District 9

De Neil Blomkamp

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Faut-il remercier les majors hollywoodiennes Fox et Universal de n’avoir pu s’entendre sur le montage financier de l’adaptation du célèbre jeu vidéo Halo ? Ce fut en tout cas l’occasion pour Peter Jackson, producteur et réalisateur du Seigneur des anneaux, et son ami Neil Blomkamp, jeune cinéaste sud-africain passionné de technologies, qui avaient travaillé cinq mois sur le projet, de se rattraper en tournant un « petit budget » (quand même 30 millions d’euros) de façon indépendante (avec QED international pour la production et Sony pour la distribution). La femme de Peter Jackson suggère de développer le court métrage Alive in Joburg réalisé par Blomkamp en 2005 et voilà ce dernier qui se met dès le lendemain à l’écriture. Le résultat est édifiant à plus d’un titre et rencontre un impressionnant succès international, aussi bien sur les terres hollywoodiennes qu’en Afrique du Sud où il fait un score double de celui de Tsotsi.
Dans la droite file du « faux documentaire » Blair Witch Project, District 9 se présente durant une bonne partie du film comme une enquête de télévision bien rythmée : des personnes interviewées reviennent sur les faits tandis que des images d’archives les illustrent. Leur mauvais rendu vidéo et la fragmentation du montage permettent à la production d’épargner les sommes gigantesques qui auraient été nécessaires à une qualité optimum des effets spéciaux. Mais l’approche historique du documentaire ouvre aussi à une essentielle inversion des films de science-fiction : loin de représenter une menace, les extra-terrestres sont de pauvres hères égarés, leur immense vaisseau spatial étant tombé en panne au-dessus de Johannesburg. Il s’inscrit de façon impressionniste dans le paysage et le film ne manque pas de revenir sur cette image surréelle. Une fois la crainte évaporée, les milliers d’aliens ressemblant à de grandes sauterelles ont été parqués dans un quartier périphérique appelé District 9 (clin d’œil à District 6, le quartier des docks du Cap célèbre pour son cosmopolitisme jusqu’à l’expulsion à partir de 1966 de ses 60 000 habitants pour en faire une zone réservée aux Blancs).
Le film se situe 28 ans après leur arrivée. Ils sont méprisés par tous et traités de prawns (la traduction a choisi « crevettes » mais ils font au moins deux mètres de haut). Ils vivent dans un bidonville derrière des barbelés tandis que des panneaux indiquent clairement les endroits où ils n’ont pas le droit d’aller. S’étant multipliés et vivant de grappines, ils sont rejetés comme une nuisance par la population, si bien que les autorités veulent les déplacer là où ils ne gêneront plus personne, à 200 km de là. Cela passe par une officialité de façade consistant à leur faire signer leur avis d’expulsion…
Tout cela rappelle bien sûr des souvenirs, d’autant plus qu’on voit dans le film une compagnie de fourmis rouges (Red Ants), une société de sécurité bien réelle spécialisée dans les opérations musclées à Johannesburg. A côté de la brutalité sans nom des forces armées, Wikus van der Merwe, l’agent chargé de diriger la phase administrative de l’expulsion, est un naïf invétéré dont le racisme envers les aliens égale la bêtise. L’avantage d’un personnage central aussi vil est qu’il empêche au spectateur toute identification. La violence inouïe, tant verbale que gestuelle, que développe Wikus et ses acolytes, et leur façon de faire appel à la répression armée à la moindre résistance, sont à l’image du rapport à l’autre qu’a entretenu l’apartheid. Mais la puissance allégorique – heureusement peu envahissante dans le récit – de ce film aux allures de série B ne s’épuise pas dans un rappel du passé : cette violence est aussi à l’œuvre chaque fois qu’on refuse à l’immigré un être propre.
Il faut dire que les artistes de WETA Workshop (qui avaient développé Le Seigneur des anneaux) en ont rajouté pour que, mi-insectes mi-crustacés gluants, les aliens soient vraiment ragoûtants. Lorsque Wikus se contamine par mégarde et commence à se transformer lui-même en alien, il devient peu à peu étranger à lui-même, au point de chercher à couper des morceaux de son propre corps… Etre contaminé par l’Autre revient donc à devoir gérer non seulement l’altérité de l’Autre mais aussi l’altérité à soi-même, une vraie question de société !
Devenir alien ne le rapproche pas des aliens pour autant : il reste fourbe, au point d’aller contre son propre intérêt. Car les extra-terrestres qu’il a en face de lui sont, eux, extrêmement humains et donc différenciés. Wikus sera confronté à un alien honnête, père d’un enfant prodige et dont les bras tombent devant la cruauté des hommes. Contrairement aux films de Carpenter, l’inhumain est ici plus humain que l’humain, ce que confirme le plan final qui malgré son côté fleur bleue fait écho à celui de La Mouche de Cronenberg où l’on se demandait ce qu’il reste d’humain une fois la mutation achevée. C’est dans l’affrontement final (une bonne demi-heure de bataille où Blomkamp fait exploser les effets spéciaux : la publicité Citroën Transformers, c’était lui !) que Wikus opérera la transition où il reconnaît l’humanité de l’alien en se résignant à la mutation. Le film confirme alors l’ambiguïté qui fait sa qualité, dans la foulée de la résurgence de la science-fiction américaine de la fin des années 70 où la frontière entre l’humain et l’inhumain devient un terrain glissant.
Cette mutation physique s’accompagne d’une qualité qui intéresse au plus haut point ses supérieurs : son aptitude à faire fonctionner les armes très sophistiquées des extra-terrestres. Il se les est procurées auprès des Nigérians qui ont non seulement établi un royaume de pègre au sein du District 9 mais dévorent les aliens pour tenter de s’approprier leur puissance. Inutile de dire, et on le comprend, que le Nigeria n’apprécie guère ce portrait méprisant, d’autant plus qu’Obesandjo, le chef de cette bande de gangsters cannibales, est un quasi-homonyme d’Olusegun Abasanjo, l’ancien président du pays (cf. les protestations officielles, [ murmure 5174 ]). Déplaisant paradoxe d’un film qui prend pour sujet le mépris de l’Autre ! Voilà un bon moyen de renforcer les préjugés et de jeter de l’huile sur le feu dans une Afrique du Sud où l’on s’en prend régulièrement et ô combien violemment aux immigrés africains !
Le film est tourné à Tshiawelo, banlieue de Soweto, dont les cabanes détruites ont servi de base aux décors, dans les lumières et le dépouillement de l’hiver où se mêlent pollution, crasse et poussière, ce qui n’est pas sans donner au film un ton crépusculaire. Outre le racisme qui travaille la communauté humaine et favorise sa décadence, la déliquescence de son environnement renforce son inhumanité.

///Article N° : 8923

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