Double vague : mettre en lumière 10 ans de cinéma

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La journaliste franco-burkinabè Claire Diao publie Double Vague, le nouveau souffle du cinéma français aux éditions au Diable vauvert. Dans cet ouvrage, elle retrace le parcours de cinéastes français de double culture et issus des quartiers populaires qui se battent pour réaliser leurs films et imposer leurs choix thématiques et esthétiques.

Afriscope. Comment est né ce livre ?
Claire Diao. J’avais proposé, en 2012, au Bondy Blog de réaliser une série de portraits de cinéastes que j’avais eu la chance de rencontrer en festivals, mais dont je n’entendais, malheureusement, pas parler dans les médias traditionnels. Au départ, j’avais quatre ou cinq noms en tête et, au bout de quatre ans, j’avais déjà écrit 50 portraits. Et ça ne s’arrête plus ! Très vite, m’est venue l’idée d’un livre. J’ai démarché, pendant trois années, des éditeurs qui l’ont tous refusé. Lorsque Aïcha Belaïdi, fondatrice du festival Les Pépites de cinéma et véritable soutien de nombreux cinéastes de double culture, est décédée en janvier 2016, m’est apparu encore plus grand le besoin de témoigner des 10 années qui s’étaient écoulées, depuis les révoltes sociales de 2005. Et, en 2016, Houda Benyamina a remporté la Caméra d’Or pour son long-métrage Divines et Alice Diop le César du Meilleur court-métrage pour Vers la tendresse. j’ai alors proposé mon livre à Marion Mazauric des éditions Au Diable Vauvert qui a accepté en 39 minutes !

Vous avez sélectionné les cinéastes, dont vous retracez le parcours, en fonction du critère social et de celui des « origines ». Ils forment alors ce que vous appelez la « Double vague ». Pourquoi un tel choix ?
Quand je faisais le portrait de ces cinéastes de double culture, je réalisais que les trois-quarts étaient issus des classes populaires et n’avaient pas de connexions avec le milieu cinématographique. Ce sont des personnes, nées entre les années 1970 et 1990, qui vont à l’encontre ce que peut leur conseiller leur famille pour laquelle, souvent, faire des films n’est pas un vrai métier. À cela, il faut ajouter que le cinéma est une industrie qui coûte chère, et beaucoup de ces réalisateurs se trouvent dans l’obligation de produire eux-mêmes leurs films. Mais ce n’est pas parce que l’on n’a pas d’argent que l’on n’a rien à exprimer !

Quelles formes prend la stigmatisation envers ces réalisateurs ?
Tout d’abord, il y a la question sociale : en France, ceux qu’on appelle les « enfants de l’immigration » sont considérés « immigrés », génération après génération. Ils sont mis dans des cases dont ils essaient de sortir grâce au cinéma ou à toute autre forme d’art. Mais s’ils font du cinéma, ils sont confrontés au problème d’accession aux institutions et aux sources de financement. Ceux qui ont la chance d’y parvenir sont encore sommés de rentrer dans des cases : les réalisateurs doivent faire du « cinéma de banlieue » et les acteurs se retrouvent avec des rôles caractérisés socialement et qui leur collent longtemps à la peau, ceux du sans-papiers, du délinquant ou encore de la femme de ménage…

Ces réalisateurs sont-ils réellement exempts de reproduction de clichés sur les thèmes qu’ils traitent ? Quelle différence, selon vous, entre Bande de filles de Céline Sciamma et Divines de Houda Benyamina ? Où s’arrête le cliché et où commence le témoignage ?
Je dirais que Céline Sciamma est partie d’un fantasme et Houda Benyamina d’une colère. Mais Houda Benyamina a, en effet, été attaquée par beaucoup de gens, notamment des quartiers, parce qu’elle serait aussi tombée dans le fantasme de la banlieue et dans le cliché du trafic de drogue. Je comprends ces critiques. Mais je trouve qu’elle a, tout de même, une manière intéressante de traiter les figures de femmes. Elle a aussi introduit dans Divines un personnage de transsexuel, ce qui est assez rare dans les films de la « Double Vague » ! Je ne pense pas qu’il faille forcément être d’un milieu pour le filmer. Mais cela nécessite une sensibilité que tout le monde n’a pas. Les cinéastes qui n’ont pas vécu en banlieue auront tendance à rechercher le sensationnalisme, alors que ceux qui connaissent ces réalités voudront montrer autre chose.

Ces réalisateurs ne sont-ils pas aussi réduits parfois au rôle de témoins ? [1]
Tout à fait ! Par exemple, beaucoup de producteurs se basent sur le succès d’un court-métrage pour développer un long alors qu’ils devraient demander à un jeune cinéaste ce qu’il a d’autre dans ses tiroirs ! J’observe aussi que de nombreux réalisateurs débutent avec des films rendant compte de leur l’environnement, de leur quartier, souvent tournés avec leurs potes. Mais plus leur filmographie se développe, plus ils s’émancipent de cette thématique. Rabah Ameur-Zaïmeche commence par exemple par représenter la banlieue dans Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? et finit par traiter l’histoire de Judas dans son dernier long-métrage ! La possibilité d’imaginaire s’élargit alors que le cinéaste fait l’objet d’une plus large reconnaissance.

Pourquoi avoir qualifié les réalisateurs de « Double vague » ? Ne craignez-vous pas, avec ce « label », de recréer une autre forme de discrimination en regroupant des cinéastes qui ne souhaitent généralement pas être renvoyés à leurs origines ?
C’est ce que dit Rachid Djaïdani : « Peu importe les étiquettes, moi je fais du cinéma ! » je pense aussi que c’est ce qui compte au final. Avec ce livre, mon idée n’était surtout pas de les enfermer dans une nouvelle étiquette, mais plutôt de les faire connaître.

De quelle manière les trajectoires de ces cinéastes résonnent-elles, ou non, avec votre parcours personnel ?
J’ai grandi dans l’aspiration sociale de mes parents qui se sont installés en France dans les années 1980 et ont recommencé leur vie à zéro. Le cinéma, je suis tombée dedans en choisissant une option au lycée afin de détourner la carte scolaire. Ensuite, je suis allée dans un autre lycée, plus populaire, où j’ai côtoyé des gens de toutes les classes sociales. J’ai alors eu l’impression de me trouver un peu à ma place. En arrivant à Paris, de ma banlieue lyonnaise, j’ai croisé des cinéastes de toutes les origines, pétris d’influences multiples, comme le hip-hop, le cinéma américain, etc. J’ai eu l’impression de parler à des gens qui me comprenaient, ou plutôt de comprendre les gens qui me parlaient…

Vous êtes engagée également sur les fronts de la diffusion et de l’événementiel. Pourquoi avoir ressenti le besoin d’aller au-delà du journalisme ?
Au départ, j’ai fait des études de cinéma. Je suis venue au journalisme, il y a 10 ans, par le simple constat que les réalisateurs qui m’intéressaient n’étaient pas vraiment traités dans les médias. Au fur et à mesure de l’écriture de mes articles, j’ai constaté que les lecteurs ne savaient pas où ils pouvaient voir les films dont je parlais. En 2013, j’ai alors décidé de lancer « Quartiers lointains », un programme itinérant de courts-métrages. Je pense qu’aujourd’hui mon combat est dans la diffusion, d’où la création de l’entreprise de distribution des films d’afrique et de la diaspora : Sudu Connexion. La revue panafricaine Awotele, créée en 2015, constitue un peu la continuité journalistique de ce que j’ai toujours fait. Un travail collectif avec des plumes originaires de tout le continent africain. Elle est éditée en français et en anglais, car l’idée est de dépasser la barrière linguistique. Celle qui fait que nous restons souvent dans notre coin et que n’avons pas conscience des actions menées par d’autres. Maintenant, j’essaie de pérenniser ces différents projets et j’espère que les films que je vais distribuer et dont je continue de parler auront la visibilité et le succès qu’ils méritent !


Claire Diao en cinq dates
26 juillet 1985 : Naissance de Claire Diao à Dakar (sénégal).
2006 : Premier prix de poésie des black History month à Kingston (angleterre).
2011 : Débuts en tant que journaliste indépendante. elle collabore pour le bondyblog, soFilm, screen africa, Canal +, etc.
2013 : Première édition du programme itinérant de courts-métrages « Quartiers lointains ».
2016 : Création de sudu Connexion, réseau pour connecter cinéastes, producteurs et réseaux de diffusion d’afrique et de la diaspora.

[1] Cette question et la réponse qui s’ensuit figurent exclusivement sur la version web de l’article.

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