indo-européenne’ de Dumézil (Quirinus-Mars-Jupiter), si repérable par exemple dans le mythe de la fondation d’Oshogbo chez les Yoruba aussi bien que dans l’épopée de Guilgamesh (p.98). Tout cela prudemment nuancé par Lilyane (p.41-43), qui dénie aux rois maliens sacrés l’identité avec les rois divins aux interdits et au’king-killing’. Mais elle ne s’interdira pas de rapprocher son dieu d’eau (varan, serpent) du temple du python à Ouidah et du python arc-en-ciel sacralisé dans toute l’Afrique (pp. 148-9).
Bonnes pages sur l’animisme (p.47) puis sur la notion de mythe, à propos duquel elle fait une critique pertinente de Barthes (p.55) en classant finalement les mythes en 3 groupes : cosmogoniques, fondateurs, religieux (pp. 63-4).
Ensuite est analysé le mythe fondateur égyptien. Seth a tué le pharaon-dieu Osiris son frère, et dispute sa succession à Horus qui est doublement son neveu, puisqu’aussi fils d’Isis sa sœur. Se référant à Frazer, Lilyane tire du mythe les conclusions suivantes : aspect symbolique, Horus, dieu des oiseaux, s’appuie sur la force de l’esprit ; Seth, chtonien croit en sa violence et ses ressources matérielles ; or, il n’a pu sodomiser Horus qui par l’esprit le domine, l’illumine, et l’oncle cède à cette supériorité ; aspect religieux, abandon du cannibalisme et de la mise à mort du roi ; aspect ésotérique, le mercure est fixé par le soufre, d’où sortira l’or philosophal ; aspect psychanalytique, le’moi’ triomphe du’ça’; aspect métaphysique et moral, les dieux sont hiérarchisés, inégaux, l’homme doit sublimer l’instinct par l’ascèse ; aspects historico-politiques, le premier pharaon, vers – 3.300, aurait été seigneur du Vautour et du Cobra, les cultes solaires du pouvoir centralisé s’imposant aux cultes telluriques des paysans, les uns et les autres restant complémentaires. Vient ensuite le corpus d’une douzaine de variantes du mythe des Soninké et Peul, celui de Wagadou et du dieu d’eau Tyamaba (ou Bida), encadrant celui du Tekrour, à l’origine des royaumes wolof. C’est là le cœur de l’ouvrage (pp. 81 à 251). Lilyane et ses informateurs y décryptent la préhistoire et l’histoire du Sahel, depuis le temps du Sahara humide verdoyant jusqu’à la sécheresse actuelle, ainsi que l’affrontement de l’islam avec la religion traditionnelle (culte du python resté vivace en secret,’Bida’ signifiant’paganisme’ en peul,’sacré, interdit’ en soninké : déplacement du conflit, interne dans le mythe égyptien, au niveau externe politico- religieux).
Elle ajoute deux annexes sur les Peul suivant des cours d’eau, mais n’a pas assez circulé au Cameroun pour y voir la clarté de teint des Mbororo, sinon elle n’aurait pas été gênée par l’hypothèse métisse aux pp. 258-260. Vantant la pluridisciplinarité (travail avec le regretté géographe G. Brasseur p. 184 sq.), elle s’en serait tenue à ses intuitions (p. 166) et conclusions (p. 198 & 210) confirmées par la science : les études d’ADN du Dr A. Froment découvrent bien chez les Peul une forte part de gènes provenant de l’Irak et du Croissant Fertile (et en revanche, rien de commun entre’Bantous’ et Égyptiens). En phase avec la prescience de Senghor, le message actuel de la génétique est l’universalité du métissage.
Le livre se termine sur le mythe de fondation de Kaolack (certes aquatique et ambigu), une annexe d’enquêtes en wolof et français, une conclusion sur la nécessité de l’eau, d’où l’amphibie divin, le bain royal, opposé au Dieu solaire… Cet ouvrage capital semble pâtir de précipitation, vu un plan un peu confus, et bien des fautes de frappe ou imperfections : plusieurs textes repris sont non datés ; n. 2 p. 91 devraient renvoyer à p. 67, n.2 p. 92 à p. 88, n. 2 p. 198 à plus haut p. 85. Les itinéraires des cartes (p 176, 186-7, 193-4) n’auraient-ils pas gagné à être fléchés ? Mais pour des pages telles que 95-96, admirables de profondeur, pour l’iconographie remarquable, avec les peintures rupestres du Sahara évoquant les Peul, pour l’ensemble, bravo !

Journal des Africanistes, 78 (1-2), 2008 : 329-359
Dieux d’eau du Sahel. Voyage à travers les mythes de Seth à Tyamaba, Kesteloot Lilyane, 2007, Paris, L’Harmattan / IFAN, 326 p.///Article N° : 8594

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