Doudou Ndiaye Rose : la chair même du tambour !

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Tu connaissais tous les chemins, tous les secrets de la percussion, comme ceux à qui Dieu a donné de connaitre tous les chemins de la connaissance. L’Afrique dans ce qu’elle possède de plus précieux, a toujours mis l’accent sur la formation de l’homme. J’ai retenu de toi cette lancinante et invincible leçon : chérir la tradition de nos pères. Le mien est mort et j’avais moins de 10 ans. Cela a pourtant suffi pour me marquer au fer rouge et me rendre à jamais jaloux des trésors de nos valeurs et de nos traditions. Doudou, tu n’étais pas seulement un artiste. Tu étais un livre. Tu étais un annuaire. Tu rappelais toujours, comme l’autre, que la naissance est le messager de la mort. Ta vie, ton incomparable vie, a été bien remplie. Le navire ressemblait au marin. Ton nom, ton beau nom rythmique et cadencé, Doudou Diane Coumba Rose, comme un poème, a traversé les océans. Tu avais réussi par ton génie et ton goût effilé d’aller à la rencontre des autres, par prouver que toute la terre est ta patrie, puisque l’homme est fait de terre. Nous ne serons pas les seuls à te pleurer. Ton tombeau ne sera pas ton seul lieu d’éternité. Tu vivras et bien longtemps, au-delà de tes contemporains, dans le cœur des générations d’artistes à venir, loin dans le temps et les siècles à venir.
Doudou, nous t’avons beaucoup, beaucoup aimé. Tu n’étais pas un charlatan déguisé en artiste. De la maitrise de ton art, tu avais fait une armure. Le respect et l’admiration que te vouent la communauté artistique à travers le monde, ne seront pas aisés à égaler. Ton héritage sera lourd à porter. Ce qui te différencie des autres, de tous les autres, c’est que tu n’appelais pas les artistes à te suivre, mais à te devancer. C’est une rare et belle leçon de générosité. Nos artistes ne font souvent face qu’à leur propre et unique avenir. C’est le moi-moi perpétuel. C’est le problème presque global d’une société incapable d’inventer l’avenir pour les autres, de donner un sens à la vie des autres, de proposer un projet pour les autres. Nous nous souvenons des mots de Gide:  » Un bon maître a ce souci constant: enseigner à se passer de lui ». Au-delà des jeunes Sénégalais et Africains, de jeunes japonais, de jeunes américains, de jeunes français, de jeunes suédois et hollandais ont écouté et suivi tes leçons d’artiste créateur.
Doudou, tu as porté très loin le Sénégal. Tu m’as appris que la culture, c’est d’abord que chacun de nous sache d’où il vient. C’est bien du singulier que nous accédons à l’universel. Tu m’as appris que ce n’est pas parce que l’art doit servir l’art que l’art doit cesser d’être politique. Tu as été bien amer, au regard de ce que ton pays ne semblait pas te donner. Ta prise de parole d’artiste a toujours montré du doigt les murs lépreux des politiques. Pourquoi donc cette longue autoroute à péage tant décriée, aux tarifs inaccessibles, entre les hommes politiques et les artistes? L’imaginaire des artistes doit être relayé par l’imaginaire de l’Etat pour que le Sénégal reste le Sénégal. L’art aura toujours plus de pouvoir que la politique. L’histoire le démontre à volonté. Tu as fait mentir, par ailleurs, ceux qui aiment à dire que le monde aura fini et l’Afrique n’aura pas avancé. La terre promise n’est pas ailleurs. Elle est ici. La citoyenneté, c’est avoir son pays à l’intérieur de soi-même. Tu nous l’as prouvé, Doudou. Tes percussions étaient irrésistibles, mais tu étais devenu plus irrésistibles qu’elles. Tu nous a raccordés à tous les autres peuples du monde, par ton art, par ton nom. En toi, nous avons aimé et avons été rassasiés et par l’arbre, et par les fleurs et par les fruits.
C’était à Joal, en juillet dernier. Tu étais venu prendre part à mon intronisation chez les Sérères, comme Salma. J’en étais touché et profondément bouleversé. En prenant la parole tu avais évoqué ton invincible amitié avec Senghor. Tu avais, au bout de l’émotion, souhaité voir ton école de percussion, celle qui a occupé tous tes rêves, être érigée un jour, à Joal. Cette confession, les Joaliens ne l’oublieront pas. Nous tenterons de tenir en courte laisse ce projet, malgré l’insoutenable misère de nos moyens. Puissent tes enfants, tes proches admirateurs, l’Etat du Sénégal, les pays amis et les institutions financières internationales entendre ton appel et réaliser un jour ton rêve.
Te souviens-tu de notre voyage en Guyane française où jusque dans la forêt amazonienne tu as été adulé et fêté ? Tu m’as toujours nommé, aimé, chéri, protégé, soutenu. Ta disparition m’a foudroyé !
Tu avais souhaité que je puisse diriger ton projet d’écrire un livre sur ta vie. Le temps a cruellement manqué, en plus d’avoir voulu, ensemble, fils de la rigueur, déjouer la fosse commune où sont tombés tant de récits hâtifs et vite oubliés. Pour ma part, avec le recul et ta disparition brutale, je regretterais toujours de ne pas t’avoir enfermé dans une cage et faire ce livre avec toi.
Doudou, tu nous laisses dans une grande solitude. Le soleil et la lune, dit-on, ne brillent pas ensemble, mais ils peuvent s’éclipser ensemble, comme en ce jour où nous te pleurons. Oui, c’est bien la nuit noire. Tu avais « une manière pure d’être au monde et qui rendait le monde léger ». Il a été écrit qu’ « entrerons au Paradis des personnes dont les cœurs sont semblables aux cœurs des oiseaux ». Doudou, si cher Doudou, sûr que tu es à la droite du Père dans un jardin jamais rêvé.
Ce que ce pays te doit, à toi aussi, n’a ni un nom ni un prix. Tu as fini par représenter quelque chose de plus grand que lui. Dors en paix le bien-aimé.

///Article N° : 13175

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